Qu'est ce qui fait qu'on accroche à un livre dit " littérature de jeunesse"... quand on a largement passé la limite d'âge?
Sauf à être retombé(e) en enfance, on peut en lire par nostalgie - "j'ai tellement aimé pleurer sur Sans famille, et si je me le relisais juste pour l'amer plaisir des larmes?"- , par autodérision - "comment ai-je pu adorer le Club des Cinq, cette daube?", par conscience "professionnelle " de prof ou de (grand ) parent , - , ou ...par erreur, comme ce fut mon cas.
Une erreur qui a été une chance!
Quand j'ai vu que le roman graphique, cher aux CDI des collèges,
La guerre de Catherine, était l'adaptation d'un roman de 300 pages écrit par
Julia Billet, j'ai cru de bonne foi que ce roman s'adressait aux adultes.
Vu que l'histoire se passe dans La Maison d'enfants de Sèvres , en face de laquelle j'ai habité quelques années, et qui avait, comme le Chambon-sur-Lignon , le statut d'une école héroïque, résistante ayant caché et protégé des enfants juifs pendant la deuxième guerre, que cette Maison d'enfants fut une des écoles pilotes de l'Education Nouvelle, inspirée de Decroly, Freinet ,
Montessori, (une rue plus loin exactement, se trouvait une autre école nouvelle, joyeusement inventive et en perpétuelle ébullition , où pendant presque 25 ans j'ai enseigné sans cesser d'avoir le sentiment d'apprendre) , si on ajoute le fait que cette histoire était celle d'une enfant cachée ...que j'ai connue, vieille dame, incroyable de vitalité et d'énergie, j'avais toutes les raisons pour me jeter sur ce livre sans hésiter.
La guerre de Catherine est bien un livre pour la jeunesse, sans conteste,( éditée dans la collection médium de l'école des loisirs) , écrit dans une langue simple, directe, et qui raconte pour des générations de " hitler-connais-pas" la souffrance et la difficulté d'être un enfant caché dans la France vichyste, antisémite et collabo des années 42-45, et dans l' immédiat après-guerre, si douloureux pour nombre d'entre eux qui ne voyaient pas revenir leurs parents, happés par la Nuit et le Brouillard.
Un livre pour la jeunesse mais pas bêtifiant, pas happy end à tout prix, pas simplificateur, pas simpliste, pas moralisateur, pas pesammment didactique.
Un vrai beau livre, où
Julia Billet raconte l'adolescence de sa mère, Tamo ( dite France) Cohen, confiée par ses parents à Yvonne et Robert Hagnauer, "Goéland" et "Pingouin" pour les enfants de la Petite République de la rue Croix- Bosset où se trouvait , jusqu'en 1950 , La Maison d'enfants de Sèvres, avant son installation au château de Bussières.
Un livre qui sait dire avec justesse les amitiés, les premières émotions amoureuses, la rébellion propres à toute adolescence, mais qui trouve aussi le ton juste pour les mettre en résonance avec une époque, des circonstances bien particulières.
Une adolescence qui a dû mûrir tres vite, éprouver la solidarité, apprendre le courage, et faire l'apprentissage nécessaire du mensonge, celui plus cruel de l'oubli de ce qui fait le vif d'un enfant -son nom, sa famille, ses souvenirs-,et celui de la culpabilité de n'avoir pas pris la mesure d'un au-revoir avec les parents qui était un adieu.
Une adolescence en butte à l'insécurité permanente (même passée en zone libre, la jeune narratrice est à la merci d'une dénonciation). Il faut sans cesse s'arracher à tous ces bras protecteurs, découvrir le prix amer de l' autonomie, et la solitude de la liberté .
La jeune
Catherine Colin , le nom officiel de la jeune Rachel Cohen, (Tamo Cohen dans la vraie vie) éprouve, vit, apprend, partage tout cela avec une lucidité et un naturel qui forcent le respect.
Sa force vient aussi de ce qu'elle interpose , entre sa jeunesse et la guerre cruelle, le viseur de son Rolleiflex.
Car Rachel-Catherine est une apprentie photographe. Son professeur bien-aimé, Pingouin, lui a donné, en gage, son Rollei pour qu'elle s'acquitte d'une mission: photographier SA guerre, en porter le témoignage. Si elle revient.
Il faut qu'elle revienne. Témoigner devient pour elle un devoir, une nécessité vitale.
Mais le monde, dans le viseur du 6x6, elle le voit tête en bas, elle-même doit se pencher sur l'image pour la lire. Ce qui enlève à la réalité un peu de sa violence, de sa prédation. C'est elle qui la traque, la cadre, la prend, la tire. le gibier devient chasseur. Et l'objectif "objective" le réel, le met à distance.
Ce qui, paradoxalement, décuple l'émotion pour le lecteur...quelle lecture bouleversante derrière sa simplicité, son naturel, sa distance "photographique" !
Cette trouvaille romanesque , nous l'apprenons en postface, est née d'une vérité : Tamo Cohen a vraiment photographié sa guerre, toute jeune qu'elle fût.
Un hommage de l'auteure à sa mère, résiliente exemplaire, un vibrant éloge de l'art qui sauve et qui guérit.
Et une reconnaissance infinie envers les réseaux de résistance qui comme celui de l'OSE n'ont pas craint le danger, la torture, ni la mort pour soustraire aux bourreaux des enfants persécutés , les protéger, les nourrir, les éduquer, les aimer, leur redonner le goût et l'envie de vivre.