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Laurent Bury (Traducteur)
EAN : 9782413047643
224 pages
La Croisée (13/04/2022)
3.9/5   5 notes
Résumé :
La nuit est tombée quand Hagos et Saba, frère et sœur, arrivent dans un camp de réfugiés au Soudan avec leur mère. Ils n’ont plus rien et ont fui leur pays en guerre, mais leur cœur bat toujours : Hagos, muet et fragile, et Saba, au caractère farouche, vont trouver l’amour au milieu des ruines.
C’est dans ce monde à part, lieu condensé d’humanité, que frère et sœur vont briser les tabous, renverser les genres et illustrer un conte d’amour sensuel au milieu du... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (3) Ajouter une critique
Hagos et Saba ont quitté, avec leur mère, comme beaucoup d'autres de leurs compatriotes, l'Érythrée, pour rejoindre un camp de réfugiés au Soudan.

Hagos, le fils, depuis toujours muet, d'une fragilité et d'une grâce qui ont toujours ému son entourage ; Saba, la fille, la cadette, au caractère bien trempé, porte-parole de son frère, en une inversion des rôles habituellement dévolue dans une fratrie. Autour d'eux, la vie du camp, qui se développe, qui devient presque une petite ville autonome, dans laquelle amours, haines, jalousies, envies, regrets, violences, sacrifices... seront nombreux, autant que ses habitants.

Pour nous conter cet autre-monde, en dehors du temps, des lieux, des règles, d'une certaine façon de la vie, Sulaiman Addonia part de sa propre expérience, qu'il fictionnalise, nous la transmet par l'intermédiaire d'une plume d'une grande délicatesse, qui poétise et symbolise le plus prosaïque, sans pour autant euphémiser la vie dans le camp.

J'ai été émue par cette plume, et lu quasi d'une traite ce roman peu commun, qui nous fait toucher du doigt ce qu'est être érythréen, et plus généralement, réfugié, aujourd'hui.
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Le silence est ma langue natale publié aux Editions La Croisée m'a ouvert des horizons dont j'ignorais tout. Première chose, que l'Érythrée fut une colonie italienne. Qu'elle était rattachée à l'Ethiopie avant de connaître son indépendance, après une guerre, en 1993. Que le pays est actuellement déchiré par des guerres civiles, qui ont causé un exode massif de sa population. Notamment vers le Soudan, où ces camps ont poussé comme des champignons pour héberger ces exilés fuyant un pays qui se farcit le même président depuis son indépendance. Sulaiman Addonia nous emmène au coeur même de l'un de ces camps, par là même où il a passé quelques années de sa vie.

C'est un univers qui m'est peu familier, peuplé d'autant d'ethnies, de cultures et d'histoires qui me sont inconnues, en premier lieu celles de l'Erythrée, que j'ai appris à connaître à travers l'histoire de Saba et de son frère Hagos. Deux jeunes gens réfugiés au Soudan, dans un camp géré par les braves hommes blancs, qui logent dans une case aux côtés de leur mère. le roman débute en grande pompe avec un simulacre de procès, dans cette micro société reconstituée dans ce camp, qui met en son coeur Saba, jeune fille de dix-sept ans. Où l'on se rend compte que cette vie en camp dans une proximité importune et invasive possède ses propres codes, ceux-là même qui régissait la vie en Erythrée, mais de façon plus condensée, qu'elle peut être étouffante et humiliante et qu'elle n'offre aucune solution pérenne, seul un abri transitoire. Un endroit où les rêves – ceux de Saba en particulier – sont figés, pétrifiés dans un temps qui s'est arrêté, pris en étaux entre l'impossibilité d'avancer, et l'impossibilité de revenir en arrière, du moins avant la fin d'une guerre dont ils ne voient plus la fin. Il n'y a guère de place pour ces réfugiés dans ce Soudan qui les abrite le temps de quelques mois, voire quelques années.

