AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
EAN : 9791022601399
144 pages
Editions Métailié (08/10/2015)
3.51/5   70 notes
Résumé :
Années 80, dans la province argentine : trois crimes, trois affaires jamais élucidées qui prennent la poussière dans les archives de l’histoire judiciaire. Des “faits divers”, comme on dit cruellement, qui n’ont jamais fait la une des journaux nationaux.

Les victimes sont des jeunes filles pauvres, encore à l’école, petites bonnes ou prostituées : Andrea, 19 ans, retrouvée poignardée dans son lit par une nuit d’orage ; María Luisa, 15 ans, dont le cor... >Voir plus
Que lire après Les jeunes mortesVoir plus
Critiques, Analyses et Avis (33) Voir plus Ajouter une critique
3,51

sur 70 notes
5
5 avis
4
17 avis
3
7 avis
2
2 avis
1
0 avis
Maria Luisa, Andrea, Sarita, trois jeunes femmes assassinées dans la province argentine, dans les années 80. Des crimes non élucidés, sans mobile apparent.
Selva Almada, trente ans plus tard essaie de porter justice à ces femmes innocentes,
dénonçant un féminicide qui prend racine dans une société macho où la femme est tout simplement considérée comme un simple objet sexuel que l'homme peut usufruitier comme bon lui semble, quitte à la tuer si l'envie ou la nécessité l'exige. Un sujet terrible.
Almada en se lançant dans une enquête sur terrain, faisant des kilomètres en bus à travers l'Argentine pour rencontrer des proches des victimes, consultant une voyante, relisant des documents, observant et décrivant divers faits qui attirent son attention, remet ces meurtres dans le contexte d'un pays où la violence sur la femme est monnaie courante. Juste pour citer, le simple exemple du terrible jeu populaire de « faire le veau », parmi les garçons de San José, où ils choisissent une victime, la soumettent au viol collectif, la fin étant laissée à leur bon plaisir......
Voyageant dans des bus déglingués, suivant un carnaval et ses cortèges, buvant du maté froid .....elle nous emmène dans l'ambiance d'une Argentine insouciante, où les filles tombent enceintes déjà à quatorze ans, des vieux lorgnent sur des fillettes de douze ans, des maris font prostituer leurs femmes trop jolies pour faire le ménage,........le pays “des animaux en chaleur “.
J'espère que ce livre même si faiblement, sera un pas pour faire changer les mentalités. Un livre douloureux mais indispensable à lire, car le sujet de la violence sur les femmes n'est pas confiné à l'Argentine.

Encore une fois, merci Bison.



Commenter  J’apprécie          868
Andrea a 19 ans. Elle fut retrouvée poignardée dans son lit. L'orage en gronde encore.
Maria Luisa n'a à peine 15 ans lorsqu'on la retrouve dans un terrain vague. Son corps ou des bouts seulement, décharge sauvage entre les herbes folles et les serpents.
Sarita a disparue à 20 ans. Pas de corps, pas de trace. Présumée morte, faut-il garder un espoir de la retrouver.

Selva Almada s'intéresse à ces trois jeunes filles. Trois destins anonymes au milieu de milliers d'autres semblables dans cette Argentine des années 80. Elles sont nombreuses, jeunes filles ou femmes, à disparaître, à se faire tuer. Et pour combien trouve-t-on un coupable ?

Faites entrer l'accusé. Sauf qu'ici, il n'y a pas d'accusé. Quelques suspicions, sans fondement. Des témoignages. La police a enquêté, bien évidemment. Mais rien n'a été trouvé. Seuls un corps décharné et une mère en pleurs restent. L'auteure ne cherche pas la vérité, elle n'est pas là pour confondre les hypothèses. Elle est juste là, la voix contre l'oubli de ces femmes. Elle se rend au fin fonds des provinces, loin de Buenos Aires, proche de l'oubli. Elle respire les lieux, imagine les derniers instants se met en quête de faire revivre de l'intérêt pour des histoires qui contrairement aux jeunes filles ne sont pas encore mortes. La tension par moment est palpable, les gens ont encore peur de parler ou du moins se méfient de faire ressortir de terre le corps de ces malheureuses… D'autant plus que l'on ne sait pas, si ces meurtres sont l'oeuvre d'inconnus ou de proches. Des suspicions, toujours, mais pas d'identité.

