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Critiques de Éric Vuillard (1127)
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14 Juillet

Que sait-on du 14 juillet ? Comment s’est passée la prise de la Bastille, cet événement considéré comme le début de la Révolution française dont la commémoration est devenue « Fête nationale » ? On y associe souvent quelques tableaux montrant la forteresse plus ou moins enfumée ou enflammée, une foule et des soldats poussant des canons, la réplique du Duc de Liancourt à Louis XVI qui lui demande : « Mais, c’est une révolte ? ». « Non Sire, c’est une révolution ! ». Mais finalement comment cela s’est-il passé, vu et vécu par le peuple parisien ?



C’est ce que Éric Vuillard a réussi à décrire dans ce livre avec une reconstitution extrêmement plausible, véridique, parce qu’incarnée par des personnages dont on connait le nom, l’origine, l’occupation, dont l’apparence physique, les comportements, les sentiments sont esquissés… Une sorte de reportage en direct d’une chaîne d’info immédiate avec interview flash et image choc ? Non, car le point de vue de l’auteur est très clair et la perspective historique reste toujours présente.



Le contexte d’abord, avec la faim causée par la hausse du prix du froment aggravée après un hiver particulièrement rigoureux, avec ce qu’on n’appelait pas encore le chômage. « Pour six cent mille habitants, Paris comptait quatre-vingt mille âmes sans travail et sans ressources ». Un évènement annonciateur, à la fin du mois d’avril, le saccage de la Folie Triton, où des milliers d’hommes, de femmes, d’enfants saccagèrent le palais d’un certain monsieur Réveillon devenu immensément riche. Ce fut une des deux journées les plus meurtrières de la Révolution française. Pendant ce temps-là, « Versailles est une couronne de lumière, un lustre, une robe, un décor » dissimulant une France en banqueroute.



C’est le moment où Camille Desmoulins « propose au peuple la colère. (…) On prépare une Saint Barthélémy des patriotes ». S’en suivent 24 heures de progression du peuple de Paris jusqu’à la prison de la Bastille, avec quelques arrêts dus aux essais de résistance de forces royales. Éric Vuillard narre tous ces évènements avec force détails aussi précis que réalistes, avec des femmes et des hommes qui ont un nom, un visage, quelques traits d’histoire personnelle. Tous sont le Peuple qui crie sa misère et se met en colère. Il les fait revivre, constituant cette « foule prodigieuse, sorte de totalité.». Foule qui avance, qui s’indigne, qui s’effraie, qui avance encore car la colère est plus forte que la peur. Foule qui aperçoit la forteresse de la Bastille se dresser : « Huit tours, Qu’un mur relie. Trois mètres d’épaisseur. Le mutisme. La surdité. Peu d’ouverture. Aveugle. La citadelle. Très haute. (…) Elle sidère. »



« Il faut écrire ce qu’on ignore. Au total, le 14 juillet, on ignore ce qui se produisit. Les récits que nous en avons sont empesés et lacunaires. C’est depuis la foule sans nom qu’il faut l’envisager. » A partir de ce point de vue, toutes les étapes de cette journée sont racontées dans les détails vécus des individus qui constituent cette foule. En énumérant des noms, en distinguant quelques silhouettes, en sortant de l'anonymat quelques héros oubliés de l’Histoire de France officielle, Vuillard réinvente plus près du peuple cette page historique en contrepoint du récit de Michelet qui parvient à faire de la députation de Thuriot de la Rosière, membre du Comité permanent de l’Hôtel de ville, à la tête d’une délégation chargée de demander la reddition de la vieille forteresse, le moment le plus éclatant de la journée. «Par un de ces grands envoûtements d’écritures, Michelet sépare le peuple, l’immense masse noire qui avance depuis le Faubourg Saint-Antoine de son représentant, qui devient le principal protagoniste de l’Histoire. »



Vuillard rend le 14 juillet à celui qui l’a fait, le peuple de Paris. Ce peuple qui, à la fin de la journée, « dansait, chantait, riait. Les témoignages du jour parlent d’une ambiance folle, exubérante, jamais vue. La joie. Cela n’arrive pas tous les jours ». Ce peuple qui « balança en l’air les archives de l’ordre, registres d’écrou, requêtes demeurées sans réponse, livres de comptes, que l’on vit planer, voleter, se poser sur les toits, dans la boue, sous les arbres, dans les fossés crasseux de la forteresse ».



Je vous laisse lire la dernière page, très actuelle…



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14 Juillet

14 juillet : prise de la Bastille. Comment ? Par qui ? Et pourquoi ? Voilà l’honorable finalité du roman. Les premiers chapitres installent le contexte : le décalage entre le peuple affamé et les gens de pouvoir qui n’entendent pas venir la révolution est aussi large que peuvent l’être les murs de la forteresse. Éric Vuillard, manifestement très instruit des archives historiques de l’époque, réussit ce tour de main d’incarner par une écriture mi-fictive et mi-vraisemblable les jeunes révolutionnaires qui partent à l‘assaut des murs ; dans un élan joyeux sur fond dramatique, il leur donne une identité, un nom, une profession, toutes choses communes pour une aventure néanmoins épique.
Lien : http://Nouvelle-fantastique...
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14 Juillet

Finalement, tout a commencé le 23 avril 1789 : ce jour-là, un certain Jean-Baptiste Réveillon, propriétaire de la manufacture royale de papiers peints, proclame, sans aucune gêne, devant l’assemblée électorale de son district, que « les ouvriers peuvent bien vivre avec quinze sols par jour au lieu de vingt, que certains ont déjà la montre dans le gousset et seront bientôt plus riches que lui. »

Ça ne passe pas. Non, vraiment, ça coince. Il faut dire que les gens meurent de faim.

Alors, la belle demeure, la manufacture et le jardin de la Folie Titon sont littéralement pillés, mis à sac, brûlés…

La riposte est violente, les morts nombreux.

Il est vrai que le contraste entre Paris et Versailles est saisissant : d’un côté rien ou pas grand-chose, de l’autre, une « longue file indienne de sucreries, macarons, génoises, volailles délicates, épinards frais, lentilles aussi fines que le sable, concombres juteux, belles poires d’Anjou, Inconnue la Fare, Beurré d’hiver, Pérouille…» (ah, les noms des poires, un poème !) Le luxe de Versailles, belle redondance, est simplement indécent : un crachat à la figure, une insulte au peuple qui se tue au travail.