Le rêve de Saba, celui de devenir médecin, a été brisé net par l'abandon d'une vie ou elle avait sa propre chambre, qui lui donnait une éducation. Son seul réconfort, c'est ce frère muet qui l'accompagne, Hagos, dont la proximité avec sa soeur soulève bien des questions. le duo quasiment gémellaire qu'ils forment est la pierre angulaire de ce récit, qui parle du silence, acquis de naissance, inné par ce rôle héréditaire et ancestrale de la femme qui doit obéir et se taire. le silence est la langue natale d'Hagos, qui tient son mutisme depuis sa naissance, et celle de Saba, jeune fille, dont on étouffe la voix. Saba porte la voix, en sourdine, de toutes ces femmes à qui on a volé la parole, sous le joug d'un paternalisme oppresseur, de traditions séculaires où la violence exercée sur les femmes était la norme : mutilation, test de virginité…

Je me suis surprise à plusieurs fois à lire et relire cette langue très poétique et délicate, ce style qui à chaque fois met dans le mille, qui a le don d'énoncer des réalités qui vont pourtant de soi, mais qui ont du mal à rentrer dans les moeurs. Une langue qui embrasse le silence de Saba et Hagos, la béance de cette impossibilité et cette interdiction à s'exprimer, un texte qui ne contient donc peu de discours directe dans la logique des choses. Un texte, une langue qui mettent le silence en mots, un peu dans l'esprit du dernier cliché de la collaboration d'astronomes EHT : capturer en photo le disque d'accrétion qui entoure le trou noir de notre galaxie forcément invisible pour donner une image de ce trou noir. Les youyous tonitruants solennisent ce texte, les commérages des uns, des autres, l'autorité d'une sage-femme qui dans le pouvoir que lui donne sa position franchit depuis longtemps les frontières de la sagesse, les cris des enfants, les camions du ravitaillement, les chansons ici et là, tout ce qui constitue le « vacarme » du camp : c'est un bel exercice que celui de Sulaiman Addonia. Et toutes ces langues qui coexistent, le surprenant italien des restes de sa colonisation, tout comme l'anglais que Saba apprend, ou l'arabe du Soudan, le tigrina, langue officielle de l'Erythrée, et autres dialectes des différents groupes ethniques. de cette polyphonie ambiante et assourdissante, il n'y a véritablement que le langage de Saba et Hagos, leur aphonie, qui s'exprime.

Par son parcours de vie, l'auteur a pu assister aux violences infligées aux femmes (sa mère fut femme à tout faire en Arabie Saoudite.) et le silence est ma langue natale est sans aucun doute sa façon à lui d'aborder sa condition. Ou les femmes sont elles-mêmes leurs propres ennemis, les touchers vaginaux brutaux et à répétition pour vérifier la pureté d'une jeune fille, les excisions encore en cours sont le pendant physique de la violence psychologique qui consiste à museler la volonté, la parole de la femme.

C'eût été dommage de passer à côté du roman de Sulaiman Addonia. Il conclut son récit avec des remerciements dans lesquels il évoque vaguement son passé qui reste collé à lui comme une seconde peau. L'auteur l'a déclaré à l'Eritrean Lowland Leauge, on ne cesse jamais vraiment d'être un réfugié : qu'un exilé érythréen se soit réfugié au Soudan ou en Angleterre, ce roman ne cesse de rappeler cette mise en marge d'une population qui ne trouve sa place nulle part. le déracinement est devenu leur véritable nationalité.





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Sulaiman Addonia, après avoir fui l'Érythrée a passé sa jeunesse dans un camp de réfugiés au Soudan, nous plonge dans un roman loin des préjugés. Il réécrit l'histoire de ces camps loin de ce que nous, Occidentaux, nous nous en faisons.

Par cette ode à l'amour moderne, à la féminité et à la redécouverte des notions de genre et de sexualité, il nous livre ici un livre sensuel au fil des personnages attachants et charismatiques que sont Saba et Hagos, respectivement soeur et frère.

