Une nouvelle maison d'édition vient de voir le jour, pas n'importe laquelle puisqu'elle – Les Editions Flora – a décidé d'ouvrir le bal avec un auteur macédonien,
Petar Andonovski, traduit par
Maria Bejanovska, que je remercie encore, car elle m'a permis de découvrir et de lire ce beau roman. Pour rappel,
Maria Bejanovska a également traduit
Dragan Velikic pour Agullo Editions, Rumena Buzarovska chez Gallimard,
Goran Stefanovski chez L'Espace d'un Instant. Pour revenir à
Petar Andonovski, il a été lauréat du Prix de Littérature de l'Union européenne grâce à ce court roman, qui lui a apporté une reconnaissance internationale, déjà reconnu en Macédoine par les titres qu'il a pu publier là-bas auparavant. Beaucoup d'éléments concordants, le prix littéraire, la qualité des titres traduits par
Maria Bejanovska, la curiosité pour la littérature macédonienne, pour me donner envie de lire ce titre et de découvrir encore une voix d'une littérature peu connue ici.
Le roman est court, il est composé de chapitres dont les focalisations alternent et sont axées selon deux différentes femmes : Oxana et Pinelopi. Comme leur prénom respectif le laisse supposer, la première est ukrainienne, d'origine de Donetsk, la seconde est grecque. Oxana a quitté son pays pour aller vivre sur une île grecque, en compagnie d'Evguéni et Igor. le trio s'est rencontré à la faculté, tous trois destinés à travailler à la centrale nucléaire
Lénine, plus connue sous le nom de Tchernobyl. Nous n'avons pas d'indication précise sur la date de l'action, nous devinons que l'histoire est postérieure à 1986, de quelques années probablement. Evguéni étant malade, le trio part sur Gavdos en Crète dans l'espoir qu'Evguéni guérisse du mal que les rations lui ont infligé. Sur la même île, il y a Pinelopi, épouse de Michalis.
Les deux récits, de femmes qui ne se rencontrent que de vue, se complètent l'un l'autre : si Oxana évoque la catastrophe nucléaire, Pinelopi évoque elle la chute du mur de Berlin. Les événements historiques qui ont remodelé l'Europe leur arrivent par vague, sur l'île, comme l'onde de choc d'un tsunami, ils en ont que les dernières vagues, faibles et sans incidence. Presque sans incidence, puisque la vague d'étranger qui va perturber leur vie quotidienne dans un entre-soi presque incestueux. L'inconnu fait peur, d'autant plus quand on vit dans les limites très resserrées de son confort, l'image des jumelles est d'ailleurs très évocatrice, l'une enfermée depuis toujours dans sa maison, elle-même recluse sur cette île paradisiaque, qui fait le paradis des trois Ukrainiens.
Ici, les gens vivent oubliés depuis des années, l'Histoire les a obstinément contournés, même la lèpre et la faim les ont contournés, et juste au moment ou ils pensaient qu'il en serait ainsi, une fois de plus, Spiro était entré dans la taverne et s'était mis à crier : « Ils sont arrivés ! Les voilà, ils s'approchent du port ! » Et sans demander qui ils étaient, ils se sont tous dirigés vers le port de Karave. C'est alors que, venant du large sous la forme d'une barque, la peur avait commencé à s'approcher d'eux.
S'il y a bien un contact visuel, entre étrangers et insulaires, les choses n'iront pas plus loin. Tout est histoire d'isolement, et de repli sur soi-même, dans ce roman, où les uns et les autres ne cessent de se retrancher dans leur foyer, dans le monastère, dans leur taverne. Même le médecin se refuse à venir soigner Evguéni, qui se meure. Chacune engoncée profondément dans leur solitude, les deux femmes s'adressent à une interlocutrice imaginaire, une amie perdue, témoin d'un passé regretté et heureux, face à la rudesse d'un présent qui n'est fait que disparitions, de déceptions. Deux totales étrangères qui ont pourtant bien plus en commun que ce qu'elles peuvent penser. Beaucoup de départs, au contraire ceux qui se confinent dans un cercle de plus en plus restreint, la solitude qui finit par enfermer chacun et finit par tracer comme une sorte de séparation tangible au monde, où les étrangers deviennent des barbares, indésirables et rejetés.
On ne sait plus qui sont les barbares dans cette histoire, les trois ukrainiens qui s'exilent sur cette île presque déserte, ou les insulaires, qui les rejettent sans chercher plus loin, ni à savoir qu'ils ne sont pas russes – comme ils les appellent tous le long du récit – , ni à leur apporter une aide quelconque, particulièrement médicale quant Evguéni agonise lentement. Les étrangers, ces barbares, bouc émissaires idéaux qui endossent la responsabilité de toute chose, des mauvaises pêches aux morts des uns et des autres : ce récit macédonien, entre Grèce et Ukraine, est universel, transposons-le sur une autre île d'Europe ou d'ailleurs, la peur des uns et des autres est la même, son langage est international.
Encore une fois, il ne fait pas bon d'être une femme dans cette histoire, les plus prêtes prennent la fuite de ce qu'elles présentent être une vie de contraintes et d'emprisonnements qui les attend, les autres se font prendre aux filets d'une vie à se taire. Quand ce ne sont pas la congrégation de soeurs au monastère, ce sont ces époux et ces pères qui les asphyxient, les privant du peu d'espace de liberté qu'elles ont encore, la folie pour seul espace d'expression.
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