Ce n'était pas évident pour moi, en plein été, d'ouvrir ce livre de mémoire d'une enfant rescapée de la Shoah. Heureusement, la photo de couverture d'une Mariette sûre d'elle-même, resplendissante dans ses 18 ans, m'a permis de franchir la porte et d'accéder à l'histoire tragique d'une famille juive victime de la Shoah, mais surtout à son histoire personnelle, à la quête de son être propre. le ton bleu-vert de la couverture est magnifique. Son regard m'a d'emblée interpellé.
Ce livre est étonnant. Il fait beaucoup de bien. Il porte l'espoir et constitue un formidable enrichissement, une opportunité de célébrer la reconstruction d'une jeune femme ayant bénéficié d'une belle chaîne de solidarité afin de la sauver. Une fois le récit lancé – à l'après-guerre – je ne pouvais plus m'arrêter.
Bruxelles, novembre 1942, la maison est investie par la Gestapo, Mindele 4 ans parvient à s'échapper avec son père. Elle ne reverra jamais sa mère, ni ses frères et soeurs déportés vers les camps de la mort pour le simple fait d'être juifs ! Recueillie dans un couvent, elle devient Mariette, prénom qu'elle gardera. Elle trouve ensuite protection et amour chez trois soeurs à la campagne. Marthe, Thérèse et Marie vont devenir sa famille de substitution, lui apportant l'affection et la force d'affronter plus tard sa terrible histoire familiale. Elle appelle Thérèse « maman ».
Bruxelles, 1946, elle retrouve son père dont elle ne comprend plus la langue, le yiddish. Ils vivent avec Mme Goldman et son fils Jean « dans un appartement froid et miteux ». Mariette a 12 ans quand ils partent pour New-York rejoindre « tante Rivka », cette soeur que son père n'a pas vue depuis 38 ans.
Les années 60 à Brooklyn : années d'université pour Mariette, de découverte de la liberté, des garçons. Elle enseigne le français à New-York, est mariée pendant 10 ans avec Alan qui va se faire une certaine notoriété sous le nom d'Alan Vega, puis « Suicide », nom d'artiste d'un plasticien et musicien plutôt déjanté. S'en suit une longue période de dépression.
Dans les années 1970, elle part vivre quelques années en Iran, enseigne le français et l'anglais avant de rentrer aux Etats-Unis.
Le livre est très bien construit. J'ai apprécié les six pages de photos permettant de se familiariser avec les personnes citées tout au long du récit. Elles apportent une charge émotionnelle supplémentaire surtout pour la famille victime des crimes antisémites nazis.
L'autrice interroge un passé fait d'exode, de la recherche d'un port où jeter, enfin, l'ancre et trouver la paix. Est cité
Guillaume Apollinaire : « Ô ma mémoire Mon beau navire Ô ma mémoire Avons-nous Assez navigué ? ». La mère de Mariette, Zysla, avait quitté la Pologne pour rejoindre un cousin et pour se marier à un veuf, Abraham, futur père de l'autrice, qui a déjà trois enfants. Fuir la misère, les pogroms, se raccrocher à une vague famille éloignée, affronter l'inconnu... Mariette, dans ce qu'elle appelle, « son errance afin de trouver ses racines », fera sur le tard le voyage en Israël, voyage qu'elle a longtemps repoussé, son esprit libre se méfiant de « La terre promise ».
Les premières pages m'ont interloqué. Mariette assiste à une fête grandiose en Allemagne en 2005, pour l'anniversaire d'une tante de son compagnon, Wilhelm. Dans l'hommage rendu sous forme de projection vidéo, Annaliesa, la tante, apparaît alors qu'elle a quatorze ans, en tenue des « Jeunesses Hitlériennes, une croix gammée cousue au bras gauche. » le fils de celle-ci a même entraîné ensuite Wilhelm dans son bureau pour lui montrer sa « collection de souvenirs nazis ». Malaise... surtout quand Wilhelm répond à Mariette, dans la voiture, en repartant : « Que pouvais-je dire ? Pas grand-chose. Après tout, nous étions ses hôtes. » Malaise du lecteur que je suis quand on en reste au vague projet d'écrire une lettre à la tante... Alors, quand la suite à cet épisode est donnée dans les dernières pages, je sais que ma sensibilité s'accorde à celle de l'autrice, que ce livre va me marquer pour longtemps. Coïncidence, je trouve cette citation de
Ginette Kolinka tirée de
Retour à Birkenau, citation tellement difficile quelquefois à mettre en pratique, mais essentielle : « Si vous entendez vos parents, vos proches, des amis, tenir des propos racistes, antisémites, demandez-leur pourquoi. Vous avez le droit de discuter, de les faire changer d'avis, de leur dire qu'ils ont tort. »
La couette de sa mère, quelques photos retrouvées, les réminiscences d'odeurs, tout ce qu'elle peut récupérer lui permet de se déprendre de cette terrible histoire familiale.
Après avoir lu et chroniqué l'essai de
Daniel Oppenheim «
le désir de détruire », s'intéressant à la difficile résilience face aux traumatismes majeurs du passé, leurs effets déstabilisants ou déstructurants sur les descendants, il était bon pour moi de découvrir ce livre rempli d'amour et de reconstruction réussie. Deux faces des possibles humains en fonction des circonstances et des solidarités humaines sans oublier, bien entendu, les possibilités personnelles de chacun. Mariette nous présente sa vie, une vie extraordinaire remplie de doutes mais surtout d'énormément d'amour, « de désir de construire ». Cette pulsion de vie là est magnifique et ce livre précieux dans cette quête exemplaire.
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Retrouvez cette chronique avec sa photo personnelle d'illustration de la très belle couverture (quel portrait magnifique qui éclaire le livre !) ainsi que le titre de
Bob Dylan cité p 157, une merveilleuse chanson d'espoir. A bientôt !
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