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sur 789 notes
« Essayez donc de découvrir qui je suis d'après mes mots et mes couleurs. »
Orhan Pamuk

La rentrée littéraire est l'occasion de retrouver ses auteurs préférés, de découvrir de nouveaux talents, de dénicher de belles pépites et peut-être de lire les prochains romans primés avant tout le battage médiatique suscité par les prix littéraires.
Parmi le tsunami de livres qui arrivent sur les étalages des libraires, le choix est bien souvent cornélien. Mais quand on aime l'art, il est impensable d'ignorer le nouveau roman de Laurent Binet tout de jaune vêtu, avec sur la couverture, deux tableaux imbriqués d'Alessandro Allori, peintre italien de la Renaissance, où le portrait de Marie de Médicis qui vient habilement remplacer celui de Venus.

Je connaissais déjà Laurent Binet après « Civilizations ». C'est donc confiante que j'ai ouvert ce roman à la fois enquête policière, roman historique et échanges épistolaires, me réjouissant par avance de ce moment de lecture.

*
Une préface précédant le début du roman proprement dit, fait entrer de manière ingénieuse le lecteur dans la correspondance qui va suivre : un homme, de nos jours, en voyage en Toscane, achète chez un antiquaire un lot de lettres anciennes datant du XVIe siècle. Cet ensemble de lettres, une fois traduite, dévoile les dessous d'un meurtre vieux de 500 ans.

L'époque est passionnante.
L'auteur nous emmène en Italie dans le milieu de la peinture et des intrigues de cour à la fin du XVIe siècle, en des temps troubles où les cités-états sont en conflits pour des droits héréditaires. Par des jeux d'alliances et de contre-alliances, de dupes et de dissimilation, les grands monarques s'affrontent : Cosimo de Médicis duc de Florence, Catherine de Médicis alors reine de France, le jeune Philippe II devenu roi d'Espagne suite à l'abdication de son père Charles Quint, sans oublier le pape Paul IV, désireux de lutter contre la débauche et l'hérésie ambiantes.

« Florence, décidément, n'est plus qu'une pomme pourrie, qui mérite de se faire cueillir par la France ou par l'Espagne. Regarde ce pauvre Duc prêt à toutes les bassesses pour plaire au pape et à l'empereur, dans l'espoir qu'on lui jette une couronne comme on jetterait un os à ces chiens qui rôdent sous les tables pendant les banquets. Qui aura assez pitié de lui pour l'arracher à cette chimère grotesque ? »

*
Le roman s'ouvre sur un meurtre.
Nous sommes à Florence en 1557.
Alors que la ville se prépare aux festivités du Carnaval, le très talentueux peintre Pontormo est assassiné dans la chapelle de San Lorenzo où il travaillait à une fresque murale depuis onze ans. Celle-ci a été partiellement dégradée.

Alors qu'Agnolo Bronzini est chargé d'achever l'oeuvre commencée par son maître défunt, Giorgio Vasari, peintre, architecte, écrivain et homme de confiance du Duc, est chargé par celui-ci de retrouver le meurtrier. Mais l'enquête va se complexifier lorsqu'est retrouvé au domicile de la victime, la reproduction d'un tableau de Michel-Ange, Vénus et Cupidon, auquel a été substitué au visage de la déesse, celui de Maria de Médicis, la fille ainée du Duc.

« La satire n'est-elle pas l'arme des faibles pour ridiculiser les grands ? Et puisque ce Duc n'est rien qu'un maquereau, il méritait bien qu'on peigne sa fille en putain. »

Dans un contexte politique et idéologique très tendu avec un retour à une forme d'intégrisme religieux, ce tableau montrant la jeune fille nue, dans une position inconvenante voire même obscène, a de quoi choquer ou attirer les moqueries. En effet, la représentation du corps humain dans sa nudité est perçue désormais comme un outrage fait à Dieu. Les artistes n'ont plus toute la liberté pour exprimer leur art.