Il faut faire attention à ces choses-là, ici comme là, autrefois comme maintenant : on est tous attirés par ce qui brille, on veut tous avoir sa part. Il faudra bien comprendre ça un jour pour éviter bien des problèmes…

Mais bon, revenons à nos Parisiens qui n’ont rien. Savent-ils qu’à Versailles, « il existe quatre horlogers de la chambre du roi, l’un d’eux a pour unique mission, chaque matin, de remonter sa montre. On dirait une farce, une rabelaiserie, absurdité d’auteur, un racontar. Mais il y a plus drôle, il y a pire. Il y a un capitaine des mulets à Versailles, quand il n’y a plus de mulets » ? On en rirait presque si l’heure n’était pas si grave et les ventres si creux.

Alors, la colère monte, la vraie colère, qui étouffe, qui fait hurler, qui donne presque envie de tuer.

On s’arme comme on peut : arquebuses, hallebardes, sabres chinois, tringles à rideaux piqués dans le Garde-Meuble de la Couronne, « boucliers de Dardanus et flambeau de Zoroastre » trouvés dans les théâtres. On fait flèche de tout bois. « Les fausses épées devinrent de vrais bâtons. La réalité dépouilla la fiction. Tout devint vrai. » Et Paris se lança…

Le narrateur le regrette : son texte ne permettra jamais d’atteindre la réalité. La vérité est impossible. Il tentera une approche, c’est tout. Personne d’entre nous n’était là. Ce jour-là.

Désolation : « Ah ! nous ne pourrons jamais savoir, nous ne saurons jamais quelle flambée parcourut les cœurs, quelle joie ; nous pourrons peut-être brûler du même feu, mais pas le même jour, pas la même heure, nous pourrons bien interroger minutieusement les mémoires, parcourir tous les témoignages, lire les récits, les journaux, éplucher les procès-verbaux, on ne trouvera rien. La véritable pierre de Rosette, celle qui permettrait d’être partout chez soi dans le temps, nous ne l’avons jamais trouvée. La vérité passe à travers nos mots, comme le signe de nos secrets. » Et pourtant, « il faut écrire ce qu’on ignore. Au fond, le 14 Juillet, on ignore ce qui se produisit. Les récits que nous avons sont empesés ou lacunaires. C’est depuis la foule sans nom qu’il faut envisager les choses. Et l’on doit raconter ce qui n’est pas écrit. Il faut le supputer du nombre, de ce qu’on sait de la taverne et du trimard, des fonds de poche et du patois des choses, liards froissés croûtons de pain. »

N’ayons crainte, quand on aura pressuré l’Histoire, qu’elle sera à sec, qu’on l’aura vidée de son jus et qu’elle n’aura vraiment plus rien à nous dire, alors, la fiction prendra le relais, le flambeau à la main et éclairera les zones d’ombre. Pas d’inquiétude, elle a de l’imagination, la fiction ! On y verra clair !

Alors, pour s’approcher au plus près, il faut citer les noms de ceux qui ont fait l’Histoire, ceux dont on ne parle jamais, ceux dont il n’est jamais question dans les livres ou que l’on évoque sous un titre générique : le peuple. Il faut l’incarner, lui rendre sa chair, sa vie, ses moments de gloire. Il a des noms, des prénoms, des professions. Et l’auteur ne se lasse pas de les dire, ces noms, car les dire, c’est leur redonner la vie, c’est les mettre en mouvement, les placer sous les projecteurs. Ce sont eux les acteurs principaux. Ils entrent en scène, sur la scène de l’Histoire. Ils ne sont ni des figurants, ni des chiffres, ni des ombres : ils s’appellent « Aumassip, marchand de bestiaux… Béchamp, cordonnier, Bersin, ouvrier du tabac, Bertheliez, journalier… Bezou, dont on ne sait rien, Bizot, charpentier… » et la liste est longue, très longue. Ce n’est que le début ! « Alors continuons, ne nous arrêtons pas, nommons, nommons… »

« Les noms sont merveilleux. »

Et ils sont nommés, les uns après les autres, un par un, une par une, les hommes, les femmes, les fils, les filles, les gens de rien, les gens de peu. Celles et ceux qui l’ont faite, cette Révolution, qui l’ont prise, cette Bastille. Ils sont terriblement jeunes, morts jeunes, si beaux. Ils viennent de partout. Ils ont chaud, il fait chaud ce mardi-là. C’est juillet, il n’y a pas d’air. Ils transpirent et sentent mauvais. Ils pleurent parfois, ils ont peur. Ils avancent, courent, tombent, grouillent, armés de tout et de n’importe quoi, portés par leur certitude qu’ils traduisent ainsi : « nous nous valons tous…il n’est pas juste que certains boulonnent toute leur vie tandis que d’autres se font servir. »

Ils sont vivants !

Ils pissent, crachent et crient. Ils insultent les forces de l’ordre : « culs-crottés, savates de tripières, pots d’urine, bouches-à-becs, louffes-à-merde, boutanches-à-merde, et toutes les choses-à-merde, et toutes les couleurs-à-merde, merde rouges, merdes bleues, merdes jaunilles. » Il y a du Rabelais et du Hugo chez Vuillard. Un bain de mots qui mousse et qui déborde. La foule devient poète, le peuple se fait génie !

Et on sent qu’il les aime, ces gens dont il parle, ce Vuillard, qu’il a du mal à les quitter, ces anonymes qui ont eu l’espace d’un instant leur petit moment de gloire, leur micro-épopée avant de mourir ou de retomber dans l’oubli et le néant : « Gardons-les encore contre nous un instant, ces huit à dix autres, par la grâce d’un pronom personnel, comme de tout petits camarades ».

Un texte magistral qui nous entraîne auprès de ceux qui ont fait l’Histoire dans une écriture bouillonnante et puissante où les mots ont l’épaisseur des corps qui ont péri et qu’on le veuille ou non, ils nous parlent, ces Lelièvre et ces Leloup, ces Tronchon et ces Valin, comme s’ils avaient encore quelque chose à nous dire.

