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sur 123 notes
« Depuis la fin de la guerre, j'étais plongé dans un sommeil continu. Je passais de train en train, de camion en camion, de carriole en carriole, tout en demeurant dans un sommeil épais. »

Edwin, dix-sept ans à peine, ne parvient pas à sortir du sommeil profond dans lequel il est plongé depuis que les camps ont déversé sur les routes les milliers de malheureux qui ont enduré l'indicible.

Lorsqu'il dort, l'adolescent originaire comme l'auteur de Czernowtiz en Bucovine, revoit et converse avec son père écrivain, sa mère attentionnée ainsi que ses oncles Arthur et Isidore. Edwin rêve en continu de son retour dans ses Carpates natales et des retrouvailles tant attendues avec sa famille. Ses camarades d'infortune qui tentent de gagner Naples, ne parviennent pas à le sortir de sa torpeur et se relaient pour le porter jusqu'à la Méditerranée.

« Je vainquis le sommeil et me levai. La mer était déjà brûlante. de jeunes réfugiés grandis trop vite barbotaient, d'autres nageaient. C'était un spectacle stupéfiant d'étrangeté. »

Sur le rivage maritime, le narrateur se réveille enfin. Un réveil progressif au cours duquel il reprend contact avec le monde qui l'entoure, entre de longues plongées dans les bras de Morphée. Il rejoint une communauté de jeunes hommes rassemblée autour d'un adulte nommé Efraïm. Une communauté qui se destine à rejoindre la Palestine pour participer à la construction de l'État d'Israël.

Edwin saisit peu à peu la nature du projet d'Efraïm, qui est de transformer les jeunes juifs originaires d'Europe de l'Est, pour la plupart non pratiquants, en des soldats sionistes et pieux. Au-delà des exercices physiques que leur impose leur maître empli de sagesse, il leur faudra apprendre l'hébreu, et renoncer au prénom que leur ont donné leurs parents pour adopter un prénom hébraïque. Malgré ses réserves, Edwin, qui plonge encore parfois dans un sommeil de plusieurs jours, devient ainsi Aharon et tente d'appréhender l'ancien testament.

« Ma langue originelle était en recul constant tandis que l'hébreu prenait racine, élargissait mon horizon et me liait à la terre et aux arbres. »

L'escouade menée par Efraïm atteint enfin une ferme située en Palestine, et apprend à travailler la terre, tels les pionniers d'un nouveau monde. Les jeunes hommes apprennent également le maniement des armes et se préparent au conflit armé qui gronde. Lors du premier assaut donné par Efraïm envers un ennemi qui ne cesse de les harceler, le destin d'Aharon basculera à tout jamais.

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« Le garçon qui voulait dormir » mêle la vie « réelle » de son héros, qui se déroule pour l'essentiel en Palestine, avec sa vie « rêvée » qui se déroule dans les Carpates en compagnie de sa famille. Aux jours passés sous le soleil brûlant de la terre promise, se succèdent les songes des nuits en Bucovine, qui voient défiler des trains, apparaître les oncles Arthur et Isidore, et donnent au narrateur l'occasion de dialoguer avec ses parents bien-aimés.

« La vie est un songe » écrivait Pedro Calderón de la Barca en 1635 dans une pièce de théâtre métaphysique.

Dans ce roman doux-amer, Aharon Appelfeld renverse la proposition de Calderón, en immergeant son héros dans un long sommeil dans lequel « Un songe est la vie ».

Durant les longues heures où Edwin plonge dans un sommeil en forme de voyage vers sa terre natale, les rencontres avec ses oncles, les discussions avec ses parents, l'évocation de son grand-père pieux, paraissent tout aussi réels que les instants où le héros éveillé découvre une Palestine dont il ignorait l'existence.

Durant cette vie nocturne, il croise des anciens amis de ses parents, qui lui vantent la qualité de la plume de son père, qui n'a pourtant jamais été publié, la douceur de sa mère mélomane, ainsi que le respect qu'intimait la foi de son grand-père.

Cet entrelacement entre « la vie rêvée » et « la vie vécue » du héros, qui évoque un double de l'auteur, confère une forme de profondeur métaphysique à « L'enfant qui voulait dormir ». En renversant la proposition de Calderón, l'auteur nous rappelle que les songes ne sont pas seulement le refuge d'un enfant qui a survécu à l'indicible, mais un lieu où une autre forme de vie se joue, tel un théâtre d'ombres chinoises, qui se superposerait à cet autre théâtre où se mêlent le sang et les larmes que nous nommons la « réalité ».

À travers ce roman lumineux où l'intensité des songes du héros semble parfois infiniment supérieure à celle de sa vie éveillée, Aharon Appelfeld parvient à éclairer le tragique de l'Histoire d'une lumière d'une douceur infinie.

La beauté onirique du « garçon qui ne voulait pas dormir » nous rappelle enfin toute la pertinence de la célèbre maxime de Marcel Proust, qui définit à sa façon ce lieu qui réunit les songes et la vie : « La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent pleinement vécue, c'est la littérature. »

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Un jeune garçon qui a tout perdu se réfugie dans le sommeil pour revoir les siens et trouver un sens à sa vie.

