J'ai apprécié cette lecture emplie de solidarité, d'amour… mais j'ai eu comme un goût de trop-peu.
Le thème est très intéressant, les personnages riches de leur humanité, de leurs extravagances, de leurs déboires, de leurs espoirs… mais j'aurais aimé avoir plus de temps pour mieux les connaître… prendre plus le temps.
Le livre est, en effet, très court : 90 pages. A mon sens, il aurait gagné à être étoffé : par des dialogues (inexistants), par plus de réflexions internes des différents personnages pour entrer un peu plus dans leur psychologie.
Il n'en reste pas moins que l'idée est belle, un foyer d'accueil pour des personnes à la rue, avec l'art comme toile de fond : peintures, écrits.
J'ai particulièrement aimé la proposition d'écriture pour une "autobiographie de la rue". Ca m'a rappelé mon métier ; animatrice sociale.
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Dès qu'elle fut au bunker, Abou rangea rapidement les lieux, redressa sa toile sur le mur, qui persévérait à pencher- peut-être parce qu'il s'agissait d'un enfant s'évertuant à voir par le trou de la serrure- avant de s'asseoir, l'air sérieux, derrière son bureau. L'heure, était, de fait, plutôt grave. Il lui fallait obtenir des fonds, la vie du château ne pouvait se passer de subventions, sans cesse à renégocier. Abou projetait de se mettre en quête d'un mécène, mais, pour l'instant, l'affaire consistait à séduire les politiques à coups de valeurs, de morale et surtout de calculs financiers. (...) Abou repéra vite, entre ses interlocuteurs, celui qui pourrait être sensible à sa cause. Elle savait cet homme autrefois engagé dans un gauchisme qu'il se privait bien d'évoquer. Elle n'en dit rien. Elle se concentra sur l'afflux de touristes dans la cité depuis ses métamorphoses artistiques, soutenues par le bunker en contrepartie de l'hébergement des auteurs au château... qui coûtaient bien moins que les structures sociales habilitées.
Le moment s’avéra de fait douloureux. Elle se devait pourtant de reconnaître l’inventivité des deux énergumènes, abasourdie qu’elle était par la tour de Pise aux relents scatologiques qui s’érigeait face à elle.
Mêlés de papiers et de branchages, les déchets s’élevaient en une sorte de mirador à l’équilibre fragile, mais au point de vue séduisant, censé permettre aux pauvres hères du coin de se projeter infiniment plus loin. Confrontée à de si louables ambitions, Abou se résigna à intégrer les deux hommes dans son programme, ce qui leur ouvrit dans le même temps les portes du château.
Cette piètre aventure fut responsable du retard d'Abou au bunker si bien, qu'arrivée sur les lieux, elle constata la présence de Barnabé, dont elle n'avait toujours pas pris connaissance du CV. Soit, elle le fit entrer dans son bureau, le pria de s'asseoir et le mit probablement fort mal à l'aise, car elle le scruta lentement et précisément des pieds à la tête. (...) Elle parcourut sans mot dire son curriculum vitae qui la détendit un peu. Il est vrai que celui-ci ne ressemblait à rien sinon à une addition d'expériences éparses, à l'échelle internationale, du sauvetage de tortues marines, au ménage en maison de retraite en passant par une épicerie solidaire au fin fond de la Creuse et, depuis peu, du soutien à l'écriture autobiographique. (...) Ses pensées furent interrompues par une remarque du postulant qui signa son embauche. Il lui signifia en toute simplicité que son chaotique parcours plaisaient à d'autres et qu'il pouvait comprendre les hésitations d'un employeur à s'engager auprès de lui. Il pointa son investissement dans des causes qui lui semblaient justes, son intérêt pour l'errance et ses fruits artistiques, sa curiosité concernant le bunker. Il n'en fallait pas davantage à Abou qui l'invita à l'accompagner au château un peu plus tard dans la journée. C'est ainsi que Barnabé intégra l'équipe.
Elle arriva au bureau vers 11 h, croisa Sam qu'elle salua d'un chaleureux sourire, l'autorisant par là même à la rejoindre dans la seconde suivante. Abou appréciait au plus haut point le grand adolescent, sorte de feu follet aux explosives fulgurances, garçonnet hésitant, aussi, face à l'homme qu'on attendait qu'il devienne.
Amir s'allongea à ses côtés puis entreprit de lire. Elle l'aima profondément en cet instant, égoïstement, le remerciant silencieusement de l'empêcher de s'éteindre, toute fragile qu'elle se savait face à des démons forcenés.