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Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Difficile de résumer cette oeuvre monumentale...
Le Décameron réunit un ensemble de cent nouvelles, le titre dérive du grec et signifie "dix journées". La structure est élaborée : durant une épidémie de peste, dix jeunes (sept jeunes femmes et trois jeunes hommes) se rendent dans une villa en dehors de Florence, et pour passer le temps de manière agréable, chacun à son tour raconte une histoire, et cela durant dix jours. Chaque jour est consacré à un thème différent. Chaque jour un roi ou une reine, élu, organise la journée et choisit l'argument du jour.
Boccace met en scène ses centres d'intérêt fondamentaux : la chance, la nature, l'amour, l'érotisme, l'ingéniosité humaine. Deux grandes classes sociales y sont représentées : d'un côté la nouvelle classe des marchands, de l'autre le monde de l'aristocratie.
Le génie de la classe des marchands se manifeste par sa capacité à profiter de l'occasion pour retourner à son avantage une situation qui paraissait désespérée.
Les nouvelles sont divertissantes et très agréables à lire.
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Florence, 1348, la grande peste qui frappe l'Italie, éclate dans la cité toscane. Dix jeunes gens, sept jeunes filles et trois jeunes hommes, décident de s'éloigner de la ville pour se protéger de l'épidémie pendant une dizaine de jours …

Imaginez un tel « confinement » (certes sans Babelio et sans podcast): promenade matinale dans les jardins attenant aux palais toscans d'une merveilleuse beauté, traversés de spacieuses allées fleuries alors où se répand « une telle senteur, que mêlée à celle des diverses essences qui embaumaient par leur jardin, il leur semblait être parmi tous les aromates qui naquirent jamais en Orient.», où l'on boit de tout son soul aux claires fontaines. Ensuite, bonne bouffe (on est en Italie, quand même) et … histoires.

Des histoires, tantôt coquines (près de la moitié à en croire la très belle préface de Pierre Laurens), tantôt teintées de sagesse, où l'on se moque des maris jaloux ou avares ou mous de la courgette, où les religieux sont ridicules et le simple palefrenier amoureux de la reine peut en espérer les faveurs … Des histoires qui nous viennent de l'Antiquité, de l'Inde ou de Chine, ou encore de la culture juive (liste non exhaustive), et qui ont inspiré La Fontaine, Marguerite de Navarre et Christine de Pisan entre autres.

Boccace est résolument moderne et écrit l'une des premières oeuvres de la Renaissance, en parlant des hommes et des femmes de toutes les couches sociales, avec au premier plan la bourgeoisie active. Tour à tour, un roi ou une reine, est désigné et sera le maitre de la journée, en toute égalité, ébauche de démocratie participative ….

Il s'émancipe aussi de l'Eglise et se moque joyeusement des religieux, « archisots pour la plupart, [qui] ont d'étranges manières et de curieuses coutumes : ils croient l'emporter sur quiconque en tout point par leur valeur et leur savoir, alors qu'ils sont fort au-dessous des autres, vu qu'ils ont l'âme assez veule pour ne pas avoir, à la différence du reste des gens, la possibilité d'assurer leur subsistance, et qu'ils cherchent asile là où ils trouvent de quoi manger, tels des pourceaux. »

En outre, bien loin de considérer la peste comme une punition divine, Boccace y voit l'occasion de restaurer un ordre humain, avant tout ordre du discours, qui sera celui de la Renaissance. J'ai noté le blasphématoire « C'est dans la joie qu'il nous faut vivre, aussi bien c'est la seule raison qui nous ait fait fuir les tristesses de la ville. »

Et puis et surtout il reconnait aux femmes, comme aux hommes, le droit au plaisir (même si dans certains passages il reste quand même assez macho..). Ainsi que faire d'un désir un peu trop obsédant quand monsieur s'est servi, « qu'il a toujours eu jouissance de moi au gré de son désir et à sa guise, que devais-je faire, que dois-je faire du surplus ? Dois-je le jeter aux chiens ? Ne vaut-il pas mieux de beaucoup l'offrir à un gentilhomme qui m'aime plus que sa vie, au lieu de le laisser perdre ou se gâter ? ». Et comment refuser à sa fille de profiter de la vie quand « ses sens brûlent d'un feu merveilleusement alimenté par la connaissance, qu'elle doit à son premier mariage, et du plaisir qu'engendre la satisfaction du désir. Brûlant de ce feu qu'elle ne peut éteindre, elle a décidé, car elle est jeune et femme, de se laisser entraîner jusqu'où la menait cette ardeur … »

La langue est magnifique, bien sûr, non dénouée elle aussi de grivoiserie et légèreté comme cette réplique « Quant à ceux qui ne cessent de m'imputer mon âge, ils semblent ignorer que le poireau, quoiqu'il ait la tête blanche, n'en a pas moins la queue verte. »

Un tel confinement, dans cet endroit paradisiaque qu'est la campagne florentine, et en si belle compagnie, moi, je signe tout de suite.
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Oeuvre extrêmement célèbre, une des oeuvres fondatrices de la littérature italienne et européenne, le Décaméron a été écrit entre 1349 et 1353. Il s'agit d'un recueil de nouvelles, dix groupes de dix nouvelles, donc cent nouvelles en tout, ce qui donne son titre à l'ensemble.

