Par un matin de juin je m'en irai pour la dernière fois.
Je m'en irai sans savoir où mène la route.
Ni la soif.
Comment dormir,
comment dormir avec la pluie
tombant syllabe
après syllabe sur les yeux?
Jamais je n’ai désiré ainsi,
jamais :
les doigts, tous les doigts aveugles.
Couronné d’écume -
ainsi devrait être
le corps.
Et le feu.
Que reste-t-il des amoureux instruments
de l’automne? Je t’ai vu mordre la tristesse,
elle était amère, l’air tremblait.
Là où n’éclate pas le désir,
où la flamme ne se mesure pas à la flamme,
comment parler du suc
ou du soleil de la bouche et des oranges?
N’appelle pas pierre vive ce qui ne
supporte même pas le poids de l’air,
ne donne pas mon nom
au dernier crépuscule du regard.
J’ai aimé des endroits
où secrètement
le soleil se laissait caresser.
Où étaient passées des lèvres,
où les mains avaient couru innocentes,
le soleil brûle.
J’ai aimé comme on brise la pierre,
comme on se perd
dans l’insensible floraison de l’air.
Qu'as-tu fait des mots ?
Quels comptes rendras-tu de ces voyelles d'un bleu si paisible ?
Et que leur diras-tu des consonnes,
qui brûlent entre l'éclat
des oranges et le soleil des chevaux ?
Que leur diras-tu quand
ils s'inquiéteront auprès de toi des minuscules
semences qu'ils t'avaient confiées ?
EUGÉNIO de ANDRADE - Poeta português