Bon travail pour ce récit qui nous transporte à la fin du moyen-âge central dans un monde empli de philosophie. La biographie de pierre Abélard foisonne de touches poétiques et de phrasés parfois envoutants.
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une Histoire magnifique, bouleversante qui m'a laissée sans voix. L'écriture se met au service de cet amour qui transcende l'être. Éblouissant
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Quand j'arrivais dans un lieu reculé où les hommes parlaient avec des cailloux dans la bouche et n'aimaient pas les étrangers, je sortais ma flûte; puis je dessinais sur une tablette les murs de ma maison, un chêne et une église. Ainsi savait-on que je venais d'un endroit où il y avait foyer, Dieu, arbre. Les visages se faisaient moins fermés et on me donnait du pain, du fromage de chèvre et parfois un verre de vin épais comme le sang qu'il fallait boire en souriant.
J'avais vu des villes déjà, vastes corps de bois et de pierre qui semblaient suivre un plan divin. Mais il régnait ici, malgré la forêt des clochers qui se dressaient comme des mâts, une folie tout humaine, un désordre sale et merveilleux où les ruines et les constructions nouvelles, les coins de rampante misère et les vastes carrés de vigne, les dévastations et l'enthousiasme d'une naissance coexistaient sans qu'une ligne précise les démarquât. C'était comme si un incendie ou une armée de pillards s'étaient acharnés sur la ville, tandis qu'en même temps et sans cesser leur travail, dans la clameur et les ruisseaux de sang, maçons et menuisiers, peintres et tailleurs de pierre, tous métiers ensemble et sans maître, par un élan commun et mystérieux, avaient édifié de nouvelles demeures pour le plaisir des grands ou la gloire du Christ.
C'était sur le chemin de la terre gelée de France, un jour de l'hiver 1116, quand Louis VI était le roi et Étienne de Garlande son chancelier, Galon évêque de Paris, Pascal II notre très Saint-Père. C'était une saison des misères ordinaires. J'avais vingt années de vie mais j'avais vu plus de lunes que mon compte.
Je gardai le respect pour celle que j'appelais ma mère, une femme pâle aux mains froides qui ne me donnait pas de nom, espérant sans doute par là que je n'existerais plus. Elle ne me touchait pas, ne me laissait pas l'aumône d'un regard. N'être pas vu de qui l'on veut être vu en apprend sur la vie plus que les férules et les coups _ c'est apprendre à savoir qu'on n'est aimé, que par hasard, par accident.
Il est apaisant pour l'âme, dans un monde où tous veulent furieusement être présents et laisser la trace de leur passage, de faire de sa propre absence un manteau pour toutes les saisons. C'était ma façon à moi de fuir seul vers le seul_ et sans attendre.
Je ne serais personne. Ou bien, orgueil secret et sans limites qui faisait une différence à laquelle j'étais seul sensible : Personne.
15 décembre 2009 :
Mot de l'éditeur :
Un inconnu vient se réfugier en un lieu où il croit trouver la tranquillité : une cave donnant sur une petite place, dans un village du Sud.
Un inconnu : un Arabe.
Le jour, il charrie des tonnes de cailloux sur un chantier de terrassement. le soir il rentre dans son trou. Pourquoi se cache-t-il ?
Le village s'agite, une hostilité sourde monte de la terre. Ici, il n'est pas chez lui et ne le sera jamais. L'Arabe n'entend rien, se berce de l'illusion qu'à force de vivre invisible, il finira par disparaître.
Lorsqu'un meurtre est commis sur la place, cette illusion se dissipe. Aux yeux de tous, c'est lui le coupable.
Mais les forces qui se dressent contre lui sont anciennes, comme le feu, la rage, la peur. Pour leur échapper, se rendre invisible ne suffira plus.
L'Arabe est un grand roman «sudiste», où des personnages de Faulkner ou de Flannery O'Connor traverseraient des paysages à la Giono. le Sud d'Antoine Audouard est lui aussi un vieux pays vaincu, peuplé de figures tour à tour tragiques et grotesques. Ecrit dans une langue où le parler populaire se mêle à un lyrisme altier, ce roman qui multiplie les dissonances et les ruptures de ton est l'oeuvre d'un écrivain accompli.
Antoine Audouard est né en 1956. Il est l'auteur de huit romans, dont Adieu, mon unique et Un pont d'oiseaux (Gallimard).
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