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sur 211 notes

Critiques filtrées sur 4 étoiles  
J'ai découvert Aragon à travers ce "Paysan de Paris" et j'ai été subjugué par cette oeuvre totalement originale, ni roman, ni poésie, mais plutôt balade urbaine et onirique dans le Paris des années 1920. Précédant Roland Barthes, Aragon nous expose sa mythologie moderne par une description minutieuse du passage de l'Opéra, avant que ce dernier ne soit voué à disparaître. Il s'applique à en détailler toutes ses boutiques, tous ses recoins sordides ou merveilleux, toute sa faune hétéroclite et anonyme, du café au salon de coiffure, d'une salle de spectacle miteuse à un bordel masqué en centre de massage. Cela pourrait paraître lourd à la longue, mais la poésie d'Aragon y fait merveille. Ce « paysan » qui nous mène dans ces dédales de la capitale nous dépayse véritablement. Aragon nous offre aussi sa vision du surréalisme, et on ressent bien à la lecture que cette oeuvre a été rédigée sans véritable construction préalable, tout semble s'enchaîner comme une chute de dominos, une idée en amenant une autre, comme si Aragon se laissait emporter par les vagues de son imagination. Il n'y a qu'à la toute fin que sa verve alourdit un peu notre estomac, lorsqu'il nous emberlificote un peu avec des propos métaphysiques vraiment obscurs.
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Aragon, le poète des choses. C'est bien la force de la parole poétique d'Aragon qui est révélée dans "Le paysan de Paris". Il nous transporte dans le paysage parisien, des passages pleins de boutiques et de filles de joies aux Buttes-Chaumont, en passant par des bars et des extraits de journaux. Non, il n'y a pas d'intrigue, encore moins d'histoire; il n'y a que le regard du poète et les choses, le réel, et la plume du poète pour faire la liaison.

Je n'ai pas pu m'empêcher de penser à ce poème de Rilke, "Ich fürchte mich so vor des Menschen Wort" ("Je me méfie tant des mots des hommes"). Dans ce poème, Rilke dénonce le désenchantement du monde par les mots, car ces derniers nous font croire que nous possédons le réel, que nous le maîtrisons, ils rendent les choses banales alors que rien n'est banales, ils brisent le chant des choses et la force questionnante des choses. Ainsi:

"Aucune montagne n'est plus merveilleuse pour eux;
Leur jardin et leur bien sont proches de Dieu
[...]
J'aime tant entendre chanter les choses.
Vous les touchez; elles sont rigides et muettes.
Vous me tuez toutes les choses"

Et c'est vrai; après tout, un chien est un être étonnante, mais parce qu'on le nomme chien, il n'a plus rien d'extraordinaire pour nous. le rôle du poète n'est-il pas alors de réintroduire le merveilleux dans le réel? C'est ce que je pense, et c'est ce que fait Aragon dans "Le paysan de Paris". Voici le passage qu illustre le mieux à mon avis cette réintroduction de l'extraordinaire dans l'ordinaire:
"Bizarre attrait de ces dispositions arbitraires: voilà quelqu'un qui traverse la rue, et l'espace autour de lui est solide, et il y a un piano sur le trottoir, et des voitures assises sous les cochers [j'aime particulièrement cette expression]. Inégalité des tailles des passants, inégalités d'humeur de la matière, tout change suivant des lois de divergence, et je m'étonne grandement de l'imagination de Dieu".

D'ailleurs, vers le fin de l'ouvrage, Aragon écrit explicitement que les Hommes ont perdu de vue le merveilleux des choses. Enfin, il parle plus précisément du fait que nous ne voyons plus aujourd'hui la force des symboles; en fait, nous ne les voyons plus les symboles du tout. Là encore, je pense à Baudelaire qui disait que "La nature est une forêt de symboles" là où Galilée écrivait "La nature est un grand livre écrit en langage mathématique", et aujourd'hui nous vivons selon la phrase de Galilée, non plus selon celle de Baudelaire. Mais je m'égards, et voici donc les phrases d'Aragon qui résument si bien la rationalisation du monde, la perte du magique par les mots.