On ne sait jamais, au cas où l’Histoire se répéterait… Tendons l’oreille…


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14 Juillet

Tous les profs d'histoire qui ont attisé nos peurs des "interros écrites" nous ont parlé de ces grands hommes, généraux, rois, empereurs qui ont fait l'Histoire, qui ont gagné ou perdu des batailles. Les soldats qui crevaient sur le terrain étaient toujours oubliés. Un soldat fait la guerre, un général la gagne.

Au sujet du 14 juillet, ils nous imposaient simplement d'être en mesure de répondre "Prise de la Bastille". Aucun historien, aucun prof nous a parlé dans le détail de ces petites gens, qui versaient leur sang. De temps en temps ils nous parlaient du "peuple" et c'est tout.

Eric Vuillard donne des visages, des noms et des prénoms à ce peuple de Paris, et nous transporte parmi ces gueux et ces gueuses qui, ce jour là ont fait basculer l'Histoire, ces " pauvres filles venues de Sologne et de Picardie, [...] mordues par la misère et parties en malle-poste, avec un simple ballot de frusques. Nul n'a jamais retracé leur itinéraire de Craponne à Paris [...]. Nul n'a jamais écrit leur fable amère." On été nommé par le nom de son métier, de son village d'origine, ou on était défini par un défaut, Loucheur, Bigot. Même les noms des rues définissaient les métiers qui s'y exerçaient, Petit-Musc anciennement Pute-y-Muse...

Plus qu'un manuel d'histoire, il s'agit d'un travail de chroniqueur rapportant jour après jour, heure après heure, chronologiquement, des faits en langue vulgaire...c'est à dire en langue du peuple (Vulgus :le peuple)....il s'agit de la définition ancienne, celle que nous trouvons dorénavant en second dans les dictionnaires, passant après celle s'appliquant de nos jours à nos animateurs radio ou télé.

Eric Vuillard, s'est fondu dans cette foule. En donnant un nom et un prénom ancien, une identité et un passé à chacun de ces héros anonymes, à leurs petits métiers disparus depuis bien longtemps, en décrivant leurs habits, leur vie, leurs armes de bric et de broc, il nous transporte au cœur des lieux et de l'action.

Il nous rappelle aussi le contexte historique, les travaux pharaoniques d'aménagement de Versailles, les dépenses somptuaires de Marie-Antoinette, ses boucles d'oreilles, mouches et perruques, la banqueroute qui guette le régime, la dette publique qui ne cesse de croître, financée par des banquiers imposant des taux d'intérêt significatifs, le chômage : "Pour six cent mille habitants, Paris comptait quatre-vingt mille âmes sans travail et sans ressources".

Un contexte historique assez troublant qui nous renvoie à notre propre actualité.

En allant chercher de la poudre et des armes dans cette Bastille, aux portes du Marais, aucun ce ceux qui y perdirent la vie ne soupçonnait que ce mardi 14 juillet deviendrait une journée mythique, La Fête Nationale. Cette Bastille, dont la démolition fut commencée, une fois prise, le jour même.

Eric Vuillard a consulté de nombreuses archives de la police, de la ville, les écrits de l'époque. Il a exhumé de la poussière des patronymes disparus et redonné vie à une partie de ces 954 noms, figurant sur la liste officielle des vainqueurs de la Bastille, à quelques uns de ces 98 morts, qui ont commencé à faire vaciller un régime et qui, sans le savoir, ont fait la grande Histoire.

Pour nombreux d'entre nous cette journée est devenue un jour férié, une possibilité de pont, un jour de repos et de fête. Sa symbolique est souvent oubliée. Dans les dernières lignes Eric Vuillard écrit : "On devrait plus souvent ouvrir nos fenêtres. Il faudrait de temps à autre, comme ça, sans le prévoir, tout foutre par-dessus bord. Cela soulagerait. On devrait, lorsque le cœur nous soulève, lorsque l'ordre nous envenime, que le désarroi nous suffoque, forcer les portes de nos Elysées dérisoires, là où les derniers liens achèvent de pourrir, et chouraver les maroquins, chatouiller les huissiers, mordre les pieds de chaise, et chercher, la nuit, sous les cuirasses, la lumière comme un souvenir."

A méditer


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14 Juillet

Je viens à l'instant de vivre une curieuse expérience : celle du voyage spatio-temporel (rien que ça !)



Le temps d'une ou deux soirées épiques, un magicien nommé Eric Vuillard m'a transporté dans l'effervescence parisienne de ces quelques jours de juillet 1789 qui bouleversèrent L'Histoire. Quelle aventure !



Une immersion totale, un récit enflammé (enfants de la patrie, prenez vos baïonnettes !), un vocabulaire d'une richesse folle (pensez également à votre dictionnaire !), et des héros magnifiques, brièvement mais superbement mis en lumière par un nom, un costume ou un métier, et aussitôt rendus à leur anonymat...

Car l'auteur ne s'attarde pas sur un ou plusieurs personnages centraux : le héros de son livre c'est "on", c'est la foule, c'est Paris, et c'est un peu nous aussi, entrainés par la multitude dans la cour enfumée de la Bastille. Ca sent la poudre et la sueur, la rage et la peur.



Si Delacroix avait ses pinceaux, Vuillard a sa plume, et son style est vraiment saisissant ! Aucun dialogue, seulement des scènes furieuses, des tableaux criant de réalisme sur la France de l'Ancien Régime, pour un joli feu d'artifice littéraire !
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14 Juillet

Une prise de la Bastille à ras d'hommes



J'ai eu la chance d'entendre Eric Vuillard présenter son livre à Manosque, il avait fait preuve d'un tel enthousiasme pour parler de son roman que je m'étais promis de le lire très vite.



Eric Vuillard plante le décor en ouvrant son récit sur l'émeute Réveillon du 23 avril. Prémices du 14 juillet, cette émeute fera 300 morts lors de la journée la plus meurtrière de toute la révolution. Jean-Baptiste Réveillon, propriétaire de la manufacture royale de papiers peints, avait réclamé une baisse des salaires alors que la famine sévissait dans une France criblée de dettes.



