La Vouivre/
Marcel Aymé (1902-1967)
Marcel Aymé est un grand écrivain, subtile conteur du terroir français : ce merveilleux roman nous le confirme une fois de plus après «
La Jument verte » et «
Uranus » et bien d'autres chefs-d'oeuvre encore.
Sure le fond, il s'agit en fait d'un roman fantastique mais tout à fait terre à terre.
Arsène Muselier, paysan de 23 ans délaissant les andains et errant au hasard des baissières fait la rencontre de l'immortelle beauté qu'est
La Vouivre, jeune fille qui a coutume de s'aller baigner toute nue à la rivière qui coule au bas du champ des Muselier. Elle ne quitte son diadème orné d'un énorme rubis que lors de cette occasion et quiconque veut le lui dérober se verra attaqué par une horde de vipères extrêmement agressives. Il faut choisir l'amour avec cette vénus aux pieds nus et la tranquillité ou bien la richesse en dérobant le rubis pour des ennuis sans fins et au risque de sa vie. Malheur au cupides !
La Vouivre, en patois de Franche-Comté signifie « serpent » proche du mot de vieux français « guivre » dont on use dans la langue du blason. Et l'auteur d'expliquer que
la Vouivre est une figure comtoise, souvenir qu'a laissé en France la tradition celtique. Survivante des divinités des sources qu'adoraient les Gaulois, elle est toujours restée présente au coeur des campagnes.
La Vouivre est belle, sensuelle, impudique et séduisante.
La famille Mindeur, ce sont les voisins haïs des Muselier depuis des décennies. Et pourtant il y a Juliette, la sage cadette des filles Mindeur qui plait bien à Arsène qui est aussi amoureux de Belette, une pauvrette de seize ans que la nature n'a pas pourvu d'appâts comme Germaine, l'aînée des Mindeur, appelée communément la dévorante, qui est la proie d'un appétit sexuel hors norme, regardant les hommes fixement, les joues et les yeux enflammés par l'impatience de son désir.
« Taillée comme un cuirassier, un centgarde, un grenadier prussien, avec une encolure néronienne et des bras de bûcheron, mais les seins lourds et durs, éclatants, qui bombaient l'étoffe de ceinture, et la croupe pareillement rebondie et toujours inspirée, elle était la dévorante, la ravageuse, la tempête, l'useuse d'hommes et la mangeuse de pucelages. » Tout un programme : avis aux amateurs et surtout gare à ceux qui tombent dans ses filets… !
Vont intervenir dans ce débat sur l'existence ou non de
la Vouivre Humblot, l'instituteur rationaliste, Voiturier le maire radical, antibondieusard, anticlérical, bon ouvrier de la laïcité, le curé pour qui le démon peut revêtir n'importe quelle apparence et aussi bien celle d'un personnage de légende, un curé au regard plein de concupiscence apostolique à la vue des jeunes filles, le fossoyeur alcoolique Requiem qui confirme qu'elle existe belle et bien puisqu'il se vante de l'avoir vue.
Il va être question de la vie de tous les jours, de la foi, de la famille, des coutumes et des moeurs paysannes et bien sûr de l'amour en quête de quoi chacun se doit d'être.
Marcel Aymé allie l'ironie, l'humour caustique et la truculence pour nous offrir une fresque paysanne au coeur de la France rurale en Franche Comté, dans le Jura plus précisément. L'époque se situe dans l'entre deux guerres.
Dans un style distingué et délicat, subtile et charmant,
Marcel Aymé nous ravit avec cette histoire curieuse riche d'aventures qui allient le réalisme le plus prosaïque à la magie la plus éthérée.