Inès de mon âme /
Isabel Allende (née en 1942)
Inès Suàrez est une héroïne au destin extraordinaire et très peu connu. Née en 1507 à Plasencia en Espagne, elle apprend la couture et la dentellerie dès son plus jeune âge. Très belle jeune fille elle connaîtra plus tard la gloire en partant vers le Nouveau Monde sur les traces de son mari parti chercher fortune avant elle. Arrivée aux Indes comme on disait à l'époque, elle oeuvrera pour conquérir le royaume du
Chili et participera à la fondation de Santiago.
C'est elle la narratrice qui, en 1580, sentant sa mort approcher se confie et raconte l'aventure de sa vie tumultueuse. Toute récente veuve du gouverneur don Rodrigo de Quiroga, conquérante et fondatrice du royaume du
Chili, elle raconte d'abord avec émotion les derniers jours puis l'adieu à son cher époux, aidée de sa fille de coeur Isabel pour habiller le défunt. Les mois qui viennent de s'écouler sans lui, lui ont semblé une éternité et c'est sur la table de travail de Rodrigo, enveloppée dans sa couverture d'alpaga qu'Inès écrit.
Retour dans le passé, il y a bien longtemps, c'était en 1526, elle a connu l'homme qui allait devenir son premier mari, Juan de Malaga. 1526, l'année du mariage de l'empereur Charles Quint, son souverain, avec sa cousine Isabelle de Portugal, une date inoubliable !
Juan de Malaga, un mari toujours affublé comme un mirliflore, dépensait comme un hidalgo ayant la certitude qu'Inès ferait l'impossible pour payer ses dettes. Alors un beau jour, à peu près ruiné, Juan annonce qu'il part vers le Nouveau Monde, un eldorado, chercher la fortune.
Une parenthèse dans le récit pour nous parler de deux personnages qui vont croiser la vie d'Inès de façon déterminante. Pedro de Valdivia, un homme ambitieux, généreux et courageux a beaucoup compté dans sa vie et aussi Francisco de Aguirre un aventurier notoire. Nés tous les deux en 1500 comme l'empereur Charles Quint, ils étaient persuadés d'être destinés à connaître de hauts faits militaires. le Nouveau Monde a alors besoin d'hidalgos au coeur indomptable, brandissant l'épée d'une main et la croix de l'autre, prêts à découvrir et conquérir. Ainsi Pedro et Francisco rejoignent ces nouvelles terres. En ce temps-là Pizarro et Almagro ont conquis le Pérou et Cortez le Mexique et sont devenus immensément riches.
En 1537, Inès fait ses adieux à sa famille et part avec sa nièce Constanza rejoindre son mari Juan. En quittant Cadix, elle ne sait pas ce qui l'attend d'abord sur le trois-mâts dirigé par le maître
Manuel Martin, et en posant au bout de trois mois de voyage le pied à Cartagena en Colombie. Inès après quelques temps passés à Cartagena rejoint Panama à dos de mule.
Deux ans auparavant, Valdivia est arrivé au Venezuela avec Alderete son ami. Il a laissé la belle Marina Ortiz son épouse avec la promesse de revenir riche ou de l'envoyer chercher dès que possible. Entre temps Pizarro est le maître au Pérou pendant qu'Almagro se dirige vers le
Chili, une région inexplorée. Pizarro qui a affaire à une révolte appelle au secours. C'est Pedro de Valdivia qui répond à son appel en 1537 et n'hésite pas à rejoindre le Pérou entre temps pacifié. Plus tard, poussé par son idéalisme plutôt que par l'appât de l'or, Valdivia se lancera à la conquête du
Chili là où Almagro face aux redoutables Mapuche a échoué récemment avant de revenir prêter main forte à Pizarro puis entrer en discorde avec lui. C'est lui qui du fond de sa geôle parla à Valdivia de la beauté du pays d'au-delà la cordillère, avant d'être exécuté en 1538 par Pizarro.
À Panama pendant ce temps Inès survit de petits travaux de couture, de cuisine et d'infirmière. Elle apprend que Juan a été vu au Pérou et elle décide de s'y rendre accompagnée de Catalina sa demoiselle de compagnie un peu devine et pythonisse, et d'un groupe de frères dominicains.
Arrivée à Cuzco, nombril de l'empire inca, elle apprend la mort de Juan qui s'étant enrôlé dans les troupes de Pizarro est mort au combat fratricide contre Almagro et ses troupes, et ce de façon tout à fait étrange. Puis elle fait la rencontre de Valdivia mestre de camp du gouverneur Francisco Pizarro, une rencontre qui va déterminer sa vie tout autant que celle de Valdivia. Il a quarante ans et Inès trente. C'est le coup de foudre, une relation fulgurante et composite : ils partagent vite le même lit ainsi que le même rêve celui de conquérir le
Chili.
C'est en janvier 1540 que Inès Suàrez et Pedro Valdivia quittent Cuzco pour une aventure risquée : rejoindre le
Chili en passant par le désert d'Atacama. Une dizaine de soldats et plusieurs centaines de porteurs indiens font partie de l'expédition. Un détachement complémentaire de quelques soldats venus de l'intérieur du Pérou rejoint le groupe en cours de route, mené par un certain Rodrigo de Quiroga qui neuf ans plus tard épousera Inès.