Eric Vuillard nous raconte la prise de la Bastille à hauteur d'homme, il met en scène le peuple. Il fait revivre tous ces invisibles en leur donnant des noms, un métier, une région d'origine... Des métiers qui racontent la vie de ces hommes, des métiers qui pour certains n'existent plus. C'est une véritable avalanche de noms, de métiers avec laquelle Eric Vuillard nous embarque pour vivre ces journées historiques.



Il nous fait vivre la nuit du 13 juillet et la journée du 14 juillet heure par heure, des Invalides à la Bastille. Environ 200 000 personnes, hommes, femmes, ouvriers, petits commerçants, artisans, bourgeois, étudiants, pauvres... sont dans les rues "il faut se figurer une foule qui est une ville, une ville qui est un peuple." "La Bastille est assiégée par Paris." et décrit avec ironie les "gens de l'hôtel de ville" qui viennent calmer les esprits.



Eric Vuillard mêle une part de fiction à son récit autour de certains de ses personnages, il invente des noms de femmes qui apportent la poudre, les repas (peu de noms de femmes figurent dans les archives), il utilise le "on" pour parler de la foule, invente des mots "les mouches rognonnaient", utilise des mots d'argot "le frichti", glisse des anachronismes lorsqu'il parle de traders par exemple. "La vérité passe à travers mes mots comme le signe de nos secrets."

Le "je" de l'écrivain "Oh! je sais, on me l'a dit, ..." apparait aussi de temps en temps.



En filigrane il évoque ses sources, les écrits qu'ont laissés des gens du peuple parfois rédigés par des écrivains publics lorsqu'ils étaient illettrés, des écrits empreints de vérité où ils racontaient simplement ce qu'ils avaient fait ce jour là. Il s'est aussi appuyé sur les procès-verbaux retrouvés aux archives de la police au Chatellet.



Il pointe également les points communs avec la situation actuelle avec son lot de dettes et d' inégalités et termine son récit sur une espérance avec une belle fin poétique, une rêverie optimiste avec une belle image d'une pluie de papier "je n'ai jamais pris l'espoir pour une illusion lyrique".



Eric Vuillard rend parfaitement l'atmosphère qui a dû régner ce jour là, cela grouille, cela bouillonne dans ce texte foisonnant au rythme souvent haletant. J'ai ressenti une impression incessante de mouvement, le mouvement de cette foule qui a tout fait céder devant elle.

Eric Vuillard est un écrivain qui met l'histoire au centre de son œuvre, il a parfaitement réussi à restituer cet événement si hautement symbolique et à le rendre passionnant.






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14 Juillet

J’ai beaucoup apprécié le nouveau livre d’Eric Vuillard. Il dresse, dans un récit court mais incroyablement intense, le tableau minutieux d’une journée mythique de l’Histoire de France : le 14 Juillet 1789. Mais il ne le raconte pas de manière scolaire et globale. Non, il écrit cette journée – horrible et belle - à partir de la foule, du peuple et de l’émotion de tous ces anonymes oubliés. Cela donne un récit prenant, doté d’un joli souffle poétique.

L’idée de l’auteur est de creuser derrière le mythe et de rendre hommage à cette foule et à toutes ces individualités qui font peuple et bouleversent l’Histoire. A partir des gestes et des émotions de la banalité et du quotidien, l’auteur retrace le déroulement de cette journée menant à la prise de la Bastille et à l’écroulement d’un vieux Monde.

Ce qui m’a passionné est la mise en scène d’un collectif bigarré, composé de gens de partout, tellement différents, qui arrivent à s’unir pour changer les choses, même symboliquement, et pour créer l’Histoire. Comme tout récit historique, c’est avant tout à prendre telle une nourriture de réflexion sur notre époque et sur tous ses oubliés.
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14 Juillet

Tout commence par la révolte dans un atelier de papiers peints, lorsque le patron Jean-Baptiste Révillon veut réduire les salaires de trois cents de ses employés. Nous sommes le 23 avril 1789.



Cinq jours plus tard, la colère gronde, ON envahit la demeure de J.B. Révillon :

« On pilla la belle demeure, on brisa les vitres, on arracha les baldaquins des lits, on griffa les tapisseries des murs. Tout fut cassé, détruit. On abattit les arbres ; on éleva trois immenses bûchers dans le jardin. Des milliers d’hommes et de femmes, d’enfants, saccagèrent le palais »



Peu à peu, au fil de son récit Eric Vuillard donne des noms et des identités à ces « ON ». Ils deviennent Antoine Salomon, cocher, Jean Morin, tailleur de pierres, Charles Glaive, papetier, Jean Robert, allumeur de réverbères et tant d’autres pris dans la masse d’une foule surexcitée par la chaleur exceptionnelle de cet été 1789.



Ils se dirigent vers la Bastille, le symbole qu’il faut abattre. Ils ont chacun leur motivation et quand ils pressent sur le pont-levis, c’est bien plus qu’une armée qui vient tenter de pousser cette porte qui s’interpose entre le peuple et le Roi.



Eric Vuillard nous raconte ce « 14 juillet » comme aucun livre d’histoire ne l’a jamais fait, à travers des personnages inconnus et qui vivent réellement l’événement. Ici, pas de héros ou de personnage principal, nous suivons la foule et les passants lors de la Révolution.



Je ne connaissais absolument pas Eric Vuillard et je ressors totalement convaincu d’avoir lu le texte d’un grand écrivain.

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14 Juillet

14 juillet, sans surprise, c’est le récit de la prise de la Bastille ainsi que des semaines qui l’ont précédée. À ce compte-là, autant aller voir du côté de François Furet, Jules Michelet ou Edgard Quinet, me direz-vous (ou pas, d’ailleurs). Sauf que Vuillard n’a pas la prétention d’être historien. S’il s’appuie sur une riche bibliographie et des sources précises – on imagine qu’il a passé bien du temps, comme un historien, à fréquenter les archives – il ne quitte pas sa position d’écrivain. Un écrivain d’ailleurs bien présent, s’insinuant dans le récit, dirigeant son regard – et, partant, le nôtre – de tel côté, sur tel personnage, et se plaisant à imaginer ce que les archives ne disent pas, ce que les livres des historiens ne montrent pas forcément si ce n’est comme une sorte d’ensemble compact : Vuillard s’intéresse au peuple. Et dans ce peuple, il s’attarde sur des individualités. De celles dont les archives n’ont parfois laissé qu’un patronyme, parfois juste un surnom, quelque fois un métier, un lieu de naissance, une filiation. Il se contente parfois de les voir sur un tableau ou une gravure et imagine à quel nom d’une liste de blessés ou de morts, ils peuvent correspondre. Pour ceux à propos desquels les sources disent plus, il extrapole, imaginant leurs pensées, leurs sentiments, la trouille, la colère, le courage, au moment de se lancer à l’assaut de la forteresse.

