Ballade dans un parc.
Zoomez.
Des tables et des auteurs qui se livrent.
Zoomez.
Une table avec un train électrique.
Intriguée.
Un auteur et son scénario à coucher sur les voies.
Ouvrez à la première page et plongez dans cette scène miniature.
Bienvenue dans le monde de Livius Carmin, journaliste. Bienvenue dans ma ville, Nantes plus vraie que nature. Bienvenue dans une histoire où les trains vous emportent dans votre denier voyage.
Abandonnez le cliché du journaliste aux doigts jaunis par le tabac, et aux lunettes minimalistes. Livius bosse pour le Nantais, et honore tous les points cardinaux de la Cité des Ducs en baskets collector, armé d'un "sourire charmeur qui donnerait l'impression que la nature l'a doté de quarante-six dents". Irrésistible, l'esprit aussi vif que la répartie, fut-elle intérieure parfois ! Mais quand une affaire aussi importante que celle d'un triple homicide, utilisant les voies de chemin de fer pour guillotine, place ses cartes sur la table nantaise, Livius saute sur sa monture (une bonne vieille AX, sur laquelle je passai mon permis de conduire il y a si longtemps ^^) et file au devant des dangers. Il ne sait pas encore à quel point il va se retrouver impliqué dans l'affaire.
"Dès que j'avais eu vent de cette affaire je m'étais rencardé auprès de David sur zone, plutôt bien placé chez les bleus. C'est pas avec le planton que tu vas loin au niveau infos. Mais mon indic n'avait rien pu m'apporter. Ça pateaugeait dur chez les poulets. Pas d'empreintes, de l'ADN non fiché, une scène de crime aussi aseptisée qu'un bordel ne l'est pas. Et personne pour se pointer signaler la moindre disparition. du coup, rien pour la presse. Des miettes que même un pigeon boulimique aurait refusées. de toute façon, je ne sortais rien tant qu' on n'avait pas deux ou trois signaler infos crédibles. Pas envie de passer pour un baltringue aver pour faire vendre, etc. Vu les photos que mon scoop miteux. Déjà que de bosser au Nantais, ça faisait pas rêver grand monde... Il s'agit pas du New-Yorker local non plus. Mais quand on avait du lourd, on avait notre petit succès, surtout sur les faits divers. Ça excite la ménagère et le charbonneux, les faits divers, ça plaît aux ados boutonneux en crise identitaire qui kiffent encore le Club des cinq... Donc, pour éviter de passer pour des branques, fallait du fait, pas du fantasme. Certains de mes confrères ne s'étaient pas privés d'évoquer l'affaire en une, à grand renfort d'hypothèses d'interviews de voisins de la scène de crime, le genre de type qui ne sait rien mais qui dira tout, d'analyses foireuses sur la courbe des rails, la vitesse du train, la température exté rieure... Une théorie avait même jailli d'on ne sait où, comme quoi il n'y avait jamais eu de cadavre, qu'on nous mentait, que c'était une vache morte, que c'était pour occuper les masses, les articles sans fond se succédant, les lecteurs, par lassitude, ne s'étaient pas passionnés pour cette affaire."
L'enquête est fournie de rebondissements badins, au détour des rues nantaises et des boutiques que j'aime moi-même fréquenter : les bars éternels du centre-ville, les quartiers où règnent les soeurs aquatiques - Loire, Sèvre et Erdre - les boutiques du passage Pommeraye, dont la Bourse aux timbres (où jai dépensé des fortunes, ado).
Puis le ton s'épaissit comme sait le faire le ciel de cette ville. le lecteur ne peut plus alors échapper à l'inéluctable : la révélation finale qui vous laissera un goût amer, et un espoir.
Dézoomez.
Descendez du train de la petite table.
Soufflez.
Decouvrez sans plus tarder cet auteur qui, comme les meilleurs prestidigitateurs, ne tremble pas face à la révélation de son tour final. Car il sait mieux que quiconque que vous avez déjà pris votre billet pour le prochain voyage.
