À partir de quel moment l’accélération de l’Histoire, qui est le trait majeur de l’époque contemporaine, annule-t-elle le décalage entre l’existence et la conscience au point de les rendre à peu près concomitants, comme l’éclair et le tonnerre, lorsque l’orage est sur nos têtes ? Il est tentant de situer cette quasi-coïncidence à l’instant où ceux qui font métier de penser, poètes, écrivains, philosophes, se désolidarisent des fins de leur classe d’origine pour passer, en pensée mais en pratique aussi, pour certains, dans les rangs opposés. Outre la hauteur théorique à laquelle est tenue toute philosophie digne de ce nom, le marxisme possède une vertu qu’on n’a jamais vue à aucune autre. Il s’adresse aux profanes, aux plus nombreux et démunis d’entre eux, aux prolétaires. (…) Il importerait assez peu que les actes du drame millénaire, tout matériel, qu’il joue sous divers atours, dans de changeants décors, fasse ou non l’objet de commentaires si ceux qu’il inspire à Marx, en 1848, n’avaient pour but, et de l’expliquer aux actuels protagonistes, et de le clore.
Ilya déporte légèrement le 103 pour éviter un T 34 immobilisé, à cheval sur le trottoir et la chaussée, à gauche, et Ivan surprend, au passage, tout près, sur la tourelle, un petit trou noir au milieu d’un cerne décoloré par la chaleur intense d’une charge creuse – « le baiser de sorcière », comme disent les soldats. (…) Dehors, c’est peu de chose. On dirait qu’une bouche aux lèvres noires a déposé un baiser sur l’acier, dardé d’une fine langue brûlante. Mais dedans, tout a été consumé, l’équipage carbonisé.
Pour la première fois dans l’Histoire, la force de combat, qui n’est jamais que la force de travail appliquée à une besogne négative, à une désutilité calculée, massive, possède l’aptitude à formuler le réel comme expérience du présent, sur site. La généralisation de l’instruction primaire, l’ouverture de l’enseignement secondaire dans les pays développés, restituent aux acteurs le contrôle de la narration qu’ils avaient abandonné, dès l’origine, à la caste lointaine, fermée, orgueilleuse, des lettrés.
À l’encontre de la loi non écrite qui veut que toute expérience, depuis le début des Temps modernes, reçoive, dans l’instant même, une expression homogène à son ampleur, l’événement majeur du XXe siècle, qui fut la naissance, la vie et la disparition de l’URSS, n’a pas trouvé d’écho digne de ce nom dans l’ordre de la littérature, et c’est peut-être de cette carence qu’elle est morte.
Ce que le siècle des Lumières et celui des révolutions ont conçu de plus haut, de meilleur, a migré, à cet instant, dans la cervelle fragile d’un activiste qui déchiffre, comme à livre ouvert, le sens des événements et leur dimension planétaire dans le chaos de l’automne 1917.
Cette semaine, Augustin Trapenard est allé à la rencontre de Pierre Bergounioux à l'occasion de la sortie en poche de son livre "Le Matin des origines" aux éditions Verdier. Ce merveilleux ouvrage célèbre l'ancrage profond dans ses racines, dans les terres du Quercy entre Lot et Corrèze, où l'auteur a grandi, dans la chaleur de la maison rose et au sein des paysages qui ont façonné son être. Ces souvenirs, imprégnés dans sa mémoire, représentent une part essentielle de son identité qui demeure là-bas. À travers ces pages, Pierre Bergounioux évoque avec justesse le lien puissant que la terre tisse avec nos souvenirs et nos émotions, révélant ainsi le pouvoir des lieux familiers pour donner du sens à notre passé et à nos moments les plus heureux.
Il était donc évident qu'Augustin Trapenard se déplace au coeur de cette histoire, sur les contreforts du plateau des Millevaches, dans sa maison de Corrèze pour un retour aux origines de la vie et de l'écriture.
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