« Le matin, on avait dévalisé le Garde-Meuble de la Couronne. Un flot bariolé glissa par ses nobles arcades. On se bouscula dans les grands escaliers et les somptueux salons, puis on déboucha dans la salle d’armes. Une foule ahurie arracha à leurs niches deux canons de parade, présents du roi de Siam. Imaginez ces gueules exotiques, damasquinées d’argent, sur leurs affûts de bois des Indes vernis de noir : on les traîne de marche en marche, on les fait glisser sur les rampes. Alors, les poings dérobèrent leurs armes aux casiers d’acajou, les lances dorées des anciens preux passèrent aux mains des tanneurs et les casques des chevaliers ornèrent les têtes des grisettes. Quelques-uns se couvrirent sans doute en riant de lambeaux d’armure de Philippe Auguste, puisqu’on devine, sur un tableau du temps, la silhouette incongrue d’un chevalier dans les rues de Paris. »

Il livre ainsi une histoire au ras du peuple des débuts de la Révolution française, lui donne une chair d’une épaisseur rarement vue, n’hésite pas à intervenir lui-même, à dire ses doutes, sa compassion à l’égard de tel ou tel personnage, et aussi son admiration. D’une plume riche et leste, il peint le Paris bouillonnant, crasseux et écrasé de chaleur de ces jours d’été et se laisse aller volontiers à quelques moments épiques lors des moments d’action. Bref, il donne vie aux faits et aux gens, ne serait-ce que pour des instants fugaces qui valent bien des éternités.

« Ah ! Que c’est émouvant les noms propres ; le bottin de la Bastille, c’est mieux que les dieux dans Hésiode, ça nous ressemble davantage, ça nous rafraîchit la cervelle. Alors continuons, ne nous arrêtons pas, nommons, nommons, rappelons les faméliques, les cheveux longs, les gros blairs, les yeux louches, les beaux gars, tout le monde. Rappelons un instant ce Saint-Éloy, qui par un heureux hasard des noms vit à Saint-Éloi et qui fait le beau métier de teneur de bain, rappelons Saveuse, le gendarme, Sassard le couillon, Scribot, le cul-terreux, Servant, l’employé, Serusier, le marchand de légumes, et les deux Simonin, l’un de Ludres, l’autre de Bayonne, et Thurot, de Tournus, et le grand Athanase Tessier, que personne ne connaît, venu de Gisors, tout seul sans doute, et qui à 23 ans se trouve là, au milieu de la foule, heureux. Car ils sont drôlement jeunes devant les fossés de la Bastille. »

Voilà un roman, un document, une sorte de docu-fiction, pour parler comme à la télévision, vibrant de vie et engagé qui mérite qu’on le lise et même qu’on le relise.


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14 Juillet

Éric Vuillard nous livre ici un récit foisonnant, émouvant et superbement écrit de la prise de la Bastille. Il redonne vie au peuple qui en ce rare jour se rassemble et se met à exister. Cette manière de décrire dans son épaisseur et avec ses protagonistes dont on ne connaît et après de méticuleuses recherches parfois que le nom, les modalités de leur mort, leur acte de bravoure ou de hasard est un magnifique hommage au petit peuple. J'ai beaucoup aimé cette façon de faire vivre l'histoire, de la raconter précisément, fidèlement en tout cas par rapport à la trace des actes, aux pensées des puissants et des autres, à leur chronologie.

Les lieux ont aussi droit à une reconstitution concise, et précise. Bien sûr, un écho à notre propre époque s'y retrouve sans excès mais cela sonne très juste, la crise économique d'alors et sa masse de chômeurs ou de petits métiers savoureusement nommés et révélés, la désespérance puisque la survie n'est plus que l'unique but accessible et encore ! d' une majorité de personnes, a permis l'événement rare de la naissance de l'expression d'un peuple qui se rassemble et se soulève. Ce qui marquera à jamais notre récit national.

Belle découverte en ce qui me concerne que cet ouvrage, que j'ai lu sans doute trop vite mais sa relecture sera un peu comme quand on revoit un film, c'est d'ailleurs écrit comme cela, plein de détails seront alors remarqués et enrichiront la première vision.

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14 Juillet

Sélection du prix des lecteurs Escales 2017Le dernier livre que je lis dans la sélection du prix des lecteurs Escales du livre 2017 de Bordeaux. Et je vais avoir beaucoup de mal à choisir mon préféré car j’ai eu des plaisirs de lecture à chacun des romans.Pour le « 14 juillet » de Eric Vuillard, nous sommes emportés dans les jours qui entourent le 14 juillet. Le texte commence le 23 avril 1789 et un certain Reveillon qui proclame à l’assemblée que « les ouvriers peuvent bien vivre avec quinze sols par jour au lieu de vingt, que certains ont déjà la montre dans le gousset et seront bientôt plus riches que lui. » ( !!!). Avec une belle écriture, allègre, rapide, l’auteur nous parle des « gens » qui ont participé à cette insurrection. Chacun est nommé, on en apprend un peu plus sur certains, d’où viennent-ils, que sont-ils devenus après le 14 juillet, quels étaient leur profession. On se retrouve alors avec un florilège de petits métiers. On déambule aussi dans les rues, sur les places de Paris. Une écriture qui tourbillonne, on court dans les rues ou on se cache dans les recoins de porte pour voir les canons tirés, les hommes et les femmes protester, batailler. Un texte tourbillon et qui transcrit très bien l’effervescence des moments qui se sont passés pendant ces journées de résurrection. Un roman historique mais qui peut avoir certains échos actuels. Une lecture plaisante, entraînante et troublante.« Et c’est inouï le nombre de bègues devenus orateurs et le nombre de cancres devenus écrivains. La vie est bien curieuse, qui nous attrape par où elle a manqué. » (p46)« Car il faut bien vivre, il faut bien mener sa barque, on ne peut pas s’insurger toujours ; on a besoin d’un peu de paix pour faire des enfants, s’aimer et vivre. » (p60)« On devrait plus souvent ouvrir nos fenêtres. Il faudrait du temps à autre, comme çà, sans le prévoir, tout foutre par-dessus nord. Cela soulagerait. On devrait, lorsque le cœur nous soulève, lorsque l’ordre envenime, que le désarroi nous suffoque, forcer les portes de nos Elysées dérisoires, là où les derniers liens achèvent de pourrir, et chouraver les maroquins, chatouiller les huissiers, mordre les pieds de chaise, et chercher, la nuit, sous les cuirasses, la lumière comme un souvenir. » (p200)
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14 Juillet

