Mais, parce que tu es timide dans le langage, inhabile dans l'exposition, ignorante de la manière d'écrire ces choses, dis-les, écris-les, non d'après les règles de l'élocution humaine, l'intelligence de son invention et de la disposition qu'elle exige, mais, d'après ce que tu vois et entends dans les splendeurs célestes, dans les merveilles de Dieu, en le proférant, pour le faire entendre, comme l'auditeur qui perçoit les paroles de son maître les répète, selon l'accent de son langage, parce que lui-même le veut, le montre et l'enseigne.
Ainsi, toi-même, ô femme, dis ce que tu vois et entends ; et, écris-le, non selon toi, mais d'après la volonté de Celui qui sait, voit et dispose toutes choses dans le secret de ses mystères.
Et de nouveau, j'entendis une voix du ciel qui me disait :
Raconte-donc ces merveilles, écris ces choses ainsi apprises, et dis :
En l'année mille cent quarante-et-une de l'Incarnation du Fils de Dieu, Jésus-Christ, à l'âge de quarante-deux ans sept mois, une lumière de flammes d'un merveilleux éclat, venant du ciel entr'ouvert, pénétra mon cerveau, mon coeur et ma poitrine, comme une flamme qui ne brûle pas, mais échauffe, à la manière du soleil qui darde ses rayons sur la terre.
Voici qu'en la quarante-troisième année de ma course temporelle, comme, toute saisie de crainte, esclave de ma volonté hésitante, je tenais (mes regards) attachés à une céleste vision, je vis une grande splendeur ; et, dans cette splendeur, une voix qui venait du ciel me dit : O homme (femme) fragile, cendre de cendre, corruption (issue) de la corruption, dis et écris ce que tu vois et entends.
Mais bien que je visse et j'entendisse ces choses, cependant, à cause de mon irrésolution, de la mauvaise opinion que j'avais (de moi-même), et de la diversité des paroles humaines, je refusai d'écrire, non par obstination, mais pour rester dans mon rôle d'humilité, jusqu'à ce que, par un châtiment divin, terrassée par la maladie, je gardai le lit. Alors, contrainte par de nombreuses infirmités, sur les engagements d'une noble fille de bonnes moeurs, et de l'homme que j'avais secrètement cherché et trouvé, je mis la main à la plume. Comme j'écrivais, comprenant, ainsi que je l'ai dit, la profondeur sublime de l'exposition des livres, je sentis renaître mes forces et je me relevai de maladie. Mais, c'est à peine si, en dix ans, je pus terminer cet ouvrage.
O Ignis Spiritus - Chant de sainte Hildegarde de Bingen au Saint-Esprit