Citations de Sylvia Plath (484)
Alors maintenant je vais parler tous les soirs. Pour moi-même. Sur la lune. Tellement plus facile que d'affronter les gens, que d'avoir l'air heureux, invulnérable, intelligent. Avec les masques baissés, je marche, en parlant à la lune, à la force impersonnelle neutre qui n'entend pas, mais qui accepte simplement mon être. Et ne me frappe pas.
Un sourire est tombé dans l'herbe
Irrattrapable
Une vague s'était retirée comme une main, puis elle s'est avancée et elle a effleuré mes pieds.
Ecrire est un acte religieux, une manière d'ordonner, corriger, réapprendre et réaimer les gens et le monde, tels qu'ils sont et pourraient être. Créer une forme qui ne se perd pas, contrairement à un jour de dactylographie ou d'enseignement. Le texte écrit reste, voyageant de son côté dans le monde. Des gens le lisent et réagissent comme face à une personne, une philosophie ou une religion, ou encore une fleur: ils aiment ou non. Cela les aide ou ne les aide pas. On a le sentiment de rendre la vie plus intense - on donne plus, on scrute, interroge, regarde et apprend, on crée cette forme, et on reçoit plus en retour: monstres, réponses, couleur et ligne, connaissance. On le fait d'abord pour la chose en soi. Si cela rapporte de l'argent, très bien. On ne le fait pas d'abord pour l'argent, on ne s'assied pas à sa machine à écrire pour l'argent. Non qu'on le refuse. C'est vraiment le rêve quand une profession vous assure la subsistance. Avec l'écriture, c'est très aléatoire. Comment vivre dans une telle insécurité? Et, bien pire, avec de temps en temps des passages à vide, ou des pertes de foi en l'écriture elle-même? Comment vivre avec çà? Bien pire encore que tout cela, le pire absolu serait de vivre sans écrire. La question est donc comment vivre avec le moindre mal et le minimiser.
L’agneau de Marie
L’agneau pascal frit dans sa graisse.
La graisse
Sacrifie son opacité…
La vitre est d’or sacré.
Le feu la rend précieuse,
Le même feu toujours
Fondant le suif des hérétiques
Et débusquant les juifs.
Leurs draps de fumée noire ondoient
Sur les stigmates de la Pologne
Et l’Allemagne incendiée.
Ils ne meurent pas.
Des oiseaux gris hantent mon cœur,
Bouche en cendre, œil cendreux,
Ils se posent. Sur l’immense
Précipice
Qui a vidé un homme dans l’espace
Les fours flambaient en cieux, incandescents.
Et c’est un cœur,
L’holocauste où j’entre,
O bel enfant d’or que le monde tue et mange.
Je ne voulais pas être photographiée, parce que j'allais pleurer. Je ne savais pas pourquoi j'allais pleurer, mais je savais que si quelqu'un m'adressait la parole ou me regardait d'un peu trop près, les larmes jailliraient de mes yeux, les sanglots éclateraient dans ma gorge et je pleurerais pendant une semaine. Je sentais les larmes me noyer les yeux et déborder comme de l'eau d'un verre trop plein que l'on agite.
J’ai pensé que c’était le genre de drogue qu’un homme pouvait inventer. Voilà une femme qui endurait le martyre, parfaitement consciente de chaque souffrance, sinon elle ne gémirait pas comme ça… et elle retournerait chez elle pour mettre un nouveau bébé en route, parce que cette drogue lui ferait oublier l’atrocité de la douleur, mais dans un recoin secret de son corps l’attendait toujours ce couloir noir, sans portes ni fenêtres, le couloir de la douleur prêt à s’ouvrir de nouveau pour mieux se refermer sur elle.
Il y a quelque chose de déprimant à regarder deux personnes devenir de plus en plus enragées l’une de l’autre, surtout si l’on se sent la seule personne en trop dans la pièce.
C’est un peu comme voir Paris du dernier wagon d’un train express qui s’éloigne toujours plus vite de la ville qui diminue, diminue, et on se sent devenir vraiment de plus en plus petite, de plus en plus seule, fuyant toutes ces lumières et toute cette vie fébrile, à des millions de kilomètres à l’heure.