Nous sommes à Florence en 1348, pendant la période terrible de la grande peste, qui s'abat sur l'Italie, et sur Florence. Dans un premier temps, nous avons la description de cette période d'horreur dans la ville ; la peste provoque la mort, le désordre social, la décomposition morale. Une sorte d'enfer sur terre, où l'homme est confronté à toutes les misères et terreurs, et où les plus mauvais penchants de la nature humaine s'expriment ; où la vanité de l'existence humaine, des aspirations et désirs sont mis en évidence. Sept jeunes femmes décident de fuir, de se donner une chance d ‘échapper à tous les risques et conséquences de la situation ; elles proposent à trois jeunes gens de les accompagner. le groupe se réfugie à la campagne, une campagne idyllique, une sorte de paradis terrestre, par opposition au terrible tableau de la ville. Là, dans ce cadre enchanteur, nos jeunes gens vont s'adonner à des activités nobles, raffinées, et pour faire passer le temps d'une manière encore plus agréable, vont raconter des histoires. Une histoire par jour pour chaque membre du groupe, ce qui en dix jours nous donnera les cent récits du recueil.

Boccace a puisé dans de très nombreuses sources pour ces histoires : dans des recueils d'anecdotes historiques, dans des contes, dans La légende dorée, dans des comédies de Plaute et de Térence, des vidas de troubadours, des fabliaux français etc. Mais il ne s'agit que rarement de reprendre fidèlement une trame originelle : Boccace reprend une situation, un motif, qu'il réécrit à sa manière, s'emparant complètement de son matériel d'origine pour en faire une création originale. Il sera à son tour source d'inspiration, ses histoires seront reprises et réécrites par d'autres : La Fontaine, Chaucer, Shakespeare, Perrault, Musset, Lope de Vega, Pasolini, et beaucoup d'autres vont trouver l'inspiration dans ses récits.

L'architecture d'ensemble du recueil est complexe : huit des dix journées ont chacune un thème imposé, sur lequel doivent porter les récits, la Fortune, les ressources de l'intelligence, l'amour, une fois malheureux, une fois heureux, les mots d'esprit, deux fois les mauvais tours, enfin la dernière journée portant sur la libéralité. Les récits se complètent et se répondent, plus qu'ils n'empilent des situations semblables. Des variations subtiles, des contrepoints.

Les récits présentent des personnages, d'origines diverses (mêmes si les personnages florentins sont les plus nombreux), de toutes conditions sociales ; rois et sultans, pauvres paysans et ouvriers, mais les personnages les plus présents sont les membres de la nouvelles bourgeoisie montante, les marchands, qui sont la nouvelle classe dirigeante des cités. le Décaméron est une sorte de Comédie humaine de son temps avant la lettre, présentant un panorama sociologique élargi, embrasant l'ensemble d'une société, même si Boccace donne la place centrale à la caste bourgeoise dont il est issu.

Même si la religion est forcément présente, avec par exemple, les personnages de prêtres, de moines, de religieuses, il ne s'agit au final que d'hommes et de femmes comme les autres, avec les mêmes désirs, aspirations, vertus et vices. La crainte du péché, le soucis de salut, ne sont pas vraiment une grande préoccupation pour les personnages. Il s'agirait presque d'une vision laïque du monde, dans laquelle la religion est plus une tradition, un discours un peu convenu, qu'une inspiration, un guide pour la conduite. Ce qui guide l'homme et la femme de Boccace, c'est beaucoup plus la nature, et en premier lieu l'élan des sens. le méconnaître est une sorte de perversion, d'où naissent au final les vices et la bestialité. D'où le plus grand défaut des dames est d'être cruelles à leurs soupirants, et celui des hommes d'être jaloux.

Différents récits mettent en valeur des qualités essentielles pour Boccace. La première est l'intelligence, l'esprit. Il faut avoir la repartie vive, et trouver le stratagème, la solution, aux situations parfois difficiles dans lesquelles on se retrouve. Mais il y aussi la libéralité, une forme de générosité, la capacité à donner. le tout avec élégance et urbanité. Il s'agit d'une sorte de modèle, d'un art de vivre idéal. D'une philosophie de l'existence.

