Nathan est un médiocre.
Que ce soit dans son travail de relecteur-correcteur ou dans sa vie privée. Divorcé, il vit désormais sur un voilier dans un port de plaisance anonyme quelque part en France. Alors que la pluie fait rage depuis six jours sans interruption, Nathan déjeune avec Bertin, un éditeur parisien dont le franc parler n'est plus à démontrer. C'est bien pour ça que lorsque Nathan lui demande son avis sur son manuscrit, Métaphysique du Mérou, la réponse cinglante qui s'ensuit est sans appel : NUL.
Ravalant sa fierté, notre auteur se réfugie dans son voilier pour se bourrer la gueule. Il se réveille quelques heures plus tard avec la gueule de bois… et une fin du monde en prime !
La terre ferme a disparu et l'eau a tout emporté.
Il ne reste rien à Nathan, excepté son manuscrit.
Et c'est précisément là que les choses vont prendre une tournure pour le moins…inattendue !
Nicolas Cartelet, vous le connaissez peut-être. Auteur fidèle de la collection Mu à qui l'on doit
Petit Blanc et
Dernières fleurs avant la fin du monde, le français avait jusque là tout de la nouvelle plume à surveiller de près.
Avec
le Livre de Nathan, il nous revient dans un format plus court, une novella de 111 pages en vérité, et sur un registre à première vue bien plus léger et humoristique que celui de sa dernière oeuvre apocalyptique.
Si
le Livre de Nathan débute avec un auteur raté, il poursuit rapidement sa route avec plusieurs autres personnages improbables, tous descendants des quelques survivants de la catastrophe. On traverse les années, les siècles et même les millénaires afin de capter les bribes éparses d'une civilisation désormais entièrement maritime et qui, visiblement, n'aime guère les voyelles.
Mrgt, Crcè, Mlkr ou encore Mrlán seront autant de représentants de cette civilisation post-moderne, allant de la guérisseuse new-age au religieux d'un Ordre nouveau en passant par des assassins à la petite semaine.
Leur point commun ? Ils ont tous quelque chose à voir avec le fameux Livre de Nathan mentionné plus haut.
Nicolas Cartelet imagine l'influence que pourrait avoir la seule oeuvre de fiction survivante dans une époque où règne l'ignorance.
Malin, il pousse dans ses retranchements le voeu secret de chaque auteur ou autrice : survivre au temps qui passe et devenir ainsi immortel.
Et cette fois, pas le choix, puisqu'il n'existe plus d'autre livre !
Comme quoi, la fin du monde fait bien les choses.
Dès lors, l'auteur devient prophète, l'écrit devient texte sacré.
Qui ne rêve pas de devenir un auteur culte après tout ? Certainement pas autant au pied de la lettre, certes, mais tout de même.
Ce qui rend la chose bien plus intéressante ici, c'est la trajectoire improbable suivie par ce qui est en réalité un roman complètement nul.
C'est aussi un discours de prime abord léger et (souvent) humoristique mais qui s'applique à démontrer à quel point l'histoire peut se construire par des générations de gens médiocres qui savent juste profiter des opportunités que leur tend le destin. Tous les personnages, nous l'avons dit plus haut, ont en commun d'avoir un rapport plus ou moins éloigné avec le fameux livre de Nathan. Mais pas que.
Ils sont aussi tous des individus médiocres et, pour tout dire, souvent pathétiquement ridicules.
Dès lors, cette novella devient bien plus intéressante et troublante qu'il n'y paraît. Non seulement par les parallèles avec les écrits religieux fondamentaux qu'elle établit à mot couverts, mais aussi, et surtout, par la dangerosité que prennent les mots entre de mauvaises mains et sans aucun contrepoids.
En filigrane, on ne peut s'empêcher de penser que si tout le monde finit par suivre Nathan et son oeuvre comme une nouvelle Bible, et cela malgré son caractère absurde et rébarbatif, c'est parce qu'il n'existe aucun point de comparaison et que les gens sont donc maintenus dans l'ignorance.
On pourra y voir un écho du passé… ou un miroir tendu à notre présent, littéraire, politique ou économique.
Le Livre de Nathan pourrait être considéré à son niveau comme une variation sur le thème de l'effet-papillon, mais c'est avant tout un roman qui sait ne pas se prendre au sérieux et se dévore littéralement grâce à la plume légère et réjouissante d'un
Nicolas Cartelet simplement truculent.
Et puis, au fond, tout cela se classera certainement dans la catégorie humour dans un lointain futur… n'est-ce pas ?
Futé, goguenard, drôle et grinçant,
le Livre de Nathan amène
Nicolas Cartelet toujours plus haut, dans un registre flou mais néanmoins délicieux, quelque part entre le comique et le tragique, l'analyse sociale et la boutade science-fictive.
Embarquez avant la fin !
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