"Les hommes vivent les yeux fermés au milieu des précipices magiques. Ils manient innocemment des symboles noirs, leurs lèvres ignorantes répètent sans le savoir des incantations terribles, des formules pareils à des revolvers".
Le poète est capable de voir ces revolvers, et c'est pourquoi il cherche à utiliser les mots autrement pour dire le réel autrement. En fait, il y a une musicalité qui est redonnée aux choses. Sans doute cet ouvrage est-il comme un grand orchestre. Il y a ce passage très rythmé qui me revient pour illustrer la musicalité:
"La femme est dans le feu, dans le fort, dans le faible, la femme est dans le fond des flots, dans la fuite des feuilles, dans la feinte solaire où comme un voyageur sans guide et sans cheval j'égare ma fatigue en une féerie sans fin".
Magnifique, n'est-ce pas? On sent la fibre surréaliste dans sa plume. Et en effet, l'oeuvre est amplement marqué par le lien qu'a entretenu Aragon avec le surréalisme (il est d'ailleurs question d'André Breton, qui l'accompagne aux Buttes Chaumont). Je crois avoir senti une critique du surréalisme qui perd de vue le sens; Aragon tente de montrer qu'on peut être dans le rêve sans perdre le sens et sans perdre son lecteur, et ce, en restant accroché au concret, c'est-à-dire, je pense, au réel dans ce qu'il a d'extraordinaire. D'ailleurs, les toutes dernières pages prennent la forme d'une sorte de manifeste pour la poésie (car il s'agit de poésie, comme toujours!):
"C'est à la poésie que tend l'homme.

Il n'y a de connaissance que du particulier
Il n'y a de poésie que du concret.
La folie est la prédominance de l'abstrait et du général sur le concret et la poésie"

A cela s'ajoute d'ailleurs une défense du surréalisme dans sa capacité à évoquer des images, et donc à déformer le réel pour le rendre plus vrai peut-être (et paradoxalement). J'en parle parce que les lignes qui le défendent explicitement sont particulièrement fortes par rapport à notre actualité :
"Le vice appelé Surréalisme est l'emploi déréglé et passionnel du stupéfiant image, ou plutôt de la provocation sans contrôle de l'image pour elle-même et pour ce qu'elle entraîne dans le domaine de la représentation de perturbations imprévisibles et de métamorphoses: car chaque image à chaque coup vous force à réviser tout l'Univers. [...] Bientôt, demain, l'obscur désir de sécurité qui unit entre eux les hommes leur dictera des lois sauvages, prohibitrices. Les propagateurs de surréalismes seront roués et pendus, les buveurs d'images seront enfermés dans des chambres de miroirs. Alors les surréalistes persécutés trafiqueront à l'abri des cafés chantants leurs contagions d'images. [...] le droit des individus à disposer d'eux-mêmes une fois de plus sera restreint et contesté. le danger public sera invoqué, l'intérêt général, la conversation de l'humanité toute entière. [...]".

Donc il ne s'agit pas seulement de chanter les choses, mais de défendre l'acte poétique en lui-même, car il est sans cesse menacé par la société qui se sent menacée par la fertilité créatrice du poète et des choses. Plus qu'une aventure musicale et poétique dans les rues de Paris, le paysan de Paris apparait donc comme un acte de résistance, un cri coloré qui appelle le lecteur à changer son regard sur le monde et à affirmer sa béatitude face au réel.
Lien : http://miettedepomme.blogspo..
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J'ai ressenti des impressions mitigées en lisant ce texte de poésie en prose, le sentiment dominant étant que je l'aurais adoré quand j'avais 20-25 ans, mais qu'il me parle moins maintenant, bien que j'en aie admiré en maints endroits les formules et que j'aie copié de nombreuses citations. Il s'agit de l'une des oeuvres dont Aragon était le plus fier, il est vrai qu'elle exprime sa quête poétique d'une façon admirable. le passage suivant, dans la dernière partie, résume pour moi exactement ce que j'ai toujours trouvé dans ses poèmes, l'universalité et le caractère profondément humain : "Je ne me mets pas en scène. Mais la première personne du singulier exprime pour moi tout le concret de l'homme."

