Vous connaissez tous les Rois Maudits ?
(La foule) : Ouiiiiiii !
Vous connaissez Mahaut d'Artois alors. Vous êtes-vous jamais demandé si le portrait qu'en fait
Maurice Druon est conforme à la réalité ?
(La foule) : Noooon !
Ben moi, si ! En tout cas j'ai sauté sur l'occasion de savoir quand je suis tombé sur ce livre, complètement par hasard.
Première chose, il existe bien une légende noire de la duchesse d'Artois, petite nièce de Saint Louis, initiée par Jean Froissart et longtemps développée à travers les siècles, jusqu'au 19ème et, donc, jusqu'aux Rois Maudits.
Maurice Druon a développé le personnage en lui faisant endosser nombre d'actions, comme des empoisonnements, pour lesquelles seules subsistent des rumeurs. Ce personnage tellement haut en couleur que j'ai adoré détester (j'étais du côté de Robert le neveu) a été romancé avec talent pour combler les trous des sources la concernant.
Peu de sources donc, mais
Christelle Balouzat-Loubet les exploite à fond. Elle sait remplacer les trous par des généralités sur le monde médiéval franc du 13ème siècle et du début du 14ème. Par exemple, on ne sait pas grand-chose de l'enfance et de l'éducation de la jeune Mahaut. En revanche on sait comment étaient élevés et éduqués les enfants nobles de l'époque. L'auteur exploite ce filon et nous donne nombre d'informations de valeur. C'est également le cas à propos des lectures du temps, et de celles de Mahaut en particulier (dont on connaît les livres qu'elle possédait).
J'ai été impressionné en découvrant que les grands événements de la vie de la duchesse collaient tellement bien à ce que
Maurice Druon nous a présenté. L'homme s'était vraiment bien renseigné. Il est difficile de repérer des écarts par rapports aux sources. Elles existent néanmoins. Plus précisément, elles existent entre les sources et le feuilleton télé de 1972 (qui est ma référence ; je fais un culte sur ce feuilleton). Privée du manteau noir de sa légende, Mahaut se révèle comme une femme maitresse de terres turbulentes et pair de France ; une femme parvenant à maintenir son rang contre vents et marées bien nombreux. Ses barons artésiens ne l'ont pas épargnée et elle a dû jouer sur des registres variés comme la force ou sa « faiblesse de femme » quand cela se révélait utile. Les querelles de voisinage, avec le comte de Flandres ou l'évêque de Cambrai, ont été nombreux. Et bien entendu, son neveu Robert qui revendiquait le comté d'Artois pour lui-même, était un vrai pitbull accroché à sa cheville. Robert avait des raisons qui se défendaient lors un procès. Je ne vais pas les détailler ici.
Le pire pour Mahaut est évidemment le scandale de la tour de Nesles : les filles de Mahaut, épouses de fils du roi Philippe IV le Bel, furent convaincues d'adultère (enfin, Blanche fut convaincue avec Marguerite de Bourgogne. Jeanne fut accusée d'avoir favorisé la chose). Un sacré coup pour la duchesse.
Une chose ressort de ce livre : c'est l'importance de la loi et des procès dans la vie médiévale française. Mahaut fut en procès pratiquement toute sa vie, attaquant parfois, se défendant à d'autres.
Des anecdotes m'ont également marqué :
* Je ne savais pas que la Quasimodo était une fête religieuse qui suivait Pâques de peu.
* A l'époque, le lion était réputé pour appeler à la vie par son souffle ou ses rugissements. Cet élément est repris par
C.S. Lewis dans ses romans sur Narnia (le lion Aslan a ce don).
La lecture du livre est essentiellement agréable, mais pas toujours.
Christelle Balouzat-Loubet cède à la tentation de livrer des descriptions de catalogues d'objets que je trouve barbantes ; par exemple la forme de tous les sceaux de Mahaut ou la liste des églises et autres hospices devant lesquels Mahaut passa lorsqu'elle traversa Lens. Probablement utile aux futurs historiens pour glisser une référence, cela assoupit le lecteur lambda que je suis. A notre époque, je suis persuadé qu'un ajout d'images serait plus opportun que tout ce texte. Je sens ici la patte du directeur éditorial
Didier le Fur qui est un maître en la matière.
En conclusion, je dirais que ce livre confirme le portrait de Mahaut d'Artois livré par
Maurice Druon du point de vue de l'opiniâtreté, mais le débarrasse de l'encre noire de la légende.
Ça vous a plu ?
(La foule) : …