Secs, sans cavalier, les mots
Et leur galop infatigable...
Pouce
D’un coup tran-
Ché mon pouce, coupé pour un oignon.
L’extrémité presque arrachée,
Retenue par comme un chapeau
De peau,
Un pauvre fichu en lambeaux,
Blanc blême.
Et puis cette peluche rouge.
Petit pèlerin,
Il t’a scalpé, l’Indien.
Tout droit sorti du cœur
Ton tapis se déroule
En barbiche de dindon.
Je l’écrase comme j’empoigne
Ma fiole de pur alcool,
Mon flacon qui pétille.
C’est parti pour une cérémonie.
Un million de soldats
Tous habillés en rouge
Accourent comme un seul homme.
Pour quel camp se battent-ils ?
Dis donc,
Homunculus, je défaille.
J’ai pris un cachet vaille que vaille
Contre ce malaise pitoyable
De papier pelure.
Saboteur,
Kamikaze –
La tache sur ta
Gaze Ku Klux Klan,
Babouchka,
Devient sombre et terne et quand
La pulpe
En rondeur de ton cœur
Affronte sa petite
Meule de silence
Tu fais un de ces bonds –
Ancien combattant, pouce
Trépané,
Moignon, poupée souillon.
Cut
What a thrill -
My thumb instead of an onion.
The top quite gone
Except for a sort of hinge
Of skin,
A flap like a hat,
Dead white.
Then that red plush.
Little pilgrim,
The Indian's axed your scalp.
Your turkey wattle
Carpet rolls
Straight from the heart.
I step on it,
Clutching my bottle
Of pink fizz. A celebration, this is.
Out of a gap
A million soldiers run,
Redcoats, every one.
Whose side are they on?
O my
Homunculus, I am ill.
I have taken a pill to kill
The thin
Papery feeling.
Saboteur,
Kamikaze man -
The stain on your
Gauze Ku Klux Klan
Babushka
Darkens and tarnishes and when
The balled
Pulp of your heart
Confronts its small
Mill of silence
How you jump -
Trepanned veteran,
Dirty girl,
Thumb stump.
Écrire est un acte religieux, une manière d'ordonner, corriger, réapprendre et réaimer les gens et le monde, tels qu'ils sont et pourraient être. Créer une forme qui ne se perd pas, contrairement à un jour de dactylographie ou d'enseignement. Le texte écrit reste, voyageant de son côté dans le monde. Des gens le lisent et réagissent comme face à une personne, une philosophie ou une religion, ou encore une fleur: ils aiment ou non. Cela les aide ou ne les aide pas. On a la sentiment de rendre la vie plus intense - on donne plus, on scrute, interroge, regarde et apprend, on crée cette forme, et on reçoit plus en retour: monstres, réponses, couleur et ligne, connaissance. On le fait d'abord pour la chose en soi. Si cela rapporte de l'argent, très bien. On ne le fait pas d'abord pour l'argent, on ne s'assied pas à sa machine à écrire pour l'argent. Non qu'on le refuse. C'est vraiment le rêve quand une profession vous assure la subsistance. Avec l'écriture c'est très aléatoire. Comment vivre dans une telle insécurité? Et, bien pire, avec de temps en temps des passages vides, ou des pertes de fois en l'écriture elle-même? Comme vivre avec ça?
Bien pire encore que tout cela, le pire absolu serait de vivre sans écrire. La question est donc comment vivre avec le moindre mal et le minimiser.
LES DANSES NOCTURNES
Un sourire est tombé dans l'herbe
Irrattrapable !
Et tes danses nocturnes où iront-elles
se perdre. Dans les mathématiques ?
De tels bonds, des spirales si pures —
Cela doit voyager
Pour toujours de par le monde, je ne resterai donc pas
Totalement privée de beauté, il y a ce don
De ton petit souffle, l'odeur d'herbe
Mouillée de ton sommeil, les lys , les lys.
Leur chair ne tolère aucun contact.