En lisant ce livre sur l'exode,la perte,la reconstruction, on ressent la dimension autobiographique et le cheminement de l'auteur.Avec des mots simples et évocateurs, sans jamais nommer précisément ce qu'il est advenu,il parvient à créer un texte lyrique qui relie chacun de nous à sa propre quête.
La force de la langue,l'esprit d'un peuple,la renaissance,des thèmes qui sont toujours d'actualité car ils représentent notre universalité et nos origines.Essentiel
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Formidable ! J'aime beaucoup cet auteur, ses textes sont profonds et poétiques a la fois. Dans celui ci, il se livre . Comment ne pas être réceptive a ce jeune homme a peine sorti de l'enfance qui doit se reconstruire sur les ruines de sa famille. Sensible, grave par moment, philosophique tout y est !
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Le garçon qui voulait dormir raconte l'arrivée d'un adolescent juif en Palestine mandataire. Après avoir connu le ghetto et les camps, Erwin (qui deviendra Aharon) se réfugie régulièrement dans l'hypersomnie pour retrouver en songe ses parents disparus pendant l'holocauste. A la suite du récit de son adaptation au kibboutz, censé faire de lui un homme nouveau grâce au maniement de la bêche et du fusil, le roman illustre largement son long et difficile apprentissage de l'hébreu qui éveille chez lui une mélodie oubliée, tout droit sortie des prières de ses grands-parents. Elle le réveillera totalement en lui donnant le goût de l'écriture.

Sans trop savoir pourquoi j'ai toujours eu quelques difficultés à considérer A. Appelfeld comme un écrivain israélien. Lui même ne se définissait pas comme tel mais plutôt comme « un Juif écrivant en Israël ». Je crois en avoir compris la raison en lisant ce roman car même s'il a changé de prénom et de nationalité, adopté une autre langue et un autre mode de vie, son "moi profond" est toujours resté sur les lieux de son enfance, en Europe de l'Est, là où sont profondément ancrées ses racines. Et ce sont ses écrits qui lui permettent, bien mieux que les rêves, de maintenir vivant le passé, ceci en refusant l'anéantissement de la mémoire et l'aplatissement de l'âme.
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Inspiré des souvenirs d'Aharon Appelfeld, le roman met en scène Erwin, un adolescent orphelin, d'origine roumaine, réfugié avec d'autres, dans un camp près de Naples. La guerre est finie, et ce jeune homme a passé la plus grande partie du trajet qui l'a amené là à dormir. A peine se réveillait-il pour boire, puis retomber dans un sommeil des plus profonds. Les autres réfugiés, dont certains étaient partisans de le laisser derrière eux, l'ont surnommé « le garçon du sommeil ». Quand il revient à la vie, il reste sujet à des rêveries éveillées et à des rêves intenses, qui alternent avec les entraînements physiques prodigués par Efraïm, qui destine ces jeunes à aller coloniser la Palestine.
L'écriture est sobre, de cette sobriété qui porte en elle l'émotion, et les événements les plus simples en sont d'autant plus touchants, comme lorsque le garçon croit reconnaître parmi les réfugiés, à cause d'une attitude, d'un geste, son oncle Arthur ou sa tante Betty. Ces jeunes qui sont encore presque des enfants transportent partout avec eux leur famille disparue, dans leurs rêves ou dans leurs tentatives de suivre le chemin que leurs parents leur auraient tracé. L'un veut écrire comme son père, un autre jouer du violon comme sa mère le souhaitait, un autre améliorer ses dessins…
Ce roman très touchant permet aussi de mieux connaître les premières années de l'état juif créé en Palestine, d'imaginer le rôle de ces jeunes déracinés à qui on présentait un nouveau pays, une nouvelle vie, jusqu'à un nouveau prénom… J'ai été séduite par l'écriture qui ne cherche pas à faire de l'esbroufe et je prolongerai cette lecture avec L'histoire d'une vie, qui revient sur un épisode antérieur de la vie d'Aharon Appelfeld, lorsqu'il fut séparé de son père, et sur d'autres pans de sa vie.
Lien : http://lettresexpres.wordpre..
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C'est un très bon documentaire sur France 3 cet été qui m'a permis de découvrir Aharon Appelfeld, auteur israëlien considéré comme l'un des plus grands écrivains juifs de notre temps.

« le garçon qui dort », c'est le jeune Erwin, 17 ans, rescapé des camps. Erwin a perdu toute sa famille, son environnement familier. le sommeil est un échappatoire qui lui permet de survivre à ce qu'il vient de vivre. Il fait partie d'un groupe de réfugiés apatrides qui, après une longue errance en Europe, se retrouve près de Naples. Erwin a bien souvent été porté par ses compagnons alors qu'il était endormi. Ceux-ci ne voulaient pas le réveiller, pensant qu'il devait vivre de merveilleuses choses dans son sommeil.

Erwin est enrôlé par un émissaire de l'Agence Juive pour venir grossir les rangs des pionniers d'Israël. Il va suivre avec d'autres jeunes hommes un entraînement physique poussé, un apprentissage intensif de l'hébreu. Il lui sera également imposé de changer de prénom : Erwin deviendra Aharon.