Aragon n'est pas tant un poète lyrique qu'il est engagé dans une poésie du concret, il cherche un code pour dire la transfiguration des paysages, des lieux, des êtres. La poésie est un phénomène presque fantastique au sein du quotidien, voire du banal. Au fil de ses déambulations, le jeune homme nous présente ce qu'il voit, son Paris, une sorte d'envers du décor vu comme à travers la lunette d'un kaléidoscope. Ainsi nous guide-t-il dans les coins et les recoins du Passage de l'Opéra, détaillant chaque commerce, ce qui fait sa tradition, son charme - ah... le texte sur les coiffeurs ! Il emprunte pour notre plus grand plaisir et émerveillement les deux galeries du passage couvert, la galerie de l'Horloge et celle du Baromètre. Ce passage est aujourd'hui disparu, mais qu'il vit à travers ces descriptions troubles et fluctuantes ! L'auteur nous présente également un peu de la vie des poètes surréalistes, ses compagnons, et le café qu'ils affectionnaient, le Certa, où l'on servait même un "cocktail Dada". Témoignage précieux de cette époque, de la vie littéraire de son temps, où nous découvrons un jeune poète sensible et ambitieux, qui s'interroge sur l'oeuvre à venir, le sens de la poésie, sa valeur.

Comme Aragon était un jeune poète résolument moderne, il use d'un genre novateur (cher aux Dadaïstes), à savoir le collage : il n'est pas rare qu'au détour d'une page on trouve reproduite une affiche, une inscription, une carte des boissons... Bien sûr, on ne peut que regretter de ne plus avoir accès à ce lieu énigmatique et prestigieux, mais l'imagination n'est-elle pas la meilleure des agences de voyage ?

J'ai un peu moins aimé la seconde partie, le Sentiment de la nature aux Buttes-Chaumont, qui adopte sensiblement le même angle de vue, la même stratégie poétique. le titre emprunté à Rousseau est un peu mensonger, car Aragon y célèbre avant tout les modifications introduites dans la nature par l'homme et pour l'homme. Il nous raconte une promenade nocturne avec André Breton et Marcel Noll, mais parle finalement assez peu du parc, ou plutôt le parc devient vite le prétexte à évoquer la femme aimée à ce moment-là, Eyre de Lanux, une femme mariée qui le faisait souffrir. L'évocation de la femme qui se lève sur le parc comme un clair de lune est belle, mais le problème pour moi a été qu'Aragon ait assez vite dévié sur des théories philosophiques trop élevées pour moi : il lisait Hegel, et honnêtement je n'accroche pas du tout. Je n'ai pas tellement aimé non plus la dernière partie, le Songe du Paysan, pour la même raison. Ainsi, je noterai 4/5 pour l'ensemble.
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Avec le Paysan de Paris, Aragon plonge son lecteur dans un espace urbain typique : les passages couverts. C'est l'endroit idéal pour côtoyer un monde désuet, qui correspond de moins en moins à la modernité de ce début de 20ème siècle et son capitalisme en marche. Grâce aux passages, c'est la dimension de « mythologie moderne » qui est évoquée, ou comment réintroduire une sorte de spirituel dans un monde artificiel (l'expérience sera tirée jusqu'aux Buttes-Chaumont, autre type de construction de l'homme). On accompagne alors dans ses rêveries l'auteur devenu flâneur, sensible à tous les détails extérieurs aussi insignifiants soient-ils mais pouvant déclencher chez lui des moments d'imaginaire (pour ne pas dire d'hallucination) libéré du moindre code ou conformisme. On assiste donc dans ce livre à la réappropriation du réel chère aux surréalistes, de manière cependant plus légère voire drôle que chez un Breton.
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Pour être franche, il m'a fallu 3 lectures attentives avant de bien saisir l'ampleur de cet ouvrage. Au début, je n'ai rien compris... mais alors rien, je ne voyais pas où il voulait en venir.
Puis, je l'ai lu avec une critique à côté et là, j'ai tété transporté par l'onirisme et la balade au coeur des rues de Paris... C'est une véritable mythologie du XXème siècle...
Comme quoi, on peut passer de "je n'y comprend rien" à "j'adoooore"!!!
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Au cours d'une déambulation dans le Paris des années 20, Aragon reprend les thèmes chers aux surréalistes : le rêve, l'amour, l'errance ("Tout me distrait indéfiniment, sauf de ma distraction même."). Il nous promène de ruelles en passages, interrompant ces descriptions d'annotations,de jeux de mots, de reproductions de journaux, de cartes de café, d'affiches... Car l'oeuvre littéraire est aussi plastique pour ces écrivains de l'esprit nouveau.

