Benasayag, philosophe franco-argentin, ancien résistant guevariste, démontre que le concept d'individu est un concept moderne, particulièrement lié à la société capitaliste. Il effectue ainsi une véritable archéologie du concept moderne d'individu qui remonte jusqu'au XVIIIème siècle, voire à la coupure épistémologique due à la révolution copernicienne.
L'auteur souligne que l'individu est « un concept inquestionné », un « postulat de base incontesté » du monde moderne.
Par une argumentation rigoureuse, il démontre que les métaphysiques qui ont voulu séparer l'individu du reste du monde (
Descartes en particulier) sont tombés dans le piège de l'abstraction. Tout le travail moderne autour du concept d'individu a été de casser ce lien primordial, comme si on avait à faire à un sujet étanche qui regarde le monde d'une « supposée extériorité ». Or, il n'y a jamais un individu (ou une pensée) seule. Toujours elle reste en lien avec une société donnée, une situation particulière. Si l'on ne comprend pas cela, on tombe inévitablement dans l'un des deux écueils suivants : ou l'universalisme abstrait ou le relativisme. Ou bien l'individu cristallise sa pensée dans des idées universelles, c'est-à-dire abstraites et donc totalement inopérantes, ou bien on tombe dans le relativisme, stipulant que chaque individu détient sa propre vérité.
De par cette illusion, les hommes se fourvoient sur leurs véritables intérêts. L'individualisme suggère qu'il faut d'abord se préoccuper de satisfaire ses petites envies, alors qu'il y a beaucoup plus urgent, des choses beaucoup plus importantes. Les hommes sont amenés à tenir pour réelles des choses totalement éphémères.
Tout cela est affirmé et démontré à l'aide des concepts marxistes mais aussi spinozistes.
Il est urgent, aux yeux de l'auteur, de rejeter le concept d'individu, pour pouvoir agir, ici et maintenant, dans nos sociétés modernes. Cela ne peut se faire qu'en réinsérant l'individu, ou plutôt la personne, au sein d'une « situation », comme faisant partie d'un tout qui évolue.
La question se pose donc au final de savoir comment agir au sein d'une situation.
C'est là que l'on reste un peu sur sa faim. On ne nous dit pas comment "lire" la situation afin de pouvoir "participer" à son évolution... Tout ce qu'on nous dit c'est qu'il ne faut être ni universaliste ni relativiste.
Il nous donne quelques pistes cependant, comme son soutien aux myriades de petites luttes alternatives, contestant l'ordre libéral. Passé guevariste oblige, je dirais, il laisse entendre que les révolutionnaires ont tort de se préoccuper du pouvoir central (qui est une idée abstraite). Qu'il faut prendre en considération la situation actuelle (qui ne prête assurément pas à une révolution) pour pouvoir en modifier les « lignes de forces ».
En conclusion, un livre assez fluide, qui se laisse bien lire, même si les derniers chapitres ont tendance à obscurcir le propos de l'auteur. Les idées défendues sont intéressantes, c'est bien la première fois que je vois l'individualisme critiqué sur un plan purement philosophique.