J'aime beaucoup
Metin Arditi, que j'ai découvert avec «
La confrérie des moines volants » donc ce livre était pour moi… dès qu'on parle de manuscrit ancien (même une lettre !) d'histoire, de peinture, je suis là. Je remercie vivement NetGalley et les éditions grasset qui m'ont permis de le lire.
L'intrigue est originale : utiliser une lettre datée de 1575 retrouvée cachée dans un livre ancien que vient d'acquérir Benedict Hugues, un professeur de latin médiéval reconnu de Suisse, lettre qui évoque un attentat de l'époque et que l'homme de mains de la congrégation veut récupérer à tout prix, semant des morts au passage… quelques mois auparavant, Donatella, une jeune fille qui fait des recherches pour une thèse sur une confrérie du XVIe siècle, a été assassinée à Venise car elle s'approchait de trop près d'un sujet qui dérange.
Les deux intrigues sont liées, la petite histoire dans la grande Histoire, et
Metin Arditi nous fait faire des allées et venues entre les deux époques. On a donc un complot, et qui dit complot dit motif, financement, logistique et protagonistes pour le réaliser.
Le motif : il faut que l'Église retrouve la place et le pouvoir qu'elle a perdus selon certains : à l'époque, il fallait lutter contre la Réforme qui prenait de plus en plus de place, se montrait ouverte à la science (révolution copernicienne qui mettait le Soleil au centre de l'univers et non la terre comme le prônaient les écritures…
De nos jours, les ultras de l'Église ne supportent pas le Pape actuel, jugé trop consensuel, trop en faveur des migrants ; ils ruminent leur colère depuis
Vatican II, avaient espéré que
Benoît XVI allait reprendre tout cela en mains… « Et ce pape… Dans son inconscience effarante, l'Église préparait le terrain pour le Grand Remplacement. »
L'ennemi actuel est l'Islam, qui pour ces gens de l'extrême droite va détruire la civilisation européenne au nom du multiculturalisme, ce qui est inenvisageable bien-sûr !
Pour incarner le mouvement, il faut une personnalité forte, un homme providentiel pour prendre la place du pape et appliquer une doctrine rigoriste, prêt à tout pour éliminer ceux qui sont un obstacle sur son chemin : Scanziani au XIVe qui vise la place du pape Grégoire et Fernandez-Diaz de nos jours. Il faut quelqu'un qui incarne le dogme, la prophétie : un nouveau christ dont les mains ont six doigts, comme Jésus peint par Paolo Il Nano, dans une toile remplie de symboles, des signes astrologiques…
Ce dernier a été retrouvé pendu au pont du Rialto, ultime victime de ce Carnaval noir : « une série de crimes commis en l'espace de quelques jours au cours du mois de février 1575, dont les auteurs comme les motifs sont restés mystérieux. » et la toile a disparu (un incendie a détruit la Scuola Grande del San Sepolcro)
Il faut que le groupe soit bien organisé, avec une discipline quasi militaire ; tout est bien structuré dans la « Fondazione » avec les théoriciens tel le père Blaise, les enseignements proches de certains prêches, l'éminence grise avec le cardinal Fernandez-Diaz, charismatique et rigoriste qui fait froid dans le dos, un directeur de la communication, Bartolomeo San Benedetto, qui orchestre des conférences, des séminaires qui accueillent des jeunes de plusieurs pays, de la mouvance d'extrême-droite et les hommes de main tel Arturo, un « ministre des finances » Zaccaria qui gère le blanchiment d'argent via une banque suisse dont le directeur est le frère de Benedict. L'argent n'a pas d'odeur, c'est connu !
Et il faut un complot pour arriver à ses fins, et donc éliminer le Pape et frapper un grand coup pour terroriser la population : un double attentat, la basilique Saint Pierre, pour tuer le maximum de personnes et à la résidence du pape : Casa Santa Marta, pour l'éliminer.
Et pour cela, l'union fait la force, et on va chercher des kamikazes, des islamistes (après tout ils sont des spécialistes !) qui vont mourir en martyr, tel ce couple qui veut se faire exploser avec un bébé dans les bras pour aller au paradis…
Le suspense monte tout doucement, puis le rythme s'emballe au fur et à mesure qu'on avance vers le jour J…
J'ai aimé les références à l'Histoire, les mouvements intégristes de tout poil, le fait de choisir des islamistes de la filière Libyenne qui nous ramène au passé colonial de l'Italie. J'aurais aimé que l'auteur explore davantage cette piste car j'ai trouvé l'histoire actuelle un peu fade… probablement car le personnage principal est davantage un anti-héros qu'un héros.
On pense bien-sûr aux défilés des fascistes sous Mussolini, parcourant la ville scandant des chants (en vieux vénitien dans ce roman), encerclant leur proie pour la précipiter dans le fleuve…
Metin Arditi évoque les populismes actuels, les liens avec une Église puriste et rigoriste, et j'aurais aimé qu'il fouille encore plus.
Ce roman m'a plu, malgré ces quelques désillusions, car on est quand même dans un registre autre que « Da Vinci code » auquel on pense au cours de cette lecture. J'ai retrouvé cet art de conteur que j'aime tant chez l'auteur, mais mon roman préféré est sans conteste «
le Turquetto » …
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