« Les temps sont durs pour l'art. »
Michel-Ange

La situation demande donc de la discrétion, du tact, un sens politique suffisamment aigu pour gérer le scandale, surtout si le tableau devait malencontreusement tomber en de mauvaises mains.
Giorgio Vasari va demander de l'aide à vieux et sage Michel-Ange, alors engagé sur le chantier de la Basique Saint-Pierre à Rome. S'ensuit une correspondance entre les deux hommes, enrichie par d'autres lettres de personnes ayant un lien avec l'enquête. Les regards se multiplient, se croisent avec une efficacité redoutable et laissent voir la complexité et l'importance de l'affaire qui touche à la fois à la politique, à la religion, et aux bonnes moeurs de l'époque.

« En politique comme en toute chose, la première règle est toujours : ne pas se faire prendre. Et la deuxième : frapper vite, et par surprise. »

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Le choix d'un récit épistolaire permet aussi de creuser dans la psychologie des personnages, de percer leur personnalité et d'être au coeur des rivalités, des tensions, des jalousies et des soupçons.
Ainsi, à travers une centaine de lettres, se dessinent les motivations de chacun, et la vingtaine de correspondants devient suspect : de la reine de France au simple broyeur de couleurs de Pontormo, des proches de l'artiste au Duc de Florence, des nostalgiques de Savonarole au pape Paul IV, tous ont un intérêt dans l'assassinat de Pontormo.
Plus l'enquête progresse, plus les fausses pistes et les rebondissements s'enchaînent, plus les suspects s'accumulent et le mystère s'épaissit.

*
Ce que j'ai particulièrement apprécié, c'est l'approche épistolaire de l'auteur qui mélange fiction et réalités historiques. Tous les protagonistes de ce récit ont réellement existé. Pontormo est bien mort en 1557 à Florence, en Italie. Il était l'un des représentants du Maniérisme, un courant artistique qui recherchait l'émotion à travers les expressions du visage et le mouvement des corps. Mais son art est désormais désapprouvé car jugé indécent.

On sent que Laurent Binet a fait de nombreuses recherches pour composer une fresque politique, idéologique, sociétale, artistique et religieuse de cette époque incroyable.
Le récit mêle habilement complots politiques, histoire de l'Art, retour à une fermeté de l'église et à l'Inquisition en réaction à la montée du protestantisme.
Sous la surface de chaque lettre, j'ai senti que l'auteur jouait sur la polysémie du mot Perpective(s), l'utilisant à la fois dans sa forme au singulier et au pluriel. Ainsi, le titre renvoie aux points de vue multiples des correspondants, mais également aux lois de la perspective découvertes par Brunelleschi.

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Laurent Binet a une écriture très agréable, fluide, précise qui contribue à créer une ambiance et un décor réalistes. L'utilisation d'échanges épistolaires suffit à brosser les contours d'une époque, à nous la rendre claire et palpable. C'est donc un récit instructif sans pour autant que l'intrigue soit gâchée par trop de détails inutiles.

A la lecture de ce roman, j'ai pensé au grand classique de Pierre Choderlos de Laclos, « Les liaisons dangereuses », d'une part, en raison de son genre épistolaire, d'autre part car l'auteur s'attache à peindre la société et la nature humaine.
Cela offre l'occasion d'une réflexion sociale sur la condition des artistes et les ouvriers d'art de cette époque ; sur celle des femmes également, avec Maria de Médicis, enjeu de pouvoir ; sur l'intégrisme religieux ; sur l'art, l'idée de la beauté et l'influence de l'Eglise.

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Au final, j'ai vraiment passé un très bon moment de lecture. Cela peut paraître intrigant de mêler polar historique et format épistolaire, mais pour moi, c'est une grande réussite.
A découvrir.
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Un peu de beauté pour bien commencer l'année.
Florence, 1557 : Jacopo Pontarmo est retrouvé mort dans la basilique San Lorenzo, qu'il parait de ses fresques depuis une dizaine d'années. Tout porte à croire qu'il a été assassiné, mais qui aurait pu s'en prendre à un tel peintre, et pourquoi ? C'est à Giorgio Vasari, artiste attitré de Cosimo de Medicis, duc de Florence, que revient la lourde tâche de résoudre ce mystère. Et aussi, tant qu'à faire, de retrouver un tableau très compromettant peint par feu Pontarmo.

