Iqbal encourage cette émergence en l’homme d’une faculté autonome à sacraliser sa vie. C’est grâce à des pensées comme la sienne que l’homme spirituel de demain pourra se constituer en se débarrassant d’abord de la conviction que notre condition sera perpétuellement celle d’une créature soumise au divin – conviction qui paralyse d’avance trop de consciences spirituelles, et les enferme dans le refus de toute évolution de la religion.
Nous avons aujourd’hui plus que jamais besoin de cette médiation parce que le temps semble venu pour l’émancipation spirituelle. Quelque chose se produit actuellement sur ce plan qui relègue les autres phénomènes de l’heure à un rang très secondaire, ou plutôt qui les inscrit dans une perspective infiniment plus vaste que la leur. Nombre de femmes et d’hommes comprennent que nous sommes tous engagés désormais, sans distinction de culture ni de lieu géographique, dans une période extrêmement difficile du devenir spirituel de l’humanité. Une insatisfaction fondamentale nous étreint, parce que nous sentons que ni la voie religieuse, ni la vie profane, ne suffisent plus à remplir notre âme. Nous cherchons notre place par-delà l’une et l’autre. Nous ne voulons plus être religieux, ni profanes. Nous attendons et cherchons, espérant trouver pour nos vies un sens aussi sublime, ultime et intime, que celui que nous tendaient les religions d’autrefois. Et nous avons l’intuition que va prendre fin la terrible médiocrité existentielle du XX e siècle.
p.240-241
Mais nous tardons à changer nos habitudes mentales, et nous érigeons aujourd’hui en grands prêtres de la pensée ces économistes comme nous avons hier, au début de la modernité et de ses illusions spécifiques, élevé au rang de nouveaux sages les prophètes de la science et de la politique, les petits dieux de la société et de la matière. Aucune de ces pensées (bien que nécessaires et fécondes sur leur plan) ne pourra affronter à leur mesure nos problèmes de civilisation, qui exigent que l’examen de notre situation matérielle soit articulée à une réflexion spécifique sur notre situation spirituelle.
p.119
Iqbal libère les incroyants du préjugé que la pensée philosophique et scientifique de l’Occident serait autosuffisante, qu’elle n’aurait rien à recevoir de la pensée religieuse pour comprendre la vie et le monde… Et il libère les croyants du préjugé inverse que la pensée religieuse serait autosuffisante et n’aurait pas besoin du questionnement de la raison philosophique. Iqbal nous fait comprendre au contraire que nous avons tous besoin les uns des autres, et que la véritable fracture entre les hommes ne se situe pas entre croyants et athées. Elle passe entre ceux qui cherchent ce que tous les discours, philosophiques, religieux, scientifiques peuvent mettre en commun et s’apporter réciproquement pour penser la condition et le destin profond de l’homme, et ceux qui choisissent au contraire l’exclusion dogmatique. Dogmatisme ou fanatisme du scientifique qui ne croit qu’en la science, du philosophe qui ne croit qu’en la philosophie, du religieux qui ne croit qu’en la religion.
p.54-55
[L’]œuvre [de Mohammed Iqbal] a cette fécondité exceptionnelle d’offrir à la conception occidentale de la modernité comme « ère de l’individu » une relève qui la porte plus loin que ce que l’Occident avait pensé jusqu’ici. Elle prolonge le projet occidental de l’émancipation naturelle et sociale de l’homme (sous l’effet du progrès conjugué de la science et de la politique) par le projet de son émancipation spirituelle, hors de la tutelle de Dieu, vers l’accomplissement de soi comme Soi créateur.
p.240
Débat quelle école pour grandir en humanité ?
Philippe MEIRIEU, Abdennour BIDAR, Aurélien ARAMINI au 35e festival du Livre de Mouans-Sartoux