J'ai eu envie d'en savoir un peu plus sur
Bismarck après avoir lu l'an dernier un dossier dans le magazine L'Histoire sur le partage de l'Afrique. La vision fugace du personnage laissait penser qu'il n'était pas forcément le croquemitaine installé dans l'inconscient des Français par un siècle d'animosité germano-française.
Bon, au début cette impression n'a pas été confirmée.
Jean-Paul Bled décrit un
Bismarck très conservateur, arrimé à l'idée de grandeur de la monarchie prussienne, combattant les idées libérales et républicaines.
Rapidement les traits se précisent. Lorsqu'il détient les rênes du pouvoir en tant que ministre-président de Prusse il agit par pragmatisme, sans scrupules ni morale mais sans s'accrocher à une idéologie, un peu comme la vie qui emploie toutes les stratégies possibles pour se développer. Son objectif est une Prusse forte dans une Allemagne Unie qui domine la scène européenne. Pour l'atteindre, il joue toutes les tactiques possibles, de l'alliance à la menace de conflit et jusqu'au conflit lui-même s'il se révèle la stratégie la plus efficace. La guerre n'est pour lui que la continuité de la diplomatie.
Ainsi
Bismarck doit d'abord élever la Prusse au niveau de l'Autriche, qui domine la Confédération germanique. Puis il impose sa suprématie après « l'inévitable » conflit (Sadowa), isole l'Autriche en l'excluant de l'union de la Petite Allemagne recherchée. Cependant il ne recherche pas son humiliation, contrairement à l'Empereur Guillaume Ier qui aurait voulu défiler à Vienne. Il cherche immédiatement à retrouver des rapports cordiaux.
Bismarck emploie aussi une stratégie guerrière pour parvenir à l'union allemande, en s'appuyant sur le sentiment anti-français. Il pousse habilement
Napoléon III à déclarer la guerre, plaçant l'Allemagne comme l'agressée aux yeux de l'Europe.
Jean-Paul Bled incite à penser qu'il commet une erreur en n'employant pas la même clémence envers la France qu'envers l'Autriche : l'appropriation de l'Alsace et d'une partie de la Lorraine, la proclamation de l'Empire Allemand à Versailles, sont autant de faits qui engendreront l'envie de revanche en France.
L'union réalisée,
Bismarck devient une sorte de diplomate de la paix. Il place l'Allemagne dans une position de neutralité et parvient à étouffer plusieurs conflits latents entre nations, par exemple entre l'Autriche-Hongrie et la Russie. Cela ne va pas bien sûr sans arrière pensée : il faut maintenir la France isolée et éviter son éventuelle alliance avec la Russie. Il faut aussi satisfaire l'opinion allemande souvent plus va-t-en-guerre que le chancelier.
Bismarck a autant d'activité à l'intérieur de l'Allemagne. Une grosse part du livre décrit les multiples alliances et ruptures avec les libéraux ou les catholiques. C'est toujours le pragmatisme qui domine, jouant parfois le libre-échange, parfois le protectionnisme. L'idéologie n'est pas un levier de sa politique, à l'exception du socialisme qu'il combattra toujours. Pour l'affaiblir, il lance les premières lois sociales d'Allemagne.
La chute vient après l'avènement de
Guillaume II en tant qu'empereur. Ce dernier ne supporte plus le vieux qui tient depuis des décennies les rênes du pouvoir entre ses seules mains jalouses. Il accepte sa démission. Guillaume veut utiliser et amplifier la primauté de l'Allemagne en Europe, quitte à se froisser avec les autres nations.
Jean-Paul Bled indique que c'est cette attitude qui mènera finalement à la première guerre mondiale.
L'image de
Bismarck est ensuite brouillée par les partis politiques qui cherchent à se l'accaparer, Hitler le premier. le mythe du personnage s'éloigne de l'homme, dérive parfois jusqu'à la caricature.
Un excellent ouvrage qui permet de prendre conscience de la complexité des relations internationales au 19ème siècle.