Quel régal que cette lecture ! Avec ce roman épistolaire, Laurent Binet fait revivre les peintres, souverains et religieux du XVIe siècle florentin, en nous plongeant dans une ambiance de complots, coups bas, élans passionnés et réflexions sur l'art. Il parvient à créer un style d'écriture et une personnalité propres à chacun de ses personnages, jusqu'à nous les rendre familiers. Lettre après lettre, sous différentes perspectives, les éléments se mettent en place, permettant au lecteur de progresser dans l'intrigue comme dans un Cluedo géant. J'ai beaucoup apprécié ce procédé, d'autant que les échanges sont savoureusement drôles.
Toutefois, avertissement aux puristes de l'Art et de la Vérité : ceci est bien un roman. Une fiction. Comme dans « La 7e fonction du langage », Binet prend ses aises avec la réalité, et utilise la mort d'un personnage réel pour imaginer une histoire peuplée d'autres personnages réels et basée sur des faits réels. Mais il invente tout le reste et s'inscrit dans la fantaisie littéraire.
Néanmoins, on apprend beaucoup sur la Renaissance italienne, et notamment sur le courant maniériste qui s'affranchissait de toutes les règles (dont la perspective). On est au plus près des doutes et tourments des peintres, toujours tributaires de leurs mécènes et menacés par l'intégrisme papiste, et c'est touchant. Binet n'est jamais pédant, et s'amuse même à truffer son histoire de nonnes en furie, d'ouvriers pré-marxistes, d'aventuriers increvables, de sodomites assumés et d'historiens avinés. Ca virevolte, ça fuse, ça fonce, ça pense, ça souffre, ça rêve : j'ai vraiment adoré.

Une fois encore, Laurent Binet a écrit une pépite d'humour et d'intelligence astucieusement bien maîtrisée, dans le respect de son sujet et de son lecteur : une belle façon d'amorcer 2024.
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Nul doute que Perspective (s) constitue un exploit littéraire. L'histoire avance au gré de lettres écrites par plusieurs personnes, dans un style que l'on reconnaît comme celui des siècles passés. Mais est-ce que le roman policier de Laurent Binet a fait le bonheur de la lectrice que je suis ? Pas tout à fait.

L'histoire se déroule à Florence en 1557 à la fin de la Renaissance italienne.

Le peintre Jacopo Da Pontormo a été assassiné dans la basilique San Lorenzo, alors qu'il peignait les fresques de la chapelle majeure. Cosimo de Médicis, duc de Florence, charge Giorgio Vasari, peintre lui-même, de retrouver le meurtrier.

Un tableau représentant une Vénus nue, dont le visage a été peint à partir de celui de Maria de Médicis, fille du duc de Florence, est retrouvé. de quoi ravir la tante de cette dernière, Catherine de Médicis, reine de France qui compte bien profiter de cette opportunité pour causer un scandale dont le duc ne se remettra pas. Mieux encore, Maria est tombée amoureuse d'un homme que son rang lui interdit d'épouser. Catherine se frotte les mains et encourage la jeune fille.

Perspective (s) est un roman policier, mais assez peu convaincant. Certes, le coupable est l'un des plus improbables, mais aucun indice ne permet au lecteur de se lancer sur une piste, fausse de préférence, ou de se dire ensuite, mais oui, bien sûr.

L'écriture des siècles passés est respectée. J'en admire l'exploit, mais les préambules, formules de politesse, les compliments hypocrites ou encore les plaintes des uns et des autres nuisent au rythme, la lecture manque de vie. Chaque lettre, bien que faisant avancer l'histoire, n'apprend pas grand-chose.

Lien : https://dequoilire.com/persp..
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Je reviens de Florence ! Quelle ville !
Il est vrai que c'est par l'intermédiaire de « Perspective(s) » que je me m'y suis rendue. Uniquement…en attendant d'y aller pour de bon.