C'est un roman, sans l'être. Femmes disparues, « chicas muertas », mais pourtant ce n'est pas un roman noir. Bien qu'il soit sombre. C'est l'Argentine qui veut ça. Peut-être à cause de son ciel étoilé, où chaque étoile renvoie l'âme d'une de ces jeunes filles. Ce n'est pas aussi austère qu'un livre d'histoire, pourtant ces trois histoires ont de quoi être austères. C'est entre les deux, à la fois roman, à la fois document, un livre contre l'oubli, une voix qui s'épanche de colère et de pleurs ces oubliées de l'Argentine. Même si les années défilant, il faut savoir allumer un cierge, et laisser l'âme des morts s'en aller, ne plus naviguer entre le monde des vivants et celui des morts, laisser l'âme dans le regard de l'autre ou dans la clarté de la lune…
Lien : http://memoiresdebison.blogs..
Commenter  J’apprécie          632
L'Argentine est un pays qui a été particulièrement touché par la dictature. L'association des mères de la place de Mai s'est rendue célèbre pour son combat pour retrouver les enfants disparus de 1976 à 1983. Les mères viennent demander des comptes y compris au régime actuel pour savoir ce que l'état a pu faire de leurs fils et leurs filles.
Selva Almada a pu vivre une bonne partie de sa jeunesse hors de cette dictature puisqu'elle avait 10 ans en 1983. Mais c'est à 13 ans qu'elle va être confrontée à des événements qui continuent à endeuiller les familles même une fois la dictature finie : les féminicides et disparitions de jeunes filles.

L'auteure enquête principalement sur trois meurtres dont elle a eu connaissance à un âge où elle aurait pu elle-même être concernée. Elle y mêle ses histoires de famille, des anecdotes glanées au fil des rencontres, d'autres faits divers pour illustrer certains de ses propos. Elle dresse le portrait d'une Argentine encore très machiste, où beaucoup d'hommes ont encore du mal à admettre qu'ils doivent contrôler leurs pulsions. Certains espoirs émergent au fil des pages avec des portraits de jeunes femmes refusant de se laisser faire, surtout à l'époque plus récente.

Les passages où la narratrice enquête et rencontrent les familles sont plutôt immersifs, même si l'absence de certitude jusqu'au bout reste frustrante. C'est plutôt dans l'accumulation des références courtes à d'autres faits divers que le récit perd peut-être de sa force même si on comprend la volonté de montrer la multitude des histoires qui se cachent derrière lez 3 victimes mises en avant. On sent l'auteur hésiter entre un récit romancé où elle excelle et une volonté d'exigence de vérité journalistique où elle se perd parfois.

Reste l'hommage rendu à ses guerrières tombées sur le front du combat des femmes pour exister et se libérer de la peur que leur impose une société encore trop compréhensive face aux pulsions masculines.
Commenter  J’apprécie          452
Ni una menos. Pas une de moins.

En 1986, au moment où l'auteure, alors âgée de 13 ans, a commencé à prendre conscience des violences faites aux femmes, ce mouvement (cette revendication, ce cri de colère) n'avait pas encore vu le jour. Et pourtant, les assassinats de femmes parce qu'elles sont femmes, en Argentine et dans le reste de l'Amérique latine, ne datent pas de 2015, ni même de 1986.