Mais par delà les aspects surréalistes de ce roman, c'est le regard neuf et original d'un jeune homme de 29 ans que l'on découvre dans cette oeuvre. Moins pédant qu'un Breton, Aragon mêle réflexions sur l'art et descriptions de la vie quotidienne, nous plongeant au coeur d'une période d'émulation intellectuelle et de foisonnement de l'imaginaire. Car ici, le surréel est au coeur même du réel.

"Le concret, c'est l'indescriptible : à savoir si la terre est ronde, que voulez-vous que ça me fasse?"

A lire comme on flâne!

Céline
Lien : http://enlivrezvous.typepad...
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Mieux tard que jamais je découvre Aragon. Évidemment, c'est quelqu'un que j'aurai bien aime avoir autour de la table. le Paysan de Paris est l'oeuvre de quelqu'un qui aime la ville, et la voit avec des yeux d'un rêveur, les yeux d'un surréaliste et les yeux d'un poète. J'ai hâte de retourner à Paris avec la tache personnel de suivre ses pas.
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Ô Paris! Aragon ressuscite ta jeunesse et en déplore déjà les transformations modernes (un peu distributiste, tout de même :-) )! Je déambule dans les années 20 avec cette âme en peine?
C'est un joli voyage dans les pensées obscures d'un poète dadaïste au confluent du surréalisme.
On ressent la mélancolie de l'homme au coeur troué comme du gruyère (Mme Eyre de Lanux y serait-elle pour quelque chose?), tambourinant toujours, pourtant, la frénésie poétique, la philosophie libertaire intrinsèquement pessimiste fière et heureuse de l'être, le libertinage assumé, l'apologie du doute.
Le grand homme, déjà, se distingue par son esprit atypique qu'il appelle folie à l'instar de Chesterton qui semble l'inspirer ("le fou n'est pas l'homme qui a perdu la raison. le fou est celui qui a tout perdu, sauf la raison") et stimuler ses pensées "Je sais contre ma raison que ma folie a un pouvoir irrepressible, qui est au dessus de l'humanité".

On a envie de se rendre, un Jeudi, au café CERTA de la rue d'Isly pour écouter sa poésie...
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Oeuvre composite s'ouvrant sur une description suggestive, dans une sorte de coupe transversale du peuple de Paris, du passage de l'Opéra, dont les petits commerces, les hôtels à la clientèle fort diverse et la vie quotidienne plus ou moins interlope sont menacés par des projets immobiliers avec la bénédiction des édiles municipales, le volume se poursuit avec l'évocation singulière et nocturne d'un des sites les plus remarquable de la capitale : les Buttes-Chaumont. Ces deux textes tirent leur agrément de la mise en oeuvre d'une technique s'apparentant au collage des artistes. Puis c'est le couac lamentable : le texte s'enlise dans un gloubi-boulga abscons et absolument indigeste, mélange rance et filandreux de considérations poético-métaphysico-surréalistes, c'est absolument douloureux et ça n'est pas loin d'oblitérer la plutôt bonne impression qui se dégage des deux premiers tiers du volume.
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La nuit. Ecrire la ville la nuit. Proposition 45. Lire Aragon. Qu'est-ce que la ville la nuit ? Errance ? Rêverie ? Pensée ? La ville la nuit est-elle encore la ville ? le passage de l'opéra est-il encore un passage quand plus personne n'y passe ? le parc des Buttes-Chaumont est-il encore un parc quand il est fermé ? Louis Aragon y laisse errer son oeil et son langage. Il note les panneaux, les bistrots et les coiffeurs. Il fait parler les statues. Il décrit puis il désécrit, laisse s'envoler les mots qui viennent, les mots de la nuit, des mots que l'on ne fixe pas dans le marbre, des mots qui sont des écrits qui s'envolent, des mots concrets qu'on peut toucher mais qu'on ne retient pas. Ecrire la ville la nuit, c'est errer. Sur le socle de la statue, la carte de la ville a disparu.
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