Il écrit une fresque des pressions sociales que subissent les femmes ; la parte d'identité dans un camp où se mêlent d'autres réfugiés d'autres régions ; ou encore le poids des traditions. Il nous emmène dans ce camp, dans cette jeunesse perturbée par la guerre de Saba et Hagos et nous la fait vivre.

Par le silence est ma langue natale, Addonia livre le pouvoir des mots et du silence : le silence des sociétés, le silence des identités perdues, la barrière de la langue, et le silence qui invisibilise. Mais le silence qui est aussi, parfois, nécessaire.

En bref, ce roman nous transporte, nous fait voyage et nous questionne sur la sexualité, le genre, la place de la femme, et surtout sur l'amour.
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critiques presse (1)
Elle
28 juin 2022
Transformant son histoire intime en épopée, Sulaiman Addonia tisse avec ce deuxième roman, « Le silence est ma langue natale », une œuvre politique et poétique, magnifiquement engagée.
Lire la critique sur le site : Elle
Citations et extraits (3) Ajouter une citation
Saba et Zahra se promenaient dans le camp. De sa mosquée de fortune délimitée par des cailloux rouges, l’imam appelait à la prière du soir. Des enfants couraient en tous sens. L’odeur des grains de café torréfiés flottait dans l’air. Tiens-moi contre toi, demanda Saba.

Je pensai que tu n’aimais pas être aussi près, dit Zahra.

Parfois, si.

Tu as tes humeurs, conclut Zahra. Exactement comme moi.

Elles éclatèrent de rire et se prirent par la main.

Saba ?

Oui.

Je peux être franche ?

Saba hésita, puis hocha la tête. Oui.

Parfois ton silence me perturbe, avoua Zahra. Enfin, celui de ton frère est naturel, mais le tien paraît forcé.

Saba ne répondit rien.

Je me fais du souci pour toi.

Il n’y a pas de quoi, dit Saba. C’est à cause des sardines. Mon haleine sent le poisson, alors je me tais.

Je suis sérieuse. Tu as toujours été comme ça ?

Zahra, depuis combien de temps sommes-nous ici ?

Tu vois, tu essayes de changer de sujet.

Zahra consulta la montre qu’elle portait au poignet.

L’objet avait appartenu à sa mère, qui lui avait dit avant de partir au front : Elle gardera la trace du temps qui passe. Pour que tu saches qu’il viendra un temps ou nous serons à nouveau réunies. Mais la pile de la montre était morte et maintenant le temps restait immobile au poignet de Zahra. Zahra avait manipulé la montre pour que les deux aiguilles se rejoignent, s’étreignent. La mère et la fille inséparables dans le temps, à défaut de l’être dans l’espace.
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Les trois membres de la famille partageaient le dîner.
Trois silences.
Celui de Saba.
Celui de son frère.
Celui de sa mère.
Ils étaient vides de choses à se dire les uns aux autres. Et Saba se demandait comment le camp vous privait aussi de votre langage comme s'il s'agissait de chair attachée aux os. Elle visualisait I'hémorragie de ses mots, des mots de tout le monde. Sans langage, personne n'est en vie.
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En revanche, il a fallu plus longtemps pour résoudre la question de la nationalité de Saba : sa mère est éthiopienne, a dit la sage-femme, mais je pense que son père était érythréen.

Je vous crois sur parole, a dit le Juge, comme s’il était soucieux d’avancer.

Non, a lancé un homme qui a ajouté, les yeux exorbités : Si son père était érythréen, alors elle est érythréenne ; l’identité d’un enfant dépend de celle du père.

Le fils d’une combattante décédée s’est levé brusquement : Ma mère ne s’est pas battue jusqu’au martyre pour que quelqu’un comme toi prétende que son identité à elle comptait moins.
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