Ceci n'est pas une fiction, c'est la réalité et c'est bien pire. Focus sur trois jeunes mortes, dans les années '80 : María Luisa, 15 ans, Andrea, 19 ans, et Sarita, 20 ans. Elles ont en commun d'être jolies et pauvres, et d'avoir été massacrées, sans mobile établi, par des coupables non identifiés à ce jour. Ce livre n'est pas une contre-enquête d'où surgirait enfin la vérité. Selva Almada a relu les dossiers d'instruction, s'est entretenue (tant bien que mal, 30 ans après) avec les proches des victimes, se déplaçant au fin fond de l'Argentine provinciale, a relié ces trois meurtres à une foule d'autres « faits divers » similaires, y a mêlé ses souvenirs personnels de fillette, d'adolescente et de femme. Elle a même consulté une voyante. Elle s'attarde peu à développer les portraits de ces trois jeunes femmes, ne s'appesantit pas en analyses psycho-sociologiques, passe d'un assassinat à l'autre au point qu'on en vient à confondre les mortes. C'est cela qui rend ce livre (et ce qu'il raconte) terrible : elles se fondent en une masse de victimes anonymes, comme si elles étaient indifférenciées, n'ayant pas d'autre caractéristique notable que leur genre, leur sexe. Avec la conclusion inexorable : dans cette société argentine machiste, les femmes ne sont que des objets consommables et jetables, qui feraient bien de se méfier davantage des hommes de leur entourage que des inconnus. Oui, la violence de genre est souvent domestique, même si, ici, il n'y a jamais eu de preuves.
Sans grands effets de plume, sans jeter de hauts cris de pasionaria féministe (et d'ailleurs, pourquoi diable faudrait-il être féministe pour se révolter contre les féminicides?), l'auteure dénonce avec un mélange de distance et d'empathie les violences faites aux femmes. Un texte désespérant et nécessaire, qui rend hommage à ces jeunes mortes et à toutes leurs compagnes en infortune, pour qu'elles reposent en paix. Et pour réveiller nos consciences, et peut-être, tourmenter celles de leurs assassins.
« Maintenant j'ai quarante ans et, contrairement à elle [morte en 1986] et aux milliers de femmes assassinées dans notre pays depuis lors, je suis toujours vivante. Ce n'est qu'une question de chance. »

http://niunamenos.com.ar/
Lien : https://voyagesaufildespages..
Commenter  J’apprécie          462
Les jeunes mortes est un récit qui fait froid dans le dos. L'auteur revient sur trois crimes, trois jeunes filles sauvagement assassinées dans les années 80 : Andrea, 19 ans, retrouvée poignardée dans son lit par une nuit d'orage ; María Luisa, 15 ans, dont le corps est découvert sur un terrain vague ; Sarita, 20 ans, disparue du jour au lendemain.

Elle part à la rencontre des familles et essaie de reconstituer un brin d'enquête. Mais c'est chose difficile après vingts ans. Avec l'épilogue final, on comprend que la situation n'a pas vraiment évolué. Les femmes sont toujours autant soumise a la violence et c'est un récit coup de poing. le texte est bref mais vraiment intense. Il y a des scènes dures, l'auteur ne cache rien et dénonce beaucoup le système de son pays notamment la corruption. On y découvre la détresse des familles qui reste sans réponse.

Si son précédent récit, Après l'orage, m'avait que moyennement conquise, ici j'ai été happé.
Lien : http://missmolko1.blogspot.i..
Commenter  J’apprécie          390