Dans la mémoire collective française, le 14 Juillet est une date particulièrement importante et à laquelle est associée la prise de la Bastille. Cette date-clé est enseignée à tous les enfants comme étant l’un des tournants historiques de la France.



Eric Vuillard choisit d’aborder cet événement historique majeur en le racontant du point de vue de ceux qui y ont participé. Pour cela, il fait débuter sa narration quelques semaines plus tôt, afin de raconter le contexte social de la Révolution française. Il choisit toujours de prendre le ton de la narration plutôt que celui de l’explication : ce livre n’est pas un livre d’Histoire mais bien un récit, un roman historique.



Eric Vuillard place son lecteur au milieu de la foule et chacun devient spectateur de la montée des protestations jusqu’à la prise de la Bastille. Le récit est très visuel, extrêmement dynamique, ce qui rend cette lecture très plaisante et facile. Bien que cette écriture facilite la lecture, elle ne me restera pas longtemps en mémoire. Par ailleurs, j’ai regretté que le parti pris de ne raconter que le point de vue du peuple empêche de raconter la globalité du contexte de la prise de la Bastille.



On termine donc cette lecture avec l’impression d’un manque ou le besoin d’une lecture complémentaire.
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14 Juillet

J'ai lu ce livre dans le cadre de mon club de lecture. Il faut dire que les récits historiques ne sont pas dans mes lectures de prédilection.

Les premières pages ont aiguisé ma curiosité et j'ai appris beaucoup de choses : la Folie Titon d'où a décollé la première montgolfière au monde, le passage sur les changements incessants de Paris que les cartographes essayaient de dessiner tels des peintres, les métiers disparus...

La promesse du livre était de rendre hommage aux anonymes de la foule, les gens du peuple qui étaient là le jour de la prise de la Bastille. Ainsi, ils ont un nom, un métier, on sait d'où ils viennent. J'ai malheureusement vite déchanté. Cela s'est vite transformé en une énumération répétitive.

La lecture est assez irrégulière passant de passages passionnants à d'autres d'un ennui à sauter des pages.
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14 Juillet

Le 14 juillet du peuple reconstitué minutieusement, l'histoire d'une foule composée d'individus qu'Eric Vuillard fait revivre. Ce récit n'est pas romancé, c'est un récit de chair et de sang, on entend la respiration de ces Jean Robert, Antoine Salomon, Charles Glaive, Mammès Blanchot, on sent leur sueur et les battements de leur coeur. C'est l'histoire des petits, des impuissants, qui un jour d'été font l'Histoire, sous les murailles de la Bastille.

Eric Vuillard réussit avec un talent inouï à suspendre le temps, et dans une cadence incroyable de phrases courtes et de longues énumérations, à étirer une journée folle, dont nul ne connaît l'issue, mais dont tous les acteurs pressentent la singularité et la force.
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14 Juillet

Nous sommes en avril 1789, Jean-Baptiste Réveillon, roi du papier peint, a une idée lumineuse :

« Il emploie plus de trois cents personnes dans sa fabrique, rue de Montreuil. Dans un moment de décontraction et de franc-parler stupéfiant, il affirme que les ouvriers peuvent bien vivre avec quinze sol par jour au lieu de vingt, que certains ont déjà la montre dans le gousset et seront bientôt pus riches que lui Réveillon est le roi du papier peint, il en exporte dans le monde entier, mais la concurrence est vive ; il voudrait que sa main-d’œuvre lui coûte moins cher. »

Ce fut le début. La petite folie du sieur Réveillon sera détruite

« Le soir, on parvient à forcer l’entrée de la folie Titon. C’est la revanche de la sueur sur la treille, la revanche du tringlot sur les anges joufflus. La voilà la folie, la folie Titon, là où le travail se change en or, là où la vie rincée mute en sucrerie, là où tout le turbin des hommes, quotidien, pénible, là où toute la saleté, les maladies, l’aboi, les enfants morts, les dents pourries, les cheveux filasses, les durillons, les inquiétudes de toute l’âme, le mutisme effrayant de l’humanité, tous les monotonies, les routines mortifiantes, les puces, les gales, les mains rôties sur les chaudières, les yeux qui suivent dans l’ombre, les peines, les écorchures, le nique de l’insomnie, le niaque de la crevure , se changent en miel, en chants, en tableautins. »

Tout au long du livre Eric Vuillard prend fait et cause pour les insoumis, les pauvres, les travailleurs, les petites gens, ceux qui sont juste un cran au-dessus, mais si peu. Il prend soin de les nommer, de nous parler de leurs vies. Ces petites gens qui croulent sous le travail, les dettes, se soûlent de mauvais vin, il les magnifie, il leur enlève leur anonymat, à l’inverse d’un Michelet qui ne parle que des grands hommes.

