Citations de Sophie Audouin-Mamikonian (415)
Soudain il eut une idée. Les snuffy utilisaient souvent la diversion quand ils s'apprêtaient à dérober quelques poulets ou une tarte qui refroidissait sur le rebord d'une fenêtre. Ils projetaient des sons d'une grande puissance dont il était impossible de déterminer la provenance.
Ces deux Grands allaient-ils se laisser berner? Gonflant sa maigre poitrine, il imita le terrible cri de chasse du draco-tyrannosaure. Les gardes réagirent au quart de tour.
- Qu'est-ce que c'est que ce son horrible? interrogea l'un d'eux, d'une voix blanche.
- Le cri de ta mère lorsqu'elle t'a vu à la naissance... blagua, goguenard, le second.
Lorsqu'il se réveilla, il mit un certain temps à comprendre où il se trouvait.
Pas dans son appartement. Pourquoi était-il dans cette cham... ?
Soudain, tout lui revint en mémoire et il se redressa d'un coup.
Il était mort.
Totalement, définitivement mort.
Bon sang, combien de fois cela allait-il le frapper, comme une claque dans la figure!
Il n'arrivait pas à s'y habituer. Il était mort.
Robin avait l'expression d'un dragon assomé par une vache. Incrédule et stupéfait.
Un homme de haute stature, un capuchon rouge entourant le masque miroitant doré qui cachait son visage.
Magister, évidemment.
Il rangea l'astophèle dans la poche de sa robe de sortcelier.
La seule pensée qui effleura l'esprit de Tara à ce moment fut vraiment incongrue.
- Vous... vous avez changé de couleur de cape ? Et de masque ?
Magister resta un instant silencieux.
- J'avoue que tu as le don de me surprendre, Tara. Mais, oui, j'en avais un peu assez de ces couleurs monochromes, et puis le gris et le noir, ça fait vraiment sinistre par moments. Les couleurs du "méchant" par excellence. Je n'aime pas les caricatures. Donc je suis en train d'expérimenter d'autres couleurs. Tu aimes ?
Tara avait l'impression d'halluciner. Magister en train de jouer les gravures de mode, ça, c'était le pompon. Elle se ressaisit.
- J'attends de voir ce que ça va donner en rose.
- Ah ah, très drôle, j'aime beaucoup ton humour, jeune fille. Et si cette fois-ci, tu me laissais le temps de discuter avec moi sans me faire tomber le ciel sur la tête, ce serait bienvenu aussi.
- Séchez !
Pendant qu'une véritable tornade de vent chaud s'emparait du couloir et séchait en un instant tout ce qui s'y trouvait, le vieux mage fronça les sourcils.
- "Séchez" ? Comment ça, "Séchez" ? protesta-t-il d'un ton offusqué. Tu ne pouvais pas trouver une incantation un peu plus majestueuse ? Du genre : "Par le Sechus, que toute cette eau quitte nos vêtements et nous fasse beaux ?" Que vont penser les gens si on commence à dire "Séchez" ! Nous sommes des sortceliers que diable ! Pas des lavandières !
Et sans s'occuper des excuses embarrassées du jeune sortcelier, il partit en bougonnant, entraînant Tara qui tentait désespérément de contenir un terrible fou rire. Maître Chem avait l'air tellement offensé !
Pour sa part, elle fit d'abominables cauchemars qui la laissèrent épuisée et tremblante. Elle en comprenait plu rien. Jamais Magister n'aurait essayé de la tuer, il avait trop besoin d'elle. Alors, qui voulait se débarrasser d'elle, et surtout pourquoi ? Comme tout le monde, elle avait rêvé de vivres des aventures extraordinaires. Maintenant, elle était quasiment prête à payer pour vivre la vie plus ennuyeuse, la plus insipide la plus terne possible.
- Bon, j'y vais.
- Tu vas où ?
- Je... vais aller voir si Fab... Barune va bien.
Barune, hein. Bon, si elle voulait la jouer comme ça...
- C'est ça, vas-y ! A tout à l'heure ! Et fais-lui une caresse de ma part !
Moineau qui avait foncé vers la porte comme une fusée se retourna d'un bloc, les yeux écarquillés.
Tara, hilare, précisa :
- Je parlais de Barune bien sûr !
Tara, qui n'était déjà pas au meilleur de sa forme, vacilla, prise de vertige.
Immédiatement, Robin se porta à son côté et la soutint. Il plongea ses merveilleux yeux de cristal dans les siens.
- Comment te sens-tu ? Demanda-t-il doucement.
- Ça pourrait aller mieux, admit Tara qui, pour l'instant, avait vraiment envie de se faire consoler et trouvait que l'épaule robuste (Wahou ! Il s'était drôlement musclé ! Elle ne s'en était pas rendu compte à Omois) du demi-elfe ferait un oreiller parfait pour une jolie crise de nerf.