critiques presse (1)
LeFigaro
27 novembre 2015
Un deuxième roman d'un ­réalisme engagé et d'une poésie quasi diaphane.
Lire la critique sur le site : LeFigaro
Citations et extraits (66) Voir plus Ajouter une citation
Dans une petite ville, la mort violente d’une personne jeune constitue
toujours un choc immense. La nouvelle du crime de María Luisa Quevedo a
été traitée, presque depuis le début, de manière romanesque par la presse
locale. L’information n’a pas été publiée tout de suite, ce ne fut au début
qu’un petit encadré dans Norte, le journal le plus important de la province
du Chaco. Le titre était : “Mort mystérieuse d’une mineure”. Dans la même
section, il y avait un autre encart : “Avis de recherche d’un mineur”.
Au début, ce qu’on appelait l’affaire Quevedo fut en concurrence avec
l’agenda du tout nouveau gouvernement démocratique, tout
particulièrement avec l’intérêt que portaient les citoyens à un sujet qui
arrivait enfin à la une des journaux : l’appropriation illégale de bébés et
d’enfants durant la dictature, la découverte de corps non identifiés dans le
cimetière de Sáenz Peña, les premières convocations judiciaires de
militaires de haut rang dans les procès concernant les séquestrations et
disparitions de personnes durant la période 1976-1982.
Mais, assez vite, l’affaire occupa davantage de place, devenant la série
pleine d’horreur et de mystère de l’été 1984 dans la province du Chaco.
Une histoire faite d’intrigues, de suspicions, de fausses pistes et faux
témoignages que les gens suivaient dans les journaux ou à la radio comme
s’il s’agissait d’une telenovela ou d’un roman-feuilleton.
L’absence de résultats immédiats dans l’éclaircissement de l’affaire,
les congés qui approchaient, l’intervention d’un juge d’instruction
remplaçant, le docteur Díaz Colodrero, spécialisé dans les affaires
commerciales et n’ayant aucune expérience au pénal, une police encore
contaminée par les vices de la dictature : pour toutes ces raisons l’affaire
s’enlisa durant tout l’été, ce qui fit les choux gras de la presse qui, n’ayant
aucun élément nouveau à se mettre sous la dent, finit par écrire sur des
rumeurs, des ragots, les hypothèses de voisins.
La mort de María Luisa devint une chasse aux sorcières, les gens
entraient et sortaient du Palais de Justice, se présentant spontanément pour
déposer, désignant des coupables à droite et à gauche. Chaque jour, ces
accusations étaient relevées dans la presse et présentées comme des pistes
solides qui s’effondraient, dès le lendemain, faute d’éléments concrets.
Commenter  J’apprécie          40
Quand nous parlions de la femme du boucher López. Ses filles allaient
à l’école avec moi. Elle l’a accusé de viol. Depuis longtemps, en plus de la
frapper, il abusait d’elle sexuellement. J’avais douze ans et cette nouvelle
m’avait profondément marquée. Comment pouvait-elle se faire violer par
son propre mari ? Les violeurs étaient toujours des hommes inconnus qui
attrapaient une femme et l’emmenaient dans un terrain vague, ou alors qui
pénétraient chez elle en forçant la porte. Depuis notre plus jeune âge, on
nous apprenait que nous ne devions pas parler à des inconnus et que nous
devions faire attention au Satyre. Le Satyre était une entité aussi fantastique
que, dans la petite enfance, le farfadet qu’on nomme la Solapa ou encore
l’Ogre au Sac. C’était l’être qui pouvait te violer si tu étais toute seule à une
heure indue ou si tu t’aventurais dans des coins déserts. Celui qui pouvait
surgir soudain et te traîner de force sur un chantier. Personne ne nous avait
dit qu’on pouvait se faire violer par son propre mari, par son père, par son
frère, son cousin, son voisin, son grand-père, son instituteur. Par un homme
en qui on avait confiance.
Quand Cachito García secouait tout le quartier à l’heure de la sieste
avec les scènes qu’il faisait à sa petite amie. Cachito était un voleur de
poules et il sortait avec la fille aînée des Bonnot, un de nos voisins. Le père
Bonnot travaillait dans une entreprise de construction qui s’occupait de
travaux de voirie et il passait la plupart du temps loin de chez lui. Sa femme
et ses nombreuses filles, toutes très jolies, vivaient seules. Cachito était
jaloux et il insultait sa petite amie à tout bout de champ, parce qu’elle se
maquillait, parce qu’elle portait des vêtements moulants ou alors parce qu’il