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Dès que j'avais eu vent de cette affaire je m'étais rencardé auprès de David sur zone, plutôt bien placé chez les bleus. C'est pas avec le planton que tu vas loin au niveau infos. Mais mon indic n'avait rien pu m'apporter. Ça pateaugeait dur chez les poulets. Pas d'empreintes, de l'ADN non fiché, une scène de crime aussi aseptisée qu'un bordel ne l'est pas. Et personne pour se pointer signaler la moindre disparition. Du coup, rien pour la presse. Des miettes que même un pigeon boulimique aurait refusées. De toute façon, je ne sortais rien tant qu' on n'avait pas deux ou trois signaler infos crédibles. Pas envie de passer pour un baltringue aver pour faire vendre, etc. Vu les photos que mon scoop miteux. Déjà que de bosser au Nantais, ça faisait pas rêver grand monde... Il s'agit pas du New-Yorker local non plus. Mais quand on avait du lourd, on avait notre petit succès, surtout sur les faits divers. Ça excite la ménagère et le charbonneux, les faits divers, ça plaît aux ados boutonneux en crise identitaire qui kiffent encore le Club des cinq... Donc, pour éviter de passer pour des branques, fallait du fait, pas du fantasme. Certains de mes confrères ne s'étaient pas privés d'évoquer l'affaire en une, à grand renfort d'hypothèses d'interviews de voisins de la scène de crime, le genre de type qui ne sait rien mais qui dira tout, d'analyses foireuses sur la courbe des rails, la vitesse du train, la température exté rieure... Une théorie avait même jailli d'on ne sait où, comme quoi il n'y avait jamais eu de cadavre, qu'on nous mentait, que c'était une vache morte, que c'était pour occuper les masses, les articles sans fond se succédant, les lecteurs, par lassitude, ne s'étaient pas passionnés pour cette affaire.
Nous filons au Waldeck, juste en face du commissariat, un rade à l’ancienne, formica, baby-foot, tabac froid, anisette, Orangina décoloré et distributeur de cacahuètes… On s’y sent bien, toujours les mêmes piliers au comptoir, de la moustache grise ramasse-miettes, de la charentaise, de la bedaine, du cholestérol au mètre carré, du pif en forme de fraise bien piqueté, genre Cyrano de Bergerac, mais cabernet sauvignon, pas Rostand. Ça tise arc-en-ciel, jaune, rouge, blanc, etc. Pas besoin de montre, tu regardes ce que boivent les vieux solides, tu sais quelle heure il est : blanc, avant 11 heures, jaune ensuite, jusqu’à 14, puis rouge tranquille jusqu’à 18, retour du jaune puis du rouge jusqu’à extinction des feux. L’horloge interne de ces gars-là, c’est au niveau atomique que ça se passe, variation d’une seconde sur plusieurs milliards d’années.
La maison de retraite est une bâtisse tout en longueur, sur deux niveaux, dans un parc arboré où les anciens peuvent traîner dans la journée, fumer des clopes et des joints, boire des bières et draguer dans les buissons. Ou pas. C’est plutôt ce à quoi ressemblerait une maison de retraite pour ados.
L'aluette est un jeu de cartes assez technique où, quand tu as fini de distribuer, une fois que chacun a classé son jeu, démarre une phase de communication silencieuse faite de grimaces, de clins d'œil, de mouvements de bouche, de sourcils, de doigts qui permettent d'indiquer à ton partenaire quelles sont tes cartes tout en jetant un œil aux signes des adversaires. Chaque carte a un signe qui lui correspond. Un début de partie oscille entre un résumé de film en langage des signes et une séance de rééducation post AVC en neurologie.
Mon article est sorti hier, riche, détaillé, j'oserais dire abouti tellement j'y ai mis de moi-même, différence avec un article de narration insipide, écriture alimentaire comme j'ai pu en faire par le passé, je l'avoue. J'ai passé deux jours enfermé, à rédiger pesant chaque mot, chaque tournure, affinant les descriptions des différents acteurs de cette tragédie humaine, leur caractère, leurs mimiques, leurs particularités... les manifestations de leurs émotions. Leur donner vie, pour que tous comprennent Comprendre la douleur, la colère, la haine, la détresse, le vide, la résignation, la démence, le machiavélisme, la manipulation. Comprendre l'oubli.