Quand je sortis de l'hôpital
Un odieux soleil m'accueillit
Faisait injure un jour égal
Sur les arbres de Montsouris
Surplombant un monde inchangé
Un ciel de paille et de lumière
Peignait un Paris arrangé
Je venais de perdre ma mère
Il n'y a rien qui rende fou
Comme le calme en plein malheur
Sans un sanglot subir debout
Une apocalypse intérieure
La méchanceté du réel
Consiste à compter pour néant
La tragédie quand pêle-mêle
Le matin chasse les perdants
Rien ne s'en voit la pelleteuse
Pousse du menton les gisants
L'aube n'est pas moins soleilleuse
Ça ne gêne pas les passants
Ce fut une étrange torture
L'impression d'un dédoublement
Pourtant qu'éviter les voitures
Jusqu'à la Porte d'Orléans
Un moi faux filait à grands pas
Entre le tram et les façades
L'autre gardait entre ses doigts
L'affreux verdict d'une main froide
J'avais versé toute une nuit
Des mots tièdes sur cette glace
Un murmure aussitôt détruit
Un babil d'amour à voix basse
Pour tout écho un écran vert
Décomptait un cœur qui lâchait
À court parfois de faits divers
Lançant un prénom j'espérais
Que par magie la mort régresse
On a dit l'amour plus fort qu'elle
Mièvre fable quand disparaissent
Les battements artificiels
CHANT DE LA PORTE SAINT-MARTIN
Pièces vides
Fauteuils où dorment des fantômes
Où ne s'asseyent plus que des souvenirs
Il n'est pas possible que rien ne soit changé
Le broc à eau inamovible sur la table de la cuisine
Les journaux pêle-mêle dans le bac à revues
Tout me toise
Tout conspire à prétendre à votre nullité
Votre départ comptant pour rien devant
Le dur dédain des choses
J'ai beau écrire que le jour n'a plus le droit de renaître ni de lancer
Sa main pâle et livide à l'arête des toits
Que les vitrines des cafés n'ont plus lieu d'être quand vos reflets n'y passent plus
Les deux portes de pierre noire et jaune enjambant les boulevards
Ne cessent pourtant pas d'y jouer les écluses
De minute en minute arrêtant ou laissant s'écouler
Tantôt le serpentement monstrueux de la circulation
Tantôt les feux des phares qui s'y écrasent à rythme régulier
Chaque vague y jetant l'ordinaire tumulte de moteurs relancés ou force crissements de freins
À mi-chemin des deux arches sales le bureau de tabac vit sa vie
Des foules se forment qui tard s'émiettent
Devant la bouche du métro des géants africains invitent les passantes à se rendre
Dans l'un des nombreux salons de coiffure poussés un peu partout
Une nuit criarde faite de néons roses vante des mots absurdes Le Plomb du Cantal La Botte d'Italie Le Banquet du Bosphore
À croire que seule demeure
De notre déchirure une géographie devenue insensée
Le ciel indifférent où charbonne la nuit
Le soir griffé de voitures
Se reproduisent
Quoi que je fasse le présent grouille dont vous n'êtes plus.
(Poème écrit pour ses parents, morts à huit mois d'intervalle)
ODE AUX FONTAINES
Il y eut les soirs de novembre le bar sordide
Les pleurs à rechercher la compagnie des yeux
Simplement des poings et des yeux interchangeables
Pour que la mort ne se voie pas trop
Il y eut sous le ciel picard
Notre première aurore le gris soudain plus beau
Que de sourires dans nos brumes le bouquet plus grand que
moi je le traînais
Sur l’asphalte d’immenses roses comme ferait un balayeur
Le cœur battait vraiment pour la première fois j’allais à ta
rencontre
Et je jetais dans les pétales sans le savoir la poussière de mes
propres pas
Depuis j’énumère et ce sont des rêves à peine
Tout a fané et tout demeure Presque on aurait honte à le dire
Tant est simple dans les fontaines
L’inventaire des eaux glacées.
p.67
ODE À CE QUI RESTE DE L'ENFANCE
Il fait froid et gris aujourd'hui l'argent du jour lentement se
love aux carreaux
Je me demande ce que j'ajoute à la terrible nudité des choses
J'aimerais parler quelquefois comme on déshabille la vie
Comme on ôte au poisson sa panoplie d'écailles comme on
retire le velours d'un fruit
Écrire à cru sans plus rien de moi-même qui s'entortille à
l'évidente platitude
À la brutalité de la lumière sans le vouloir que chaque fois
j'adoucis…
p.68
ODE AUX FONTAINES
C’est curieux sitôt qu’on en fait le compte
Ne reste de vivre que riens
Au mieux ce qu’on en voit à la surface des fontaines
Dans la ville ronde il me revient un soir d’été
On traversait la rivière elle avait mis sa plus belle robe
C’était une explosion de réverbères et de bijoux
Et c’est banal je le sais bien ces affaires de baisers donnés
dans l’odeur des roses
Ses lèvres qui sentaient l’orange chaude je n’y peux rien
De tous les torses qu’on a croisés ne reste qu’une même
romance
Leur cœur bat pareil dans le souvenir…
p.65
Avec douze écrivains de l'Anthologie
Avec Anne le Pape (violon) & Johanne Mathaly (violoncelle)
Avec Anna Ayanoglou, Jean d'Amérique, Camille Bloomfield & Maïss Alrim Karfou, Cyril Dion, Pierre Guénard, Lisette Lombé, Antoine Mouton, Arthur Navellou, Suzanne Rault-Balet, Jacques Rebotier, Stéphanie Vovor, Laurence Vielle.
Cette anthologie du Printemps des Poètes 2023 proposent 111 poètes contemporains et des textes pour la plupart inédits. La plus jeune a 20 ans à peine, le plus âgé était centenaire. Tous partagent notre quotidien autour de la thématique corrosive des frontières. Leurs écrits sont d'une diversité et d'une richesse stimulantes. Ils offrent un large panorama de la poésie de notre époque. Avec notamment des textes de Dominique Ané, Olivier Barbarant, Rim Battal, Tahar Ben Jelloun, Zéno Bianu, William Cliff, Cécile Coulon, Charlélie Couture, Jean D'amérique, Michel Deguy, Pauline Delabroy-Allard, Guy Goffette, Michelle Grangaud, Simon Johannin, Charles Juliet, Abdellatif Laâbi, Hervé le Tellier, Jean Portante, Jacques Roubaud, Eugène Savitzkaya, Laura Vazquez, Jean-Pierre Verheggen, Antoine Wauters…
Mesure du temps
La fenêtre qui donne sur les quais
n'arrête pas le cours de l'eau
pas plus que la lumière n'arrête
la main qui ferme les rideaux
Tout juste si parfois du mur
un peu de plâtre se détache
un pétale touche le guéridon
Il arrive aussi qu'un homme
laisse tomber son corps
sans réveiller personne
Guy Goffette – Ces mots traversent les frontières, 111 poètes d'aujourd'hui
Lumière par Iris Feix, son par Lenny Szpira
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