l’avait vue parler à un autre garçon. Une fois il est allé plus loin. Les
Bonnot habitaient un préfabriqué en bois et Cachito a aspergé d’essence les
alentours de la maison en menaçant d’y mettre le feu. Les voisins l’ont
arrêté avant qu’il ne fasse tout partir en fumée.
Ces scènes cohabitaient avec d’autres, moins spectaculaires : la mère
de mon amie qui ne se maquillait pas parce que son mari le lui interdisait.
Une collègue de ma mère qui, chaque mois, remettait à son mari
l’intégralité de son salaire pour qu’il gère l’argent. Celle qui ne pouvait pas
voir sa famille car son mari considérait que c’étaient des moins que rien.
Celle qui n’avait pas le droit d’utiliser des chaussures à talons car c’était
bon pour les putains.
J’ai grandi en écoutant les femmes adultes commenter des scènes de
cette espèce à voix basse, comme si elles avaient honte de la situation de la
pauvre malheureuse dont elles parlaient ou comme si, elles aussi, avaient
peur de celui qui donnait des coups.
Ma mère, en revanche, parlait de ces histoires à voix haute, indignée,
c’était toujours l’amie qui écoutait ces histoires qui lui faisait des signes
pour qu’elle parle plus bas, qui lui montrait les enfants en disant : attention,
il y a des oreilles qui traînent… comme si parler de ça était insultant ou,
pire, comme si ça éveillait en elles une honte insupportable.
Commenter  J’apprécie          10
Il ne suffit pas de la passion pour réussir à s’aimer : voilà pour moi le
plus grand enseignement. Ni celle que j’étais dans mes première, puis
troisième année d’université, ni celle que je suis aujourd’hui n’auraient pu
t’apporter une vie paisible, l’amour que nous nous portions, si beau fût-il,
causait trop de ravage dans nos existences, tu ne trouves pas ?
En aimant à la folie, on produit un imaginaire sublime de l’union
réciproque, fait d’aspirations et de passion brutales. Or, la réalité avec les
distorsions et les cahots qu’elle nous impose fait de nous, irrésistiblement,
des perfectionnistes aux réactions bizarres, la moindre faille contraire à
notre imaginaire ou à notre amour prend alors des proportions
insupportables. Je ris en moi-même du fait que « je préfère la séparation au
plus petit coup d’épingle ». Un pas de plus et nous sombrions dans la folie,
comme si entre nous, dans tout ce que l’autre pouvait invoquer sur la nature
de son amour, il y avait quelque chose de diabolique.
Il ne fallait plus dépendre l’une de l’autre, la destruction n’aurait pas pu
s’arrêter. Et pour ce qui est de l’avenir, je te préviens : détruis toute illusion
que j’aurais pu te transmettre sur l’amour, applique-toi à aimer, mais celui
que tu aimeras ne l’aime pas trop, aime à la juste mesure, on ne peut pas se
passer d’aimer. Un tel amour est suffisant pour savoir comment agir avec
l’autre, un tel amour suffit pour savoir que tu as amplement le pouvoir de
traiter l’autre justement. Et si de ce fait tu ne m’aimais plus, eh bien tant pis,
j’espère qu’à l’avenir tu vas vivre bien, c’est-à-dire t’appliquer à aimer
quelqu’un d’autre, bien que je ne sois pas sûre de pouvoir complètement
éviter d’en souffrir.
J’ai déjà pris la ferme résolution d’abandonner cet espoir secret qu’on
puisse posséder la beauté pour toujours. Je vais regarder la mer et je me dis
en pleurant : « Je ne peux garder éternellement pour moi ce qui est beau,
même un souvenir, avec tout l’amour qu’il peut m’inspirer. Parce que sa
beauté lui donne sa propre existence naturelle, et que si je voulais le garder
toujours, j’assassinerais sa beauté. » J’ai décidé de te laisser partir librement
de mon cœur, la cérémonie de la séparation est indispensable à la beauté, on
ne peut conserver éternellement la beauté, il n’y a qu’à l’heure où on
l’abandonne et où on en fait de la bonté qu’elle peut entrer dans l’éternité.
Si profond soit notre amour et si profond soit notre chagrin, on sait qu’on
est deux à souffrir de la même façon, et l’existence est faite en général
de telles laideurs et de telles indifférences qu’il n’y a que la bonté pour en
venir à bout. Ainsi, ce qui peut rendre éternelle une relation entre deux
personnes, c’est qu’elle soit fondamentalement du côté de la bonté. « Je te
souhaite une bonne vie » : voilà une façon de traiter l’autre qui appartient au
domaine de la bonté, et qui dépasse de très haut tout notre parcours de