Quel livre ! J'ai adoré lire les lettres des différents protagonistes qu'ils s'envoyaient les uns aux autres. J'ai adoré ce milieu de la peinture, avec les grands noms de l'époque, dont évidemment Michel-Ange, LE dieu qui est en train de peindre la Sixtine à Rome, mais qui s'intéresse de très près à ce qui se passe à Florence.

Car il s'y passe, des choses, à Florence, à commencer par un assassinat, celui du peintre Pontormo chargé de faire les fresques de l'église San Lorenzo. Et la machine se met en branle : qui donc a bien pu le tuer au pied-même de ses fresques ? Giorgio Vasari est chargé de l'enquête par le duc de Florence, Cosimo de Médicis, et ça l'ennuie beaucoup. Car à cela s'ajoutent des soucis divers : la fille du duc rue dans les brancards par amour, certaines nonnes aussi en se mêlant de peinture, jusqu'à la reine de France qui complote dans son coin. le tout sous un climat de guerre (France, Espagne, duchés divers, je vous épargne les détails, qui sont d'ailleurs très peu poussés dans ce roman, et tant mieux) et climat religieux influencé par les nostalgiques du moine Savonarole et par le pape intransigeant.

Le rythme est rapide, les dates s'enchainent, et à travers les heurs et malheurs racontés dans les lettres de tous les protagonistes, nous suivons l'avancement de l'enquête, ou plutôt, au début, son piétinement. L'humour est là, de temps en temps, ce qui n'est pas pour me déplaire.

Peinture, religion, jalousies entre pairs, politique, amour, le tout se mélange à merveille dans une seule perspective : nous plaire, nous détendre tout en nous instruisant.

Merci mille fois à Florence (la Babeliote 😊) pour sa critique enthousiaste qui m'a entièrement convaincue.
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Ecrire un roman policier n'apparaît pas trop compliqué. du moins en apparence. Il suffit de voir les innombrables séries télévisées qui inondent nos écrans tous les soirs. Un meurtre, un ou plusieurs enquêteurs, une série de coupable idéal, des fausses pistes, et un final pour démasquer l'assassin : tels sont les ingrédients principaux d'un bon polar.

Mais écrire un polar épistolaire ne paraît si simple. Et s'il se passe en plus en 1557, en Italie, dans la République de Florence, ça se corse. C'est pourtant le défi auquel s'est lancé Laurent Binet dans ce "Perspective(s).

Un peintre est mort assassiné - point de départ de tout polar – et ses fresques ont été en parties recouvertes par une main extérieure. Vasari, l'homme de main de Cosimo de Médicis, est désigné pour enquêter : on coche la case enquêteur. Et pour couronner le tout, il va s'adjoindre l'expertise de Michel-Ange à Rome – excusez du peu.

Au travers des courriers que Vasari écrit à tous ses interlocuteurs, on va suivre plusieurs fausses pistes, soupçonner plusieurs peintres prestigieux – à tort bien évidemment.

En parallèle, on découvre le fond historique dans lequel s'inscrit ce polar : Cosimo de Médicis s'oppose à sa cousine Catherine, Reine de France, et à son ennemi traditionnel Pietro Strozzi. La propre fille de Cosimo refuse le mariage auquel son père la destine et s'enfuit avec un page direction la France. Deux moniales s'écrivent à propos de tableaux que l'une peint et l'autre admire, tout en se revendiquant du regretté Savonarole. le Pape ne veut plus voir de nus représentés et voudrait recouvrir ceux de la chapelle Sixtine.

Et puis il y a Florence. Pour qui connaît un peu la ville et son patrimoine, on reconnaît les lieux emblématiques et ses chefs d'oeuvre de la Renaissance.
C'est très distrayant, il faut s'accrocher un peu pour suivre qui écrit à qui pour ne pas perdre le fil, jusqu'au rebondissement final et à la découverte de l'assassin du départ. Avec au passage une leçon sur la perspective en peinture – ce qui ne gâche rien – et on comprendra la parenthèse qui signale le pluriel dans le titre.

