Le coeur régulier est un magnifique et bouleversant roman qui m'a permis de revenir vers un écrivain qui m'est cher,
Olivier Adam.
J'aime les romans d'
Olivier Adam. J'aime cet écrivain, sa sensibilité, j'aime ses mots à fleur de peau, souvent graves, parfois abrupts, comme au bord d'une falaise. Il y a toujours une mélancolie sombre, mais à quelques encablures du bonheur.
Ici justement il est question de
falaises. Elles existent physiquement sur un territoire du Japon, on pourrait les imaginer aussi dans nos vies intérieures.
La narratrice, Sarah, s'exprime ici à la suite du décès de son frère Nathan. Accident ou suicide ? Pour Sarah, cela ne fait aucun doute, l'accident a été prémédité.
La mort de Nathan a provoqué chez Sarah un séisme effroyable bien au-delà du deuil. Sa vie personnelle, mais aussi sa vie professionnelle, en sont éprouvées. Bref, peut-être l'ensemble des pans de son existence, ceux-ci s'effondrent comme autant de châteaux de carte. Il y a tout d'abord sa vie de couple réglée comme du papier à musique, une vie bourgeoise, le confort, l'aisance, un mari qui l'aime, des enfants présents. Mais il manque peut-être l'essentiel... L'aime-t-elle encore ? L'a-t-elle seulement aimé un jour ? le cercle familial élargi n'est guère mieux, des parents qui ont toujours cru bien agir pour le bonheur de leurs enfants et une soeur qui ne cesse d'être culpabilisante. Quant à sa vie professionnelle, ce ne sont qu'enjeux, objectifs de performance, rivalités entre collègues, séminaires de développement personnel pour donner l'illusion qu'on pense encore un peu à l'humain...
Durant les temps derniers, Sarah avait mis une distance avec son frère, de plus en plus impulsif, excessif, alcoolique... Elle s'en veut de ne pas avoir été là, plus près de lui, à son écoute. Elle l'enfant pour lui et lui l'enfant pour elle, car ils s'adoraient depuis toujours, complices, protecteurs, décalés par rapport à l'ordre établi...
Sarah décide de partir au Japon dans une station balnéaire au bord de la mer, là où Nathan se rendit plusieurs mois auparavant, là où il devait revenir bientôt. Elle débarque dans une petite pension de la station balnéaire, là où séjourna Nathan.
Une falaise domine la station balnéaire, outre le panorama splendide, l'autre particularité du lieu est d'être prisé par celles et ceux qui sont tentés par le suicide. Plonger dans le vide sidéral depuis la haute falaise, n'avoir aucune chance de se rater...
C'est en ce lieu que Sarah fait la connaissance d'un homme, Natsume, ancien policier en retraite. Désormais sa vocation est de sauver les désespérés. Il n'a pas son pareil pour s'approcher d'eux dans leur dos, poser une main bienveillante sur une épaule, murmurer les mots qu'il faut. Il en a sauvé ainsi beaucoup. J'ai adoré ce personnage mutique, magnétique, d'une force intérieure magnifique, il y a une beauté incandescente dans chaque geste de cet homme.
Je suis venu dans ce coeur battant, irrégulier, avec mes propres représentations de la vie qui s'emballe, qui s'en va, dont on ne comprend pas toujours le cheminement et les balbutiements. Ce livre, je dois vous l'avouer, m'a un peu retourné. Je l'ai trouvé d'une écriture belle. J'ai pensé à certains proches de mon histoire passée, avec toutes les incompréhensions que cela convoque. Tous les pourquoi... Pourquoi, pourquoi, pourquoi ? Sarah ose ne pas se poser cette question ou la pose d'une autre manière peut-être...
Contrairement à certains lecteurs, je n'ai pas trouvé ce livre pessimiste. Certes il est question de mort, de désir de mort, mais l'envers du décor ici est tout simplement la vie, celle qui n'est jamais éloignée de la mort, celle qui bat dans un coeur qu'on croit régulier, celle qui se pose sur une épaule fragile, celle qui s'engouffre dans l'étreinte amoureuse, celle qui revient sur les pas de l'enfance. J'ai trouvé le texte d'une écriture à la fois sobre et poétique.
La mort de Nathan offre à Sarah une manière de faire un pas de côté, d'aller un peu plus loin, franchir les barrières, entrer dans sa propre existence, Sarah qui restait jusqu'à présent à la lisière de sa vie.
La mort de Nathan offre à Sarah l'occasion d'un magnifique voyage, non pas au Japon, mais vous voyez bien j'imagine la contrée secrète que j'évoque, celle si proche de nous, mais que nous connaissons peut-être si peu encore...