passion et de recherche de la beauté.
Commenter  J’apprécie          00
Il m’a dit : à San José, les garçons avaient une habitude, un jeu, je ne
sais pas comment l’appeler. Ils appelaient ça faire le veau. Ils repéraient une
fille, toujours issue d’un milieu modeste. Un des garçons du groupe jouait
le rôle du fiancé. Il la suivait dans la rue, lui faisait des compliments, la
charmait. Cette étape avait lieu durant la semaine, ça ne devait pas durer
bien longtemps, car on faisait le veau le week-end, la fille devait être
conquise rapidement. Une fois que la fille cédait, le garçon l’invitait au bal
du samedi soir. Mais avant d’aller au bal, il lui proposait de prendre un
verre quelque part, puis de faire un petit tour en voiture. En fait, ils
n’arrivaient jamais au bal. La voiture prenait le chemin de la station
balnéaire ou d’un lieu solitaire. Le reste de la bande attendait là et la fille
devait passer avec tous. Ou plutôt, ils se la passaient les uns les autres.
Après, ils lui donnaient de l’argent pour qu’elle ne dise rien. Moi ici, à
Chajarí, je n’avais jamais entendu parler d’un truc pareil. Même si, il y a
quelque temps, il y a eu une affaire qui m’a fait penser à cette histoire de
veau.
Commenter  J’apprécie          10
Je lui répète ce que je lui ai dit au téléphone en donnant plus
d’explications : dans deux des cas qui m’amènent chez elle, la famille a
consulté des voyants, mais ces expériences ne leur ont pas appris grand-
chose. C’était peut-être trop tôt, il est peut-être trop tard maintenant,
hasardai-je.
Il n’est jamais tard. Mais je crois que dans l’au-delà tout est ensemble
et emmêlé, ça fait comme une pelote de laine. Il faut être patient, tirer
lentement sur le bout de laine. Tu connais l’histoire de la Huesera ?
Je fais non de la tête.
C’est une vieille, très vieille dame qui vit dans un recoin de l’âme. Une
vieille femme sauvage qui caquète comme les poules, chante comme les
oiseaux et émet des sons plus animaux qu’humains. Son rôle est de
ramasser des os. Elle rassemble et garde tout ce qui risque de se perdre. Sa
cabane est remplie de toutes sortes d’os d’animaux. Mais elle aime par-
dessus tout les os de loup. Pour les trouver, elle peut parcourir des
kilomètres et des kilomètres, grimper sur des montagnes, franchir des
ruisseaux à gué, brûler la plante de ses pieds sur le sable du désert. De
retour dans sa cabane avec une brassée d’os, elle compose un squelette.
Quand la dernière pièce est en place et que la figure du loup étincelle
devant elle, la Huesera s’assoit près du feu et pense à la chanson qu’elle va
chanter. Une fois que sa décision est prise, elle lève les bras au-dessus du
squelette et commence son chant. À mesure qu’elle chante, les os se
couvrent de chair, la chair de peau et la peau de poils. Elle continue à
chanter et la créature prend vie, commence à respirer, sa queue se tend, elle
ouvre les yeux puis, d’un bond, quitte la cabane. Lors de sa course
vertigineuse, à un moment, soit en raison de la vitesse, soit parce qu’elle
pénètre dans les eaux d’un ruisseau pour le traverser, soit parce que la lune
blesse directement l’un de ses flancs, le loup devient une femme qui court
librement vers l’horizon, riant aux éclats.
Telle est peut-être ta mission : rassembler les os des jeunes filles, les
recomposer, leur donner une voix pour les laisser ensuite courir librement
quel que soit l’endroit où elles doivent se rendre.
Commenter  J’apprécie          00

Video de Selva Almada (1) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Selva Almada
Salon du Livre dans le stand des Outre-Mer ? 23/03/2014 .Julien Delmaire revient sur l'actualité littéraire des Outre-Mer. Les invités : Selva Almada & Laura Alcoba. Retrouvez Tropismes tous les dimanches à 11h00 sur @FranceOtv et les chroniques sur Culture Box, 'Nous Laminaires' http://bit.ly/16dDg5M.
autres livres classés : argentineVoir plus
Les plus populaires : Littérature française Voir plus


Lecteurs (154) Voir plus



Quiz Voir plus

Les emmerdeuses de la littérature

Les femmes écrivains ont souvent rencontré l'hostilité de leurs confrères. Mais il y a une exception parmi eux, un homme qui les a défendues, lequel?

Houellebecq
Flaubert
Edmond de Goncourt
Maupassant
Eric Zemmour

10 questions
563 lecteurs ont répondu
Thèmes : écriture , féminisme , luttes politiquesCréer un quiz sur ce livre

{* *} .._..