Bella ciao: Tre

J'ai enfin terminé cette trilogie de bandes dessinées consacrée à l'immigration italienne en France. Je ne connaissais pas du tout Baru, mais j'avais été attirée par la couverture du tome 1, particulièrement réussie. Je n'ai pas regretté de suivre l'auteur dans son entreprise de mémorial de son histoire familiale, et au delà, de l'histoire de ces italiens du sud et du nord venus trimer dans les mines ou les hauts fourneaux de notre pays entre la fin du XIXe siècle et l'après guerre.

Pour beaucoup, l'Italie est restée la patrie, celle où ils rêvaient le "ritorno", et pourtant nombre sont devenus français, ou leurs enfants après eux.
À quel moment cesse t'on d'être un étranger pour devenir "transparent" ? Comment vit on avec un héritage que le temps dynamite, tout comme le personnage doit mettre à feu l'explosif pour détruire le haut fourneau par lequel ses aïeux ont pris leur racines en Lorraine ?

Depuis l'adolescence, j'ai le rêve d'écrire l'histoire de ma famille, de comprendre les mondes dans lesquels ont vécu mes ancêtres, de pouvoir l'expliquer à mes enfants. Cela explique pourquoi j'ai été fascinée par ce projet de Baru, qui restitue des pages d'histoire et des anecdotes familiales profondément significatives.
Par ailleurs, mon beau père, issu de la même génération que l'auteur, est comme lui un héritier de cette immigration italienne. J'ai retrouvé bien des traces intimes, profondément émouvantes, au fil des pages, de ce patrimoine qui est celui de mon mari et désormais celui de nos enfants.

Esthétiquement, j'ai beaucoup aimé les pages consacrées à l'usine métallurgique, la maîtrise de l'aquarelle du dessinateur, son art pour capter les caractères de ses personnages et les interactions entre eux. Bella ciao est aussi une oeuvre qui met en avant des vieillards avec fierté et noblesse, ce qui n'est pas si fréquent. Baru met en scène avec beaucoup de talent ces vies qui ont compté pour peu, travailleurs massacrés à Aigues mortes en 1893, soldats décimés en Argonne, travailleurs des hauts fourneaux... À noter que le point de vue de la narration est focalisé sur les hommes, les destins des femmes n'apparaissent que collatéralement.

Une très belle oeuvre à découvrir pour une compréhension intime de ces histoires de migration et d'enracinement qui sont à interroger quant à la définition de notre identité nationale.

Me voici prête à clore la dernière trilogie de Baru.
Un petit retour en arrière pour me rappeler mes sentiments sur les précédents volumes.
Et c'est parti !
On y trouve
Des souvenirs émus sur l'histoire d'une famille, ces petits riens qui marquent les enfants … ils ont besoin de revenir sur ce qu'ils ont vécu et dont ils n'ont pas toujours compris les enjeux,
Des leçons sur l'histoire de l'immigration italienne, dont on a du mal aujourd'hui a imaginé la violence avec les anecdotes qui ne sont pas si légères quand elles concernent des proches.

Le découpage en épisodes qui ont marqués la vie d'une famille …
La gamelle de mon père, voyage dans l'enfer de l'usine quand le père devait « faire les seize » …
Bersaglieri, raconter comment on faisait ou pas partie des Bersaglieri (1) …
Morra, en italien ou mourre en français, un jeu comme un autre mais pas anodin (2) …
Clandestin … de 1945 à 1950, 137 000 l'italiens sont entrés en France illégalement, régularisés à tour de bras par l'office national de l'immigration dont un bureau était installé dans la gare de Modane …
Acqua … le plaisir de décider de faire couler l'eau dans son évier, dans sa maison et d'arrêter quand on le décide … le luxe suprême et le signe de la réussite…
L'épilogue avec le destin tragique d'Aigues-mortes.

Chaque partie est illustrée par des dessins d'atmosphère qui éclairent sur l'intensité des sentiments qui remontent et le texte souligne les détails qui auraient pu échapper à notre vigilance.
Du beau travail de mémoire pour écrire et pour laisser trace de ce qu'ont vécu les valeureux immigrés italiens en Lorraine.

(1)
Les "BERSAGLIERI" sont un Corps de l'Armée de terre italienne très populaire.
Créé en 1836 par le général Alessandro La Marmora pour servir dans l' Armée Royale de Sardaigne deviendra plus tard l'Armée Royale d'Italie.
Cette Unité d'Infanterie légère est caractérisée par sa grande mobilité. Ils défilent au pas de course et savent adapter leur respiration pour défiler et jouer au rythme de la musique. Très caractéristique aussi le port d'un chapeau à larges bords, utilisé seulement dans l'uniforme de parade et décoré de plumes de coq de bruyère.
C'est la seule fanfare au monde à défiler au pas de course !!

(2)
La mourre est un jeu de hasard dans lequel deux joueurs se montrent simultanément un certain nombre de doigts, tout en annonçant chacun la somme présumée des doigts dressés par les deux joueurs. Gagne qui devine cette somme.
Le nom « mourre » vient sans doute d'un mot dialectal du sud de l'Italie, « morra », « troupeau » (les doigts levés par les joueurs faisant penser aux membres d'un petit troupeau ?). Il est encore pratiqué en Corse et dans le sud de la France. Les nombres sont accompagnés d'expressions plus ou moins colorées et les participants crient pour intimider l'adversaire. La pratique de la mourre est inscrite à l'inventaire du patrimoine culturel immatériel français depuis 2012.