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Véronique Bergen (Autre)
EAN : 9791096415076
126 pages
Tinbad (04/10/2017)
4/5   1 notes
Résumé :
Jamais est le monologue d'une femme âgée, Sarah, en proie à une débandade psychique. De nombreux reproches sont adressés à sa fille, qui n'est pas nommée. Une confession. Elle dure une heure, de 18 h à 18 h 59. Comme un combat de boxe lexical. Une histoire de langage. Mais un langage poussé à ses extrêmes-limites...
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Critiques, Analyses et Avis (1) Ajouter une critique
Dans un rapport mère-fille fantasmé et jusqu'au-boutiste, depuis un lit d'hôpital, en une heure pile de monologue véhément et hilarant, une vérité crue de l'essence du langage.

Sur le blog Charybde 27 : https://charybde2.wordpress.com/2020/05/17/note-de-lecture-jamais-veronique-bergen/
Lien : https://charybde2.wordpress...
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Citations et extraits (4) Ajouter une citation
Qui êtes-vous, mademoiselle ? Que faites-vous sur mon lit où j’attends celui qui n’a jamais voulu se marier avec moi ? Je porte les crimes de ma famille sur mes épaules, c’est pourquoi je suis voûtée. Le prénom de mon père ? Il s’est envolé. Du J initial je suis à peu près sûre. Les mots s’enfuient de chez moi ou bien arrivent tout emmêlés. Quand on atteint mon âge, on s’allège du superflu. Les quatre à cinq dents qui me restent en ont marre de ma bouche. Parquées au même endroit depuis presque un siècle ça les déprime, alors elles se défenestrent. Normalement, les termes précis du style « défenestrent », je les laisse à ma fille qui déteste l’à-peu près dans la vie. Enfant, elle me torturait des heures durant, m’interrogeant sur le sens des mots. Un escabeau, c’est quoi, maman ? Une sorte de bateau à trois mâts et demi je pense. La précision du « demi », c’est ça qui l’épatait. J’avais tenté d’enterrer le flamand mais mon français était nimbé de flou. Les noms des oiseaux, des plantes, les verbes rares, les locutions typiques, les proverbes, le vocabulaire culinaire composaient les cases mortes dans la langue que j’avais choisi d’épouser. Une erreur dans l’emploi d’une préposition et la môme pleurait, agrippée des après-midi entières à un dictionnaire que j’avais volé au bureau à sa demande. Qu’on ait vécu des années dans un appartement dépourvu du Petit Robert, c’est ça qui l’a désaxée à jamais. À la fin de l’école primaire, elle minaudait « maman, aux taxidermistes, aux empailleurs du langage qui le parquent à la morgue, je dois soustraire un maximum de spécimens sauvages, libres, je dois les réanimer, leur redonner vie. Tu comprends ma mission ? ».
Je détestais être mère, elle ne voulait pas une maman mais une encyclopédie. On aurait pu bien s’entendre au lieu de se saccager enfer. Quand j’emploie un mot exact, j’en veux à ma fille de m’avoir contaminée. Passereau, goéland, ibis, vous voyez vraiment une différence ? Pour faire paniquer ma fille à mort, il me suffisait d’accoler n’importe quelle image à un nom. Des guêtres tu dis ? Ça doit être un instrument pour faire le guet. Dans une de tes chansons de variété, le refrain répète « que je sois en liesse » ? Sûrement un nouveau terme pour dire une laisse. Une langue ça bouge très vite tu sais. Chaque nuit, pendant que tu dors, il y a au minimum cinq spécimens qui naissent. Dangereux de dire cela à ta gamine, me disait mon amant criminologue, elle dort déjà avec le Larousse et le Bescherelle dans son lit et dresse des listes de mots dans ses cahiers d’écolière.
Moi, je vois tout en approximatif, le physique des hommes, la résonance des mots, les périodes historiques, les zones géographiques. D’ailleurs, votre visage est vague, mademoiselle? Quand il passe dans mon cerveau, le monde doit perdre son ordre. Seules mes peurs ont une précision pharaonique. « Pharaonique », c’est pas de moi qu’il vient cet adjectif. Mon lot d’épithètes est plutôt étroit. Il n’y a que les écrivains qui s’encombrent de cinq mille mots et traitent de haut les propriétaires moins fortunés de mon genre. Vous être riche de combien de vocables, mademoiselle ? Votre compte en banque lexico-sémantique atteint quel montant ?