J'avais été un peu rebutée par HHhH, mais la lecture de ce « Perspective(s) » m'a bien plu et m'a emportée en Italie le temps d'une enquête policière en 1557, et ce n'est déjà pas si mal.
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Il est, je pense, nécessaire, pour mieux savourer et maîtriser ce récit , de se replonger, préalablement et concomitamment à la progression de la lecture au coeur des méandres de l'Histoire du XVIème siècle et des arts majeurs italiens pour saisir toutes les subtilités de ce roman épistolaire. Une fois de plus, un bon livre permet de se cultiver au-delà de sa simple lecture . Laurent Binet imagine une fiction - son colossal travail préalable de recherche est à souligner- mais il s'inspire de très près de faits réels ou supposés avérés , cela apporte un intérêt évident à cet ouvrage.
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Sur la couverture, le C de Perspec-tive(s) cerne un sein affriolant tandis que le tiret en souligne le téton . C'est la « Vénus et Cupidon » de Pontormo, oeuvre parfaitement licencieuse exécutée à partir d'un dessin de Michel-Ange. , que la typographie du titre à la fois révèle et contrarie par sa netteté fort peu maniériste. Sur le visage de Vénus, le détail d'un autre tableau, qui remplace les traits de la déesse par ceux de Maria de Médicis. Celle-ci, selon l'auteur peu fiable Edgcumbe Staley, aurait été tuée par son propre père, furieux de lui découvrir un amant. Il n'en fallait pas plus à Laurent Binet, toujours à la recherche du pitch qui lui permettra d'égaler le grand Umberto Ecco dans le Nom de la rose pour décider d'écrire un roman policier historique. Mais ce ne sont pas les errements de la foi qui justifieront ici l'irruption du crime dans l'Histoire: la vraie religion, dans la Florence du XVI° siècle, c'est la peinture, avec ses chapelles (forcément), ses clans, ses adorateurs du visible, ses contempteurs du réalisme. Michel-Ange, vieillard de 82 ans, est moins ange que Dieu vivant (à moins que la ferveur dont on l'entoure ne soit surtout le signe de sa relégation dans le passé des arts), et ses fils spirituels rêvent d'avoir sa bénédiction avant de le remplacer (Je soupçonne Binet d'avoir beaucoup pensé à Ecco et à lui-même en décrivant Michel-Ange comme ce vieux maître insurpassable auquel se heurtent tous les peintres plus récents).
Alors, bien sûr, Binet campe parfaitement sa Florence du XVI° siècle en collant au plus près des faits et légendes rapportées (comme le prouve son utilisation du livre d'Edgcumbe Staley). Mais meilleur roman historique, quelle blague! Si le visage de Maria est posé sur celui de la Vénus, c'est grâce à un trombone qu'il y est fixé. Et puis, le nom de l'auteur surplombe si précisément ce visage, qu'il est difficile de ne pas penser que ce Binet appelle trop la binette pour être honnête.
Binet s'amuse donc, et même s'il s'agit de peinture, c'est aussi la littérature qu'il met en perspective. Ça référence à tout va, et cela dès la préface, qui est un pastiche des réflexions De Stendhal sur Rome, Naples et Florence. D'ailleurs cette préface est signée d'un B. qui vaut sans doute autant pour Henri Brulard que pour Laurent Binet. Ensuite, le choix d'un roman épistolaire fait irrésistiblement penser aux Liaisons dangereuses avec une marquise de Merteuil montée en grade, puisque reine de France, qui met en place des complots nettement plus ambitieux que ceux de la malheureuse héroïne De Laclos. Mais la pièce De Musset hante également le livre de Binet. Philippe Strozzi en est un des principaux protagonistes, ainsi que Côme de Médicis, le « planteur de choux » accessoirement duc de Florence, et Lorenzaccio est souvent cité. D'ailleurs n'y a-t-il rien de plus proche d'un roman épistolaire qu'un drame romantique? Même foisonnement des personnages, même sauts dans le temps et dans l'espace, même éclatement de l'intrigue. Scoronconcolo, le bretteur avec lequel Lorenzaccio s'entraîne, apparaît dans le roman de Binet et la scène où Bandinelli insulte Cellini décalque parfaitement celle où Lorenzaccio doit s'évanouir pour faire croire à sa lâcheté. Quant à Maria de Médicis dont le visage, tel un masque, est superposé à celui de Vénus, elle deviendra ce corps qui au départ n'est pas le sien: Lorenzaccio a cessé de jouer son rôle de débauché car, débauché, il l'est vraiment, comme Maria devient la proie de Cupidon, le tableau incorporant le rajout qui bientôt ne se distingue plus du sujet principal.
Bref, on peut disserter pendant des heures sur le talent de Binet qui se joue des perspectives en multipliant les points de vue et qui écrit à partir De Musset et De Laclos comme Pontormo a peint sa Vénus à partir d'un dessin de Michel-Ange.
Mais, une fois refermé ce roman brillant, drôle et astucieux, qu'en reste-t-il? Ben, pas grand chose. Que le temps efface tout, que les z'hommes sont pas sympas avec les femmes, ni les Grands avec les petites gens, et que la peinture à l'eau c'est bien plus difficile que la peinture à l'huile.
Tout ça pour tout, me suis-je dit, en replaçant le livre sur mes étagères, prenant bien soin de placer à hauteur d'yeux sa belle couverture érotique et toc.
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Roman épistolaire.