Elle lui sourit.
Il lui sourit.
Elle tomba dans les pommes.
Lorsqu'elle reprit conscience, Tara n'était plus en prison, ce qui constituait une indéniable amélioration. Elle sentait sous ses épaules et son dos une surface moelleuse. Elle ouvrit les yeux et découvrit au-dessus d'elle des tas de visages anxieux qui la regardaient.
- Wahou ! Lança Cal d'un ton jovial quoiqu'un peu forcé, je ne savais pas que Robin te faisait un tel effet ! Je n'ai jamais fait s'évanouir une fille juste en la regardant, moi. Elles ont plutôt tendance à s'enfuir !
- Je vais le faire, ne t'inquiètes pas. Tu n'as pas besoin de mourir. Je ne veux pas que tu meures. Je te l'interdis.
Tara écarquilla les yeux.
- Comment ?
- Ton père a raison. Tu en mourrais, c'est certains. Moi, avec mes écailles, je ne risque rien.
- Mais si, en fait tu… commença le fantôme de Danviou.
- Euh, monsieur le fantôme, je veux dire Votre Majesté Impériale ? intervint Angelica.
- Oui ?
- Vous voulez garder votre fille en vie ?
- Euh, oui.
- Alors, fermez- la.
- L'armure de Vrons ! Tu portes l'armure de Vrons, mais... comment est-ce possible ?
Il releva les yeux vers Tara, cherchant des signes de folie.
- Tu dois t'en débarrasser tout de suite, Tara ! Elle va te ronger, elle va te détruire !
- Mon prrrréciiiieuuux, siffla Fabrice.
- Votre Altesse Impériale, grogna Xandiar, le grand chef des gardes thug à quatre bras, qui avait sans doute été le premier à arriver sur place et arborait son armure de combat rouge et or, veuillez reculer, nous devons tout d’abord nous assurer de la sécurité du Palais.
Sous-entendu, « espèce de bécasse et s’il explose, tu fais quoi ? dégage ! ».
- Robin ?
- Mon amour ?
- Cal ?
- Mon amour ?
Robin lui jeta un regard surpris et le Voleur ricana.
- Pardon, je n'ai pas pu résister. Oui ?
- Bon, alors, cette Âme Blanche, on la trouve où selon toi ?
- Si tu étais un mangeur de Boue, demanda Robin, qu'est-ce que tu ferais ?
- Je m'achèterais un rasoir et un déodorant, pourquoi ?
Robin leva les yeux au ciel.
- Je veux dire, qu'est-ce que tu ferais si tu tombais sur un truc comme l’Âme Blanche ?
- En temps que Mangeur de Boue ? Soit je la planquerais, histoire d'avoir ma déco personnelle au fond de mon trou puant. Soit je le montrerais à tous les autres Mangeurs, je dirais que c'est la statue d'une déesse et que je suis son grand prêtre, et je créerais une nouvelle religion où étant le seul capable de communiquer avec la soi-disant déesse, j'obligerais les autres Mangeurs de Boue à travailler pour moi. Et ainsi je passerais le reste de mes jours à m'empiffrer en regardant mes doigts de pied de Mangeur de Boue.
Robin le regarda avec des yeux ronds.
- Tu sais, j'espère que ces Mangeurs n'ont pas l'esprit aussi tortueux que le tien !
- Ohhhh, fit Cal comme s'il venait de découvrir un trésor, c'est donc ça, hein, tu es romantique ! Mais si tu ne dis pas ce que tu penses vraiment, comment veux-tu que nous nous en sortions ? Nous ne sommes pas télépathes ! Bon, alors, physiquement, quel est ton type, grand, petit, moyen, blond, brun ?
Piquée au vif par sa remarque, Tara décida d'être honnête, même si Cal était petit et brun.
- Plutôt plus grand que moi (et paf!) avec les yeux et les cheveux clairs...
Elle vit que Cal se rembrunissait et amortit sa remarque :
- … mais il y a aussi des bruns qui sont très beau. Les cheveux longs me plaisent mais seulement depuis que je vis sur AutreMonde parce que sur Terre je trouvais ridicules ces garçons avec leurs queues de chevale et leurs serre-têtes ! J'admire par-dessus tout la courtoisie et l'élégance et je me fiche des vêtements, parce qu'ici on peut s'habiller comme on veut, grâce à la magie, ce qui fausse la donne.
Tout en définissant son idéal, Tara réalisa soudain, mal à l'aise, qu'elle était en train de décrire... un elfe ! Et un elfe bien particulier.
"- C’est un « hum-hum » tout va bien ? s’enquit poliment Cal. Ou un « hum-hum » OMOVTM ?
- OMOVTM ?
- C’est une invention de Cal, qu’il aime bien ressortir, soupira Moineau. Cela signifie « Oh merde ! On va tous mourir ». Ne faites pas attention, professeur. Il se trouve très drôle.
