J'ai toujours aimé le train. Enfant, j'étais malade en voiture. Ce confinement de plusieurs heures dans un habitacle réduit, sentant le similicuir, les hydrocarbures, le nuage de laque sur la mise en plis maternelle, la fumée des gauloises paternelles, l'ennui, l'immobilisation forcée, la peur de l'accident, les virages, tout cela faisait du départ en vacances un long supplice. Je tentai une fois de l'abreger en m'enfuyant en courant sur le bas côté d'une départementale à la faveur d'un arrêt pipi, secouée de nausées du mal des transports et renonçant à trouver une quelconque empathie pour le désespoir qui me gagnait. Arrivée à l'adolescence puis à l'âge adulte, je renouai avec bonheur avec les déplacements ferroviaires. Leur rusticité même me paraissait sinon plaisante, du moins secondaire, en comparaison de toutes les libertés qu'elle m'offrait. Je note au hasard et dans le désordre : liberté d'acheter un billet au dernier moment, et dans la moindre gare de petite ville, voire de gros village, pour la destination offerte sur la ligne, ou une plus lointaine, en jouant avec les correspondances: liberté de réserver une place assise ou de voyager dans le couloir, en respirant l'air de la campagne après avoir abaissé les vitres, liberté de m'asseoir dans un compartiment vide, ou de choisir mes compagnons de voyages, liberté de voyager dans un espace fumeur ou non fumeur, liberté d'interrompre mon voyage puis de le reprendre sur un autre train, puisque qu'on payait un trajet et non l'usage d'un train et d'un seul. Liberté de lire sans être malade, de me dégourdir les jambes en arpentant les wagons. de rêver devant un paysage lisible car défilant à petite ou moyenne vitesse. Liberté de m'assoupir sur les plus longues distances, et de me réveiller avec le soleil du Sud et la chaleur montante du matin. Tout cela pour un prix kilométrique identique sur tout le territoire. L'arrivée des TGV fut, aussi, au début, un grand bonheur, tant que leur développement ne se fit pas au détriment du maillage territorial, également utile, des dessertes secondaires. Imaginerait-on, pour que le sang circule plus vite dans un corps, de supprimer les veines veinules et capillaires alors qu'elles fonctionnent encore parfaitement ? Les trains pourtant se mirent à circuler de plus en plus vite, mais à parvenir à destination avec des retards de plus en plus importants et de plus en plus fréquents. Apparurent aussi des pratiques de marketing de plus en plus troubles, des cadeaux firent leur apparition, en places des bonnes vieilles réductions permettant aux vieux, aux enfants, aux jeunes, aux familles d'utiliser un transport fiable, non polluant, facile d'accès car reliant la plus petite campagne au coeur des grandes villes, sans les risques de la route... Comment ce progrès et cette démocratisation des voyages les plus lointains se sont-ils inversés en transport coûteux, incommode, incertain, élitiste quand il est rapide et discriminatoire quand il maintient les dessertes locales sans entretenir les lignes et les voitures “déclassées” selon le vocabulaire de la SNCF, comment ces lieux poétiques que furent les trains et les gares se sont ils transformés en temples de la fast consommation pour les gares, et en entassement de voyageurs au détriment et du confort et de l'espace, pour les trains, au nom d'une supposee rentabilite qui se solde par un délabrement de l'outil et un creusement de la dette, voilà ce que
Benoît Duteurtre expose avec humour et tristesse mêlés en 109 pages et un quart exactement. En expliquant avec clarté le comment du pourquoi.