Battement d'ailes

Grand-père dit, mais sur un ton joyeux, comme s'il parlait d'un tout autre sujet, qu'il aime les changements et qu'il voudrait mourir parce que continuer à vivre reviendrait à accumuler les répétitions.

De sorte que grand-mère Elena se privait aussi de ces papotages et qu'elle restait enfermée à la maison pour ne pas écouter la grand-mère des voisins se vanter et, surtout, sous-entendre des comparaisons avec la nôtre, de famille, et avec les nôtres, de valeurs, quand son flambeur de gendre avait pris la tangente. Elle ne pouvait que se taire parce que désormais il ne lui restait plus rien. Rien. Grand-père lui rappelait qu'il lui restait deux filles et trois petites-filles jolies et gentilles, et aussi, au cas où elle ne s'en serait pas aperçue, un mari, en sa personne. Mais elle ne nous voyait pas. Elle disait qu'on nous avait jeté un sort, que quelqu'un nous avait maudits, parce que nous avions tous les droits d'être heureux, beaucoup plus que cette bidducula maiola, priogu resuscitau* qu'était la grand-mère des voisins, qui mangeait sa soupe en l'aspirant à grand bruit, qui, si elle n'avait pas épousé celui qu'elle avait épousé, paix à son âme, aurait tiré le diable par la queue, et qui, si elle n'avait pas eu le fils qu'elle avait eu, sérieux, travailleur et pieux, qui avait repris leur entreprise de bâtiment à la mort de son père, bien conscient d'abandonner ses rêves fous de construction écologique, bref, si elle n'avait pas eu tout ça, elle aurait dû ravaler ses vanteries.

Dans la maison d'hôtes de Madame, un fantôme la suit partout, il ricane dans son dos et lui murmure d'une voix méchante que, de toute façon, personne ne voudra jamais d'elle, et qu'après l'avoir baisée, les hommes ne se souviennent même plus d'elle car les êtres humains aiment les gagnants, pas ceux qui déclarent forfait, comme elle qui serait riche si elle vendait ses propriétés, mais ne veut pas en entendre parler.

Pietrino fréquente le CP ; un jour, à l’école, on leur a projeté Aladin et ce film l’a beaucoup frappé. Il a confié à mes petites sœurs que s’il était Aladin, il demanderait trois choses au génie de la lampe : voir disparaitre les écoles sans possibilité de les reconstruire jamais, aller vivre tout seul sur l’île de Serpentara et voler

Et grand-père a appris à l’apprécier, maintenant qu’elle réserve à son petit fils une affection particulière et non générale, qu’elle aime le jazz et qu’elle a eu le courage de changer. P 130

La grand-mère des voisins dit qu’à son avis, l’incendie s’est déclaré à l’intérieur , que c’est peut-être madame qui l’a provoqué , qu’elle avait décidé de mourir parce que ses amants ne veulent plus d’elle et que ses règles n’arrivent plus , que maintenant , à cinquante ans, les femmes bollinti abarrai pippied-das (*). Elle se sentait vieille et malheureuse. Comme si, pour vivre, il fallait à tout prix être jeune et heureux. On vit c’est tout. Et puis d’où ça sort que la vieillesse est triste ? Il n’y a qu’à la regarder, elle, avec ses allers et retours à Paris. P 128
(*) veulent rester des jeunettes.

Mais rien à faire, autant Madame est sans vergogne avec les hommes en tête à tête, autant dans une réunion de plusieurs personnes, je ne dis pas une école, mais même une fête, elle panique et elle voudrait aussitôt se cacher dans les ordures ou le fumier

Pour leur part, les voisins pensent que Dieu nourrit un de ses desseins insondables pour ce coin de terre, et utilise, pour le réaliser, une pauvre femme comme Madame, sans mari, sans diplôme, et, disons-le, sans cervelle

Madame ne garde rien pour elle, pas même son temps. Elle est toujours disponible. Je ne la comprends pas. Si les autres me prenaient tout mon temps, je les détesterais ou je deviendrais folle. Quand je réfléchis à mes affaires et qu’on m’appelle, je ne réponds pas. P 73

Grand père ne supporte pas les voisins. Cette manie de faire des enfants et de s'en occuper en général mais pas en particulier. leur sempiternel "récite une prière !". Cette habitude des parents de se prendre la main devant les gens. S'ils s'aiment tant, pourquoi ne le gardent-ils pas pour eux ? Ou la messe du dimanche qu'il n'est pas question de rater même si quelqu'un chez eux a quarante de fièvre parce que sinon on va en enfer, et que je t'entasse la moitié de la famille dans la voiture de la gentille petite maman et l'autre moitié dans celle du gentil petit papa. "regardez comme Dieu nous aime. Normal on lui obéit".