Aharon n'a qu'un rêve, qu'une ambition : devenir écrivain. Mais comment peut-on écrire quand on a perdu sa langue maternelle ? Est-il possible de faire passer des images, des sentiments dans une langue que l'on vient d'apprendre ?

Aharon, qui a toujours autant besoin de sommeil, trouvera la réponse auprès de sa mère avec laquelle il a de longues discussions dans ses rêves.

J'ai aimé ce roman car j'ai découvert un pan de l'histoire de l'état d'Israël que j'ignorais. J'ai aimé la sensibilité de l'écriture et le questionnement de son auteur.

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Erwinn, l'enfant du sommeil a été porté par les réfugiés qui ont veillé sur lui endormi, de train en train, de camion en camion de carriole en carriole, de Bucovine jusqu'à Naples où commence le récit, attendant l'embarquement pour la Palestine.

Efraïm est venu entraîner les adolescents: entraînement physique, mais aussi apprentissage de l'hébreu. Les jeunes apprennent sans livre ni cahier, répétant en courant les poèmes de Rahel, de Lea Goldberg, de Nathan Alterman '"judaïsme des muscles" censé les régénérer et les distinguer des réfugiés les séparer de ce qu'ils avaient vécu, le ghetto, les cachettes.... Il semble que le rêve récurrent du XXème siècle a été de forger un homme nouveau. Faire des Juifs hébraïsants, musclés, bronzés, combattants capable de défendre le Yichouv qui n'est pas encore l'État d'Israël. L'entraînement continuedans une colonie agricole où les jeunes gens construisent des terrasses, y apportent la terre, plantent des arbres et perfectionnent leur hébreu dans la lecture de la Bible. La métamorphose ne se fait pas sans résistance. La pierre d'achoppement est le nom hébreu qui doit remplacer le nom donné par les parents.

"on ne change pas de nom, tout comme on ne change pas de langue maternelle. le nom c'est l'âme. En changer c'est ridicule." Ce mot ridicule désignant chez mon père non seulement une dys-harmonie mais aussi une forme de bêtise"

Le héros du livre résout cette contradiction, et la douleur de la perte de ses parents par le sommeil. le garçon qui voulait dormir retrouve sa mère, son père et les amis de celui-ci, sa maison, à Czernowitz (Bucovine). Il dialogue avec eux dans sa langue maternelle - l'Allemand, rarement nommé. Il leur raconte sa nouvelle vie, ses progrès, ses projets de devenir écrivain comme son père. Dans la maison de son enfance, la vie tournait autour des livres, des livres écrits par le père, refusés par les éditeurs, de la littérature allemande, de Zweig, Schnitzler et surtout de l'admiration pour Kafka.

L'action se déroule juste avant la Déclaration d'Indépendance d'Israël et après pendant la guerre qui l'a suivie. Pourtant ce n'est pas un récit héroïque. le narrateur est touché gravement aux jambes dès sa première escarmouche. La suite du récit se déroule donc à l'hôpital puis dans une maison de convalescence. Plusieurs de ses camarades y sont également blessés. Pendant deux ans il lutte pour retrouver l'usage de ses jambes. Relier ses jambes à son corps. Il copie la Bible pour relier les lettres hébraïques à ses doigts. Car c'est en hébreu qu'il écrira ses livres. Apprentissage physique de la langue. Rapport très étroit au texte.

Ambiguïté aussi de son lien au sacré, à la prière. le monde de son enfants, intellectuels éclairé était loin de la religion. La venue en Palestine était aussi une démarche laïque "nous sommes venus dans ce pays pour vivre la réalité et dans la réalité tu dois chasser le verbe "prier" de ta tête. Les Juifs ont bien assez prié comme ça même trop" déclare un des convalescents qui le voit copier la Genèse.

Relier la langue au corps est le fil conducteur de ce livre complexe se déroulant dans deux lieux intimes: rêves de l'enfance en Bucovine et dans la réalité d'Israël qui se construit .



Lien : http://miriampanigel.blog.le..
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J'étais à un café littéraire hier soir, ce livre a été présenté, je vais m'empresser de me le procurer pour ma pile de livres à lire...
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Un ouvrage très fort et très original. Ce garçon qui dort par journées entières, pour oublier son vécu, pour éviter de se poser les questions et de se confronter à la mort de ses proches et à la disparition de son univers, c'est Appelfeld lui-même. le livre interpelle, déroute, bouleverse. Une lecture simple, qui interroge fortement sur nos souvenirs, nos valeurs, nos choix, subis ou non.
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De Naples en Israël, de la guerre à une autre guerre, le livre raconte avec retenue et sensibilité, le retour à la vie d'un garçon condamné à se construire une nouvelle identité.
Il le fera dans un pays qui fait le même chemin , en sortant du sommeil où sa mémoire le plonge régulièrement, comme un refus obstiné de cette fuite vers l'avenir, loin de ses racines et de ses parents qu'il ne reverra jamais.
Récit autobiographique, magnifiquement traduit, un témoignage vibrant de ce que peut être la résilience.
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