Cal eut un rictus ironique. Il ne se « trouvait » pas très drôle, il était très drôle."
Elle ouvrit une paupière.
Bonne nouvelle, elle était vivante.
Mauvaise nouvelle, elle était en prison.
Encore.
Boucler les gens au fond de cachots était une vraie manie sur cette planète ! Elle serait bientôt en mesure d'écrire un guide des geôles d'AutreMonde, avec un code de une à trois étoiles pour distinguer les meilleures : moins humides, mieux aménagées...
- Nous venons avec toi, bien sûr, dit la jeune fille d'une voix douce. Tu auras besoin de la force de la Bête et de l'invincibilité du loup.
Fabrice sourit et Tara eut soudain l'impression que son sourire était plein de dents.
- Moi aussi, je viens, évidemment, ajouta Cal, c'est une parfaite OMOVTM.
- Une quoi ? demanda Fabrice.
- Une OMOVTM. Oh Merde On Va Tous Mourir. C'est comme ça que j'ai baptisé la plupart des situations impliquant Tara et le magicgang.
Il avait l'air d'un ange innocent aux grands yeux gris. Et son sourire aurait trompé un saint. Fafnir sourit elle aussi.
- Je viens, bien sûr, dit-elle, j'aime beaucoup cette idée d'OMOVTM, sauf que moi, je pense que c'est plutôt une OCIVTM, Oh Chic Ils Vont Tous Mourir !
Ce fut plus fort qu'eux, en dépit de leur tristesse pour Tara, Fabrice et Moineau ne purent s'empêcher de glousser.
Tara se leva et descendit les marches du trône, lentement, s'avançant vers Robin. Il aurait dû y avoir une musique langoureuse, ou une fanfare joyeuse, à l'unisson de leurs cœurs qui battaient trop vite. Il y aurait dû y avoir des éclairs, du tonnerre. Cela aurait dû être impressionnant. À la place de cela, il n'eut que le silence et le souffle soudain suspendu de centaines d'êtres fascinés. L'amour de Robin pour Tara, l'interdiction de l'Impératrice, les dangers que les deux jeunes gens avaient affrontés ensemble, tout ceci conspirait pour faire de leur histoire une légende1. Et le poids de cette légende et de millions d'yeux pesait sur leurs épaules.
- Je suis désolée, murmura Tara, trop consciente des oreilles à l'écoute. Je ne savais pas. J'ai cru... j'ai cru que tu avais abandonné. Que tu m'avais effacée de ta mémoire.
Sur tout AutreMonde, les mouchoirs fleurirent et on enferma les cahmboums qui menaçaient d'exploser sous l'excès d'émotion.
- Jamais, souffla Robin. Jamais. Tu es le cœur de mon cœur, l'âme de mon âme. Il faudrait m'arracher mon esprit pour t'arracher à moi. J'ai pensé à toi à chaque instant, chaque minute, chaque seconde de notre séparation. Je suis mort cinq fois et cinq fois mon âme s'est refusée au néant, car je devais, il fallait que je te revoie une dernière fois.
C'était tellement romantique que les courtisanes soupirèrent. Puis lancèrent des regards agacés à leurs compagnons. Ce n'étaient pas eux qui allaient mourir pour elles !
Une larme ronde et limpide roula sur la joue de Tara.
1. Par-fai-te-ment. Roméo et Juliette, à côté, c'est de la rigolade.
Tara savait qu'elle pouvait, si elle le désirait, transformer l'arrogant Vampyr en une petite souris couinante, d'un seule froncement de sourcils. Elle lui lança un regard dédaigneux et incanta :
- Par le Transformus je veux mes vêtements, et aussi ma robe immédiatement !
Et elle se retrouva vêtue de son jean et de son tee-shirt, puis de la robe qui les recouvrait.
Impériale, elle claqua des doigts et des centaines de chevaux scintillèrent sur sa robe.
Enfin elle se retourna vers le pégase et ordonna :
- Par le Miniaturus que mon pégase réduise, afin que je puisse le promener à ma guise !
Le pégase rétrécit à nouveau.
- Eh, eh, eh ! gloussa le vieux mage, satisfait quoiqu'un peu surpris de la maîtrise dédaigneuse de Tara, moi je trouve qu'elle ne se débrouille pas si mal cette petite ! Qu'elle garde donc son Familier puisqu'elle vient de prouver qu'elle est capable de son occuper.
-Ben ça, murmura Cal d'une voix mal assurée, là où moi je gare mon tapis de course super-profilé, lui il gare ses six planètes.Je vais avoir du mal à le challenger,ce gars-là...
Tara glissa ses doigts dans les siens, effrayée
Il n'y avait plus qu'une seule issue à ce geste fou.
La Guerre des Mondes venait de commencer...
Fin