Florence 1557

Le peintre Jacopo da Pontormo a été retrouvé mort, assassiné d'un coup de couteau, dans la basilique San Lorenzo à Florence.
Il était en train de peindre des fresques commandées par le duc Cosimo de Medicis. de plus le peintre avait exécuté un tableau représentant, entre autre, une femme dénudée ayant le même visage que Maria de Medicis, la propre fille du duc, lequel a disparu.
La honte tombe sur la fille, le père et la mère, remettant en cause un riche mariage.
Cosimo de Medicis lance son limier en chef, Gorgio Vasari, afin de retrouver qui a commis le double crime, assassinat et enlèvement du tableau.
Vasari demande conseil à Michel-Ange, occupé à travailler sur les fresques de la Sixtine à Rome.

Quel roman mes amis, quelle imagination, quel plaisir de lecture! J'ai frôlé l'hilarité à chaque page et ce de plus en plus en m'avançant dans la lecture, il faut dire qu'au fur et à mesure, la multiplication des protagonistes, donnait un tour supplémentaire dans l'intrigue, tant et si bien que le pauvre Vasari ne savait plus où donner de la tête ni à quel saint se vouer.

Ajoutons-y les messages de la duchesse de Florence à son mari le duc, le grain de sel de la reine de France Catherine de Medicis, des religieuses, un espion et nombres de fomenteurs de troubles pour pimenter le récit ainsi qu'un dénouement aussi imprévu que possible.

C'est une réussite à mettre à l'actif de Laurent Binet et un excellent cadeau de Noël que j'ai dévoré à pleins yeux.

Je conseille cette lecture et je remercie l'amie qui m'a offert cet ouvrage!


Lien : https://www.babelio.com/livr..
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Qui a assassiné Jacopo da Pontormo?

Laurent Binet nous offre un roman épistolaire doublé d'une enquête policière. Située dans la Florence des Médicis, Perspective(s) est aussi une leçon d'Histoire, une exploration du monde foisonnant de l'art. Érudit, intrigant, emballant !