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La fenêtre donne sur la guerre qui a décimé mon enfance, la fenêtre donne sur les cris de ma mère. Mes mains empoignent la crémone mais, vidées de leurs forces, elles retombent feuilles mortes. Je dois sauter dans le vide pour rejoindre le jadis. Peut-être suis-je au rez-de-chaussée car des massifs de roses et des sapins maigres me font face. J’ai l’âge de la pluie qui se met à tomber, j’ai cent fois l’âge du pigeon qui débusque des vers de terre entre les dalles de la cour, entre les dalles de ma mémoire. Un pas me coûte une vie. De la table au lit s’étend le désert du Sahara. Le plus têtu, c’est mon pied gauche qui fait mine de se diriger vers la droite puis suspend son vol. Certains de mes membres sont caractériels, surtout à l’approche du soir. Voulez-vous vous distraire, Sarah, prendre un bain d’images télévisuelles ? Comment expliquer à l’aide soignante que je ne veux plus du dehors ? Que plus rien ne filtre du monde, voilà mon souhait, que rien ne contrarie mon grand retrait. Je travaille à faire le vide en moi, à me dépeupler de tout. L’actualité politique, les faits divers, la météo, les livres, les connaissances, le genre humain, tout passe par-dessus le parapet.
Je veux brouter mes pensées en paix, pensées en charpie, mie d’idées à donner aux deux chats qui me rendent visite, mais sont-ce bien des chats ? La vue, la vie me jouent des tours. Sarah, vos chaussettes sont trouées, demandez à votre fille d’en acheter. Non, mademoiselle, c’est mon cerveau qui est troué, un vrai gruyère. S’il vous plaît, laissez-moi me délester du bruit du monde et m’acclimater à mon terrier. Mon seul problème : je ne parviens pas à me détacher de la peur. Une tare familiale, ce talent pour se noyer dans la panique.
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Mademoiselle, un conseil : n’ayez jamais d’enfant, un mioche ça bousille la vie, c’est une catastrophe, une apocalypse qui s’abat sur vous, un boulet que l’on traîne des décennies. En accordant une liberté totale à ta gamine, à ne pas lui imposer de limites, de bornes, tu risques de la déséquilibrer, d’affoler son angoisse, d’en faire une inadaptée chronique à la société, à l’existence me répétait un amant psychiatre. Ça la regarde si, à cinq ans, ma fille suce mes bijoux, mange ses cheveux, trichotillomanie réactionnelle m’avait dit ce même amant, c’est son affaire si elle dort dans une boîte en carton, parle aux fantômes et dessine sur les murs, sur les armoires, sur son corps. Le jour où elle m’a demandé « maman, c’est mieux de me lancer dans le patinage ou de faire du poney ? », je lui ai balancé « tu fais ce que tu veux, nul n’en a cure. Tu t’adonnes aux claquettes, à l’ocarina sans trous, à l’élevage de limaces, je m’en fous, du moment que TU ME FICHES LA PAIX ».
Personne ne m’a montré comment survivre dans la campagne brabançonne, personne n’a écouté mon calvaire, alors, pas question que je donne à ma fille ce que je n’ai jamais reçu. Un aveu tardif : laisser mon enfant à l’état sauvage n’était même pas un programme, juste une impossibilité de fonctionner autrement. Je retire une certaine fierté de lui avoir enseigné une seule chose par voie de contamination directe : s’alarmer pour un rien, se noyer devant une tasse de Cécémel, douter d’être dans la veille ou le sommeil, la vie ou la mort.
Un conseil, mademoiselle : n’engendrez jamais. Un moutard, ça vous désagrège. Déjà fœtus, il dévore votre oxygène et sa naissance vous signale qu’il vous précipite dans la tombe.
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Je redescends sous la barre des 40 kg, sous la barre des cent mots. Je laisse à ma fille le soin de faire des provisions langagières, de stocker ses trésors dans des boîtes de conserve, dans le congélateur. Même mon prénom qui pourrit par ses deux « a », je le jette volontiers aux orties. Le seul vocable que je tiendrai en réserve et calerai entre mes joues, c’est « jamais ».
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Vidéo de Véronique Bergen
Véronique Bergen présente Marolles. La Cour des chats, CFC-Editions (2022)
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