Cinq mois ont passé et le désert franchi grâce aux talents de sourcière d'Inès, la troupe retrouve une nature plus clémente. Les campements se succèdent et Inès en profite pour apprendre en secret à écrire et lire avec le père Gonzàlès de Marmolejo. Une conspiration fomentée par un certain Sancho de la Hoz en vue d'assassiner Valdivia est déjouée grâce à Inès. Plus loin, Aguirre et sa troupe, le grand ami de Valdivia, rejoint l'expédition qui compte à présent cent trente soldats. Aguirre est un personnage hors du commun. À lui seul il a décidé de « peupler le pays de métis : cinq enfants légitimes lui ont été donnés par sa cousine et épouse et il a engendré plus de cent bâtards connus et d'autres centaines non comptabilisées !
La petite troupe de cent cinquante soldats avec Pedro de Valdivia à sa tête poursuit son chemin vers le sud subissant constamment des attaques d'Indiens et Inès met à profit ses talents d'infirmière aidée en cela de Catalina.
Treize mois après avoir quitté Cuzco, Valdivia plante l'étendard de Castille en février 1541 à l'endroit où sera édifiée la ville de Santiago. Rapidement sont édifiées des maisons en bois, une église et un hôpital, sous la menace constante des Indiens Mapuche. Par décision populaire, Pedro de Valdivia est proclamé premier gouverneur du
Chili, Monroy lieutenant gouverneur et Inès gobernadora, c'est-à-dire « femme » du gouverneur.
Dans la nuit du 11 septembre 1541, les hordes de Mapuche avec leurs alliés attaquent Santiago alors que Valdivia est en campagne de pacification dans la région, tombé en quelque sorte dans un piège pour l'attirer hors la ville qui est incendiée et détruite par des milliers d'indigènes. C'est Inès qui, grâce à un subterfuge sanglant, met un terme au massacre. À la suite de cet épisode tragique, Valdivia envoie Monroy en mission au Pérou pour demander de l'aide. Ce n'est que deux ans après que les secours armés arriveront à Noël, mais sans Alonzo Monroy mort mystérieusement au Pérou au moment de repartir. Une troupe de soldats, certains avec leur femme, arrive par la mer, avec des vivres, des munitions, du vin, des armes et des animaux domestiques. Puis une entente survient avec le cacique mapuche pour coopérer notamment dans le travail des mines d'argent et d'or. Une navette de galions s'établi alors entre le Pérou et le
Chili et fait prospérer Santiago. de nouvelles villes s'édifient, La Serena au nord, et Valparaiso port desservant la capitale.
Puis Valdivia décide de partit par la mer vers le Pérou afin d'obtenir de l'aide, sans prévenir Inès, la délaissant alors, ce qui la rend folle de colère.. Au Pérou il est amené à mater une insurrection avant de recruter une troupe de soldats. C'est à cette époque que des liens amoureux se tissent entre Inès et Rodrigo de Quiroga. Inès par ailleurs se charge de l'éducation d'Isabel âgée de trois ans, la fille de Rodrigo. Isabel devient ainsi sa fille de coeur.
Après deux années, Pedro revient avec deux cents soldats et deux concubines. Son adultère avec Inès avait fait scandale au Pérou et à son retour il conseille vivement à Inès de trouver un mari afin de faire taire les mauvaises langues sinon elle sera contrainte de quitter le
Chili. C'est le père Gonzalez de Marmolejo qui marie Inès à Rodrigo de Quiroga en la cathédrale de Santiago en construction.
Les affrontements avec les Mapuche se répètent à partir de 1549 et ce sans discontinuer jusqu'au grand soulèvement de 1553 de toutes les tribus du sud. Une guerre sans quartier entre Espagnols et Indiens. C'est vers Noël 1553 que la mort frappe Pedro au terme d'un martyr inouï infligé par le chef des Mapuche, son ancien serviteur. Et dans la relation qu'en fait Inès Suarez, on découvre qu'elle comprend l'attitude des Mapuche ; elle devrait les haïr, mais elle ne peut pas. Ce sont ses ennemis, mais elle les admire car il se battent pour leur terre envahie par des étrangers.
Un roman épique de près de 500 pages où l'amour accorde souvent une trêve à la violence d'une époque tourmentée avec en toile de fond le massacre, les viols et l'asservissement des Indiens au cours de combats inégaux et génocidaires. Pour une femme en ces temps reculés, une telle aventure de découverte relève de l'exploit car confrontée en permanence à un monde d'hommes le plus souvent rustres et sans principes, oubliant aisément la nature peccamineuse de leurs pensées et de leurs actes, pourtant des êtres imprégnés d'un catholicisme rigoureux.
Isabelle Allende, l'auteur journaliste, est la nièce de l'ancien président Salvador Allende. À l'arrivée au pouvoir du dictateur Pinochet, elle émigre au Venezuela en 1975 avant de s'installer définitivement en Californie. Dans ce récit elle met en valeur l'action d'Inès Suarez qui eut une grande influence politique en son temps pour être quasiment oubliée des historiens pendant plus de 400 ans.
Une épopée magnifiquement racontée.