C'est à Jacopo da Pontormo que l'on confie le soin de réaliser les fresques du choeur de Basilique San Lorenzo de Florence. Quand commence ce roman, en janvier 1557, il met la dernière main à son oeuvre. Mais il n'est pas satisfait du résultat et déprime. Il n'aura toutefois pas l'occasion de se morfondre bien longtemps puisqu'il est «retrouvé avec un ciseau fiché dans le coeur, juste en dessous du sternum». C'est ce que confie Giorgio Vasari à Michel-Ange Buonarroti dans l'une des premières lettres de ce roman épistolaire. Proche du duc de Florence, l'architecte Vasari est missionné pour mener l'enquête, mais se perd en conjectures. Pourquoi sa fresque a-t-elle été retouchée? Et par qui? Quel peut être le mobile du crime? Pourquoi un tableau a-t-il été volé? Autant de questions auxquelles il va lui falloir répondre et pour lesquelles il sollicite l'aide de Michel-Ange, même si celui-ci est à Rome où il supervise la décoration de la chapelle sixtine.
Pour l'artiste, le meurtrier est à chercher parmi tous ceux qui côtoyaient Pontormo et qui étaient à Florence à l'heure du crime. Ce qui fait déjà une longue liste de suspects, à commencer par les peintres – des apprentis aux valeurs sûres – engagés à ses côtés, mais aussi aux seconds couteaux, des broyeurs de couleur au petit personnel. Il ne faudra pas moins de 176 lettres pour venir à bout de ce mystère.
Entre-temps, on aura plongé dans une époque, un monde de l'art en effervescence, secoué lui aussi par la Contre-Réforme et par des rivalités intestines au sein de la famille Médicis, rivalités auxquelles Catherine prend sa part, bien que demeurant en France.
L'érudition de Laurent Binet fait ici merveille. Il a pu développer son intrigue à partir d'un mystère jamais élucidé – personne ne sait rien sur les circonstances et la date exacte de la mort de Pontormo – et d'un fait avéré, la destruction des fresques du peintre. Avec subtilité, il passe de l'art à la politique, montre que le tableau représentant la fille du Duc en Vénus lascive – il figure sur le bandeau du livre – peut provoquer à lui tout seul une affaire d'État et souligne que dans cette ambiance même le grand Michel-Ange se désole. le romancier peut ici s'en donner à coeur joie, car la forme épistolaire lui permet de jongler avec les styles et avec les hypothèses. On se régale tout au long du livre de cette narration qui n'a rien à envier à ses glorieux prédécesseurs, des Lettres persanes de Montesquieu à La Nouvelle Héloïse de Rousseau et plus encore aux Liaisons dangereuses de Choderlos de Laclos. D'ailleurs le romancier emprunte à son aîné le scénario des lettres retrouvées dont il n'est que l'humble traducteur. C'est ironique et impertinent, iconoclaste et documenté. Et servi avec un irrésistible humour.
Après Civilizations et La septième fonction du langage, voici une nouvelle preuve de la virtuosité de Laurent Binet.


Lien : https://collectiondelivres.w..
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Amatrice de l'Art de la Renaissance, j'ai tout de suite été attirée par la couverture de ce livre. Contrairement à mes habitudes, j'ai décidé de me lancer dans cette lecture sans avoir préalablement lu le résumé et j'avoue que ça a été une agréable surprise.

En débutant Perspective(s), j'ai eu le plaisir de découvrir que le dernier roman de Laurent Binet prenait la forme d'un roman épistolaire où de grands noms de l'époque allaient figurer. Mais quels liens allais-je pouvoir découvrir entre Catherine de Médicis, Piero Strozzi , Michel-Ange Buonarroti ou encore Agnolo Bronzino ? Est-ce que le choix de la couverture de cet ouvrage allait prendre tout son sens ? Pour le savoir, je ne peux que vous conseiller de vous laisser tenter cette lecture.

J'ai trouvé le choix de la forme très intéressante et se prêtant complètement au récit qui se révèle être une intrigue policière autour de la mort de Pontormo, un peintre florentin.

Je tiens à remercier les Éditions Grasset et Netgalley France pour la découverte de ce fabuleux livre où la manipulation, jeux et guerres de pouvoir sont de la partie.

De par sa plume très agréable à lire Laurent Binet a su redonner et donner vie à des personnages que j'ai aimé suivre tout au long du récit, et même plus encore par le travail de recherche que j'ai fait tout au long de ma lecture poussée par la curiosité 😊
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