Plis glacés d'amour-propre, l'arum,
Le tigre occupé de sa parure —
Robe mouchetée, déploiement de pétales brûlants,
Tes comètes
Ont un tel espace à traverser,
Tant de froid et d'oubli.
Alors les gestes se défont —
Humains et chauds et leur éclat
Saigne et s'émiette
À travers les noires amnésies du ciel.
Pourquoi me donne-t-on
Ces lampes, ces planètes
Qui tombent comme des bénédictions, des flocons —
Paillettes blanches, alvéoles
Sur mes yeux, ma bouche, mes cheveux —
Qui me touchent puis disparaissent à tout jamais.
Nulle part.
p.32-33
La vue de toute cette nourriture entassée dans ces cuisines m'avait fait tourné la tête. Ce n'est pas que nous n'ayons pas eu assez à manger à la maison, mais grand-mère cuisinait toujours des plats économiques, des rôtis pas chers, elle avait l'habitude de dire à votre première bouchée : "J'espére que ça va vous plaire... ça coûte quarante et un cents la livre ! ", ce qui me donnait toujours l'impression de manger des sous et pas le rôti dominical.
La pièce devenait plus claire à vue d'œil et je me demandais ce qu'était devenue la nuit.
J'ai respiré un grand coup et j'ai écouté mon vieux cœur fanfaron.
Je vis, je vis, je vis !
La cloche de détresse.
La maladie roulait en moi avec des vagues immenses, après chaque vague, elle disparaissait et me laissait frissonnante comme une feuille mouillée. Je sentais venir la vague suivante, le carrelage blanc de la chambre des tortures, sous mes pieds, autour et au-dessus de moi se refermait et me broyait impitoyablement.
Au lieu que le monde soit divisé entre catholiques et protestants, entre Blancs et Noirs ou même entre hommes et femmes, je le voyais divisé entre les gens qui avaient coché avec quelqu'un et ceux qui ne l'avaient pas encore fait.
FINISTERE (extrait)
C'était la fin des terres : les derniers doigts, noueux et rhumatismaux.
Crispés sur rien. Des falaises
Noires et menaçantes, et la mer qui explose
Sans fond, sans fin, sans rien face à elle,
Blanchie par les visages des noyés.
C'est tout simplement lugubre maintenant, un tas de rocs.
Soldats rescapés de sales guerres d'autrefois.
La mer canonne dans leurs oreilles, mais ils ne bronchent pas.
D'autres rocs dissimulent sous l'eau leurs rancunes.
Les falaises sont bordées de trèfles, étoiles et clochettes
Telles que les doigts peuvent en broder, à l'approche de la mort,
Presque trop petits pour que les brumes s'en soucient.
Les brumes font partie de l'antique attirail
Ames roulées dans le grondement funeste de la mer.
Elles meurtrissent les rocs, les font disparaître, les ressuscitent.
Elles se lèvent sans espoir, comme des soupirs.
Désormais, je parlerai toutes les nuits. A moi-même. A la lune. Je marcherai, comme je l'ai fait ce soir, jalouse de ma solitude, dans le bleu argenté de la lune glaciale, qui miroite sur les congères de neige fraîche en renvoyant des milliers d'étincelles. Je me parle à moi-même en contemplant les arbres sombres, d'une bienheureuse neutralité. C'est tellement plus facile que d'affronter les gens, que de devoir paraître heureuse, invulnérable, intelligente. Tous masques ôtés, je me promène en parlant à la lune, à cette force neutre et impersonnelle qui n'entend pas, mais se contente tout bonnement d'accepter mon existence.
Je ne voulais pas être photographiée, parce que j'allais pleurer. Je ne savais pas pourquoi j'allais pleurer, mais je savais que si quelqu'un m'adressait la parole ou me regardait d'un peu trop près, les larmes jailliraient de mes yeux, les sanglots éclateraient dans ma gorge et je pleurerais pendant une semaine. Je sentais les larmes me noyer les yeux et déborder comme de l'eau d'un verre trop plein que l'on agite.
La cloche de détresse.