« Michelet sépare le peuple, l’immense masse noire qui avance depuis le faubourg Saint-Antoine, de son représentant, qui devient le véritable protagoniste de l’Histoire. »



« Qu’est-ce qu’une foule ? Personne ne veut le dire. Une mauvaise liste, dressée plus tard, permet déjà d’affirmer ceci. Ce jour-là à la Bastille, il y a Adam né en Côte-d’Or, il y a Aumassip, marchand de bestiaux, né à Saint-Front-de-Périgueux, il y a Béchamp, cordonnier, Bersin, ouvrier du tabac, Bertheliez, journalier venu du Jura, Besou dont on ne sait rien, Bizon, charpentier, Mammès Blanchot, dont ne sais rien non plus, à part ce joli nom qu’il a et qui semble un mélange d’Egypte et de purin. »

L’auteur raconte l’exubérance, telle une liane de la ville de Paris dont chaque carte est obsolète avant sa parution. Paris qui est à la fois une dame du monde et une gueuse, une royaliste et une révolutionnaire, bref, une ville très vivante.

« Les rues se prolongent, les vieilles maisons sont démolies, et la ville continue de ‘étaler sans cesse, lascive, concupiscente. »

Eric Vuillard, est également cinéaste et cela se sent dans son écriture très visuelle. J’ai vu avancer, grossir la foule armée de peu, j’ai vu tomber les premiers corps, j’ai senti la peur, la grosse trouille mais aussi la folie qui s’est emparée de tous ces anonymes. J’ai vu les survivants chercher les corps, pleurer les femmes

La force de ce livre, outre l’écriture ? faire réfléchir… Toute ressemblance avec les évènements actuels pourrait ne pas être fortuit, comme l’enrichissement brutal, pas toujours légal et ou décent, la morgue des « puissants »…

Eric Vuillard nous le dit :

« On devrait, lorsque le cœur nous soulève, lorsque l’ordre nous envenime, que le désarroi nous suffoque, forcer les portes de nos Elysées dérisoires, là où les derniers liens achèvent de pourrir et chouraver les maroquins, chatouiller les huissiers, mordre les pieds de chaise, et chercher, la nuit, sous les cuirasses, la lumière comme un souvenir. »

Coup de cœur


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14 Juillet

Un pays fortement endetté ; des politiques attentistes qui se suivent et se ressemblent, incapables de prendre la moindre décision ; des banquiers qui jouent en bourse ; des riches qui s'amusent et des pauvres qui survivent comme ils le peuvent ; le mépris ; le chômage ; les baisses de salaires pour rester concurrentiel à l'international....Et puis les grèves, les émeutes, les forces de l'ordre contraintes de tirer dans la foule... Bienvenue en 2017 ! Oups, je voulais dire en 1789 !



Dans ce roman d'une actualité déconcertante, Eric Vuillard revient sur les événements de juillet 1789, et plus précisément sur la journée du 14 juillet et la prise de la Bastille, vue du côté des pauvres et des sans-noms. Pas de personnage principal ici, mais une foule, dense et anonyme, armée d'un rien, de laquelle s'échappe de temps à autre un homme, le temps d'un bref coup d'éclat : des identités surgissent, un nom ou un pseudonyme accompagné parfois de descriptions physiques, de métiers ou de morceaux d'existence. Certains ont laissé des écrits de cette journée, mais la plupart ne sont rien de plus que des noms sur des rapports officiels ou des descriptions de corps retrouvés dans les rues...



Dans ce récit, tout n'est que bruit et fureur. L'ambiance fébrile et survoltée de ce début de révolution est très bien retranscrite, on s'imagine sans difficulté dans les rues de Paris, au milieu de la foule, à fixer cette forteresse écrasante qui refuse d'ouvrir ses portes. La plume d'Eric Vuilllard nous transporte d'un bout à l'autre de la Bastille pour nous faire vivre les évènements en temps réel, l'auteur nous place au plus près de l'action, sur les pas de tel ou tel personnage dont nous partageons les espoirs et les souffrances un court instant. L'écriture, faite d'accumulations de détails (des noms qui se suivent, des descriptions physiques, des inventaires, etc.) se lit pourtant très facilement : je n'aime pas trop les descriptions à rallonge et les énumérations sans fin, néanmoins je me suis laissée emportée par l'histoire et j'ai lu 14 juillet quasiment d'une traite, emportée par le rythme soutenu du récit.
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14 Juillet

Que savons-nous réellement de cette journée du 14 Juillet 1789 que nous célébrons chaque année au son des flonflons et des parades militaires? Eric Vuillard fait revivre cette journée si particulière dont le moins que l'on puisse dire c'est qu'elle ne ressemble pas tout à fait à la geste héroïque telle que nous l'avons apprise dans nos livres d'histoire. Il nous rappelle qu'elle fut précédée d'autres journées de révolte qui eurent leurs saccages et leurs morts que l'on croyait animés par la rapine alors qu'ils ne l'étaient que par la désespérance. Puis c'est "la prise de la Bastille" et ce qu'Eric Vuillard nous donne à vivre c'est un instantané révolutionnaire, en nous plaçant au milieu de cette foule hétéroclite d'hommes et de femmes, parisiens issus d'ailleurs, animés par la même envie d'être enfin entendus. Une masse d'individus, rassemblée là, devant ce symbole de l'absolutisme, qu'il fallait bien faire choir puisque l'on n'avait pas compris les signes précurseurs de son exaspération. Une forteresse dont il fallait que l'on s'emparât sans que l'on sache d'abord comment s'y introduire. Par la plume d'Eric Vuillard, tous ces "gens" qui d'une manière ou d'une autre prirent part à cet évènement unique nous entrainent dans leur aventure. Nous connaissons leur nom, leur âge, leur métier, la rue ou le quartier qu'ils habitent, leur rôle dans cette entreprise hasardeuse : meneur, exécutant, soutien, badaud. Nous voilà avec eux, essayant de trouver des interlocuteurs, ramenant des planches pour franchir les fossés, partant à la recherche d'armes et de munitions, de tissu pour panser les plaies de blessés, de civières pour emmener les morts. Nous voici nous aussi gagnés tour à tour par l'indécision, la colère, l'allégresse, la déception, l'épuisement puis finalement l'hébétude du succès.

J'ai beaucoup aimé ce 14 Juillet par "ceux qui l'ont fait". Ce livre très documenté, fourmillant de détails est terriblement vivant et vaut tous les défilés militaires, les garden - parties et les bals musettes donnés en mémoire de tous ces "sans-culotte" à qui l'on commença enfin à s'intéresser.

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14 Juillet

Tout a été dit déjà, que puis-je ajouter?

Malgré tout , dans ce récit au présent, mené tambour battant, d'une façon descriptive extraordinaire, nous revivons les heures fiévreuses, le bruit et la fureur au coeur de la tourmente.L'auteur offre un nom, un visage, un métier, une fonction aux "petits", aux " riens du tout", des héros , ces hommes et ces femmes, qui, dans un élan joyeux, la peur au ventre, dans le désordre, la fumée , la mitraille, la poussière , ont fait l'histoire "sans le savoir".

Ces gueux et ces gueuses , sans y croire, allaient faire basculer le destin d'un pays!



Comment s'appelaient t- ils d'ailleurs, ceux qui ont donné un coup de boutoir au régime et ébranlé un régime ô combien archaïque ? Aumassip, marchand de bestiaux, Béchamp le cordonnier, Bizot, charpentier, Bersin, ouvrier du tabac, Mammés Blanchot , dont on ne sait rien, des invisibles, des pauvres filles venues de Sologne et de Picardie, hantées par la misère et le dénuement , amères et révoltées.............



Un exercice mené de main de maître à toute allure, un récit à taille humaine et une multitude d'histoires dans la Grande histoire...cette prise de la Bastille , comme si on y était !

Comme si nous étions auprés de ce peuple en marche pour la révolution !

Bel hommage mérité à ces anonymes , leurs hésitations, leur trouille , leur générosité, le grain de folie qui fit avancer ces ci- devants, ces sans droits !

Lu dans le cadre "du prix historique Jean d'heurs" , spécifique à mon département .









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14 Juillet

14 JUILLET – Eric VUILLARD – Actes Sud (en librairie le 17 août 2016)



Quel génie ! Quelle écriture ! Quel hommage ! Quelle perspicacité ! Quelle finesse !



Les historiens ont toujours pris un ou deux personnages phares pour nous relater le fameux 14 Juillet, or Eric VUILLARD après avoir consulté les archives honore en les nommant, un par un, métier par métier, le peuple de Paris qui a pris La Bastille.



Dès les premières pages, on est saisi, car la situation actuelle est très semblable à ce que le petit peuple vivait à l’époque.



« Le 23 avril 1789, Jean-Baptiste Réveillon, propriétaire de la manufacture royale de papiers peints, s’adresse à l’assemblée électorale de son district et réclame une baisse des salaires. Il emploie plus de 300 personnes dans sa fabrique, rue de Montreuil. Dans un moment de décontraction et de franc-parler stupéfiant, il affirme que les ouvriers peuvent bien vivre avec quinze sols par jour au lieu de vingt … Réveillon est le roi de papier peint, il en exporte dans le monde entier, mais la concurrence est vive ; il voudrait que sa main-d’œuvre lui coûte moins cher ».



Tout au long du récit, par-ci par-là, nous avons l’impression que l’auteur nous parle d’aujourd’hui. A un moment donné, nous voyons d’une manière très nette, l’image du DRH d’Air France dont la chemise a été déchirée par les salariés en colère il y a à peine un an de notre ère.



D’ailleurs le petit peuple de Paris était surtout constitué des étrangers ! qui parlaient du patois et même du sous-patois.



Il est également beaucoup question de l’importance des« mots ». Cette rentrée littéraire nous livre des œuvres dont l’un des sujets importants sont « les mots ». « Mais depuis avril, on cause. La bouche produit des mots. Beaucoup de mots. Une avalanche ». « Mirabeau prononça alors sa grande phrase commençant par le peuple et terminant sur La force des baïonnettes. Ah ! c’est comme si parfois un homme avait attendu toute sa vie de dire quelques mots. … Il dit. La grosse gueule s’ouvre pour la première fois avec autant de souffle et de culot. La volonté de peuple vient de faire son entrée dans l’Histoire ».



Avant la prise, il y a eu plein de députations envoyées à la Bastille ce jour-là : « Dès qu’un esprit fermente on l’emprisonne, dès que cent ou mille esprits fermentent on envoie les gendarmes leur tirer dessus, mais quand des dizaines de milliers d’esprits fermentent de conserve, on envoie une députation, on noue un tire-jus au bout de son stick, et on l’ébroue gentiment ».



A l’époque sur 600 000 habitants de Paris 80 000 âmes étaient sans travail et sans ressources – 13% de la population était donc au chômage. « Le chômage est une école exigeante. On y apprend que l’on n’est rien ».



Une idée nous traverse l’esprit : qu’attendons-nous ?

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14 Juillet

La prise de la Bastille vue de l'intérieur, cela donne avec Eric Vuillard un récit rythmé, dynamique et enlevé, au vocabulaire d'époque riche sans être pédant. Il y focalise son attention sur le peuple de Paris, quand ce n'est pas la ville elle-même qui est personnifiée : "Paris, c'est une masse de bras et de jambes, un corps plein d'yeux, de bouches, un vacarme donc, soliloque infini, dialogue éternel, avec des hasards innombrables, de la contingence en pagaille, des ventres qui bouffent, des passants qui chient et lâchent leurs eaux, des enfants qui courent, des vendeuses de fleurs, des commerçants qui jacassent, des artisans qui triment et des chômeurs qui chôment."

Ici, ce sont les événements qui dictent la mise en scène des personnages, même s'il n'y en a pas un que l'on suivrait du début à la fin comme dans un roman classique. Il faut dire que de classique il n'y en a pas vraiment tant l'écriture est originale, moderne j'ai envie de dire (même si je sais pas trop ce que c'est, une écriture moderne). En tout cas cela fonctionne du tonnerre, grâce aussi peut-être au ton distancié, l'emploi du "on" en pronom de prédilection quand Eric Vuillard n'évoque pas de personne en particulier, sans oublier l'ironie désenchantée qu'il sait manier habilement, comme si tout cela - malgré le caractère historique, ne relatait finalement que de vies d'humains parmi tant et tant, c'est à dire pas grand chose.

Après avoir beaucoup aimé "L'ordre du jour", du même acabit, j'ai aussi beaucoup aimé ce "14 juillet", sans être pour autant un spécialiste d''histoire.
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