Les différentes nouvelles sont dans des registres très différents, du récit comique, grivois, élégiaque, drôlatique, tragique… Avec des niveaux de langage, des techniques narratives très diverses.

Un livre univers, ancré dans la culture de son époque, mais aussi en dehors du temps, et presque de l'espace, créant dans un lieu idéal, par le langage, le verbe, l'image d'une société libre, dans laquelle l'homme pourrait s'épanouir. Même si la mort rôde à la porte.
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Le decameron est compose de cent nouvelles que sept nobles demoiselles et trois jeunes gens refugies dans la campagne florentine pour fuir le fleau de la peste,relatent au cours de dix journees.
A travers ces nouvelles,l'auteur concoit le decameron comme une grande fresque humaine,exposant les plus bas instincts de l'homme comme sa plus haute vertu.
Ce sont de courtes ou de longues nouvelles,l'ecriture est tres fluide;se lit sans fatigue.Ce fut pour moi un pur moment de divertissement
A lire pour le plaisir






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Ce texte, devenu l'un des piliers de la littérature européenne, renferme cent nouvelles racontées par un groupe de dix florentins, partis se réfugier à la campagne pour fuir la Peste noire, apparue dans la lointaine Chine et abordant aux côtes de l'Europe en 1347. Elle aurait décimé environ la moitié de la population de notre continent.
Ainsi, ces jeunes gens, fuyant ce fléau, trouveront dans l'invention narrative un divertissement propice à l'oubli de ce cataclysme qui changea la face de l'Europe ; et ce, dans un cadre paradisiaque, loin des scènes de dévastation de la ville, dévorée alors par la peste.
Ces histoires, organisées autour de dix thèmes, qui contiennent eux-mêmes dix récits, se déroulent sur dix journées, faisant intervenir dix protagonistes. Tantôt comiques, dramatiques, satyriques, licencieux, récits dépeignent une époque et ses acteurs – on y croise ainsi un certains Giotto, père de la peinture moderne. le Décaméron est aussi un formidable document historique sur la société médiévale de Florence et ses environs.
On y trouve par ailleurs une liberté de moeurs alors peu commune. N'oublions que nous parlons d'un temps où les bûchers ne célébraient pas que la Saint-Jean ! Surtout, Boccace, dans cette oeuvre, réclame le droit de divertir le lecteur et non plus l'édifier, comme c'était souvent le cas. Sa rédaction en langue vulgaire, et non plus en latin, participe de ce souhait de s'adresser au plus grand nombre. Il entame ce que la Renaissance – dont ce ne sont encore que les timides prémices – accomplira avec l'éclat : l'Homme mis au centre de toute chose.
Maintenant, comment vous convaincre de lire le Décaméron, écrit par l'une des trois gloires littéraires médiévales toscanes, avec Dante et Pétrarque ?
J'essaierais bien un « N'ayez pas peur ! », à la manière d'un fameux pape, mais ça ferait un peu trop, vous ne croyez pas ?!

Non, il suffit juste de l'appréhender comme s'il venait juste de sortir en librairie…
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Boccaccio, auteur du 14ème siècle, modernise la littérature avec le Décameron, recueil rassemblant cent nouvelles rédigées en prose. C'est en cours d'Italien, en classe de première, que j'ai découvert Boccacce, un des plus grands auteurs italiens selon mon professeur, et son oeuvre écrite dans la langue de Florence. Tel Molière, il dépeint la société de l'époque, et nous expose une satire des religions assez audacieuse. Sous couvert de contes égrillards, et de récits graveleux, les choses sont dites et la critique est faite.
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Février 2000, classe de 2nde, cours de littérature italienne. Je soupire en découvrant le nom du nouvel auteur que nous allons commencer à étudier, Giovanni Boccaccio.
Le programme de cette année porte sur les auteurs du XIVe au XVIIe siècle et à 15 ans, l'intérêt pour la littérature du XIVe tient pour beaucoup à la manière dont le professeur va aborder le sujet. Or, soyons honnêtes, ma prof d'italien ne nous a guère transportés jusqu'à présent. Après avoir planché durant trois mois sur la Divine Comédie de Dante, puis sur la poésie de Pétrarque, nous arrivons Boccaccio et son Decameron, coincés entre 1349 et 1353. Je soupire encore… 1349… à ce rythme là, nous aborderons les auteurs du XXe la veille du bac, dans deux ans… il paraît que c'est une chance d'étudier la Divine Comédie, ma mère me le répète sans arrêt, mais j'ai 15 ans et demi et la prof nous a fait étudier l'oeuvre à coups de paraphrases de l'italien du XIVe en italien moderne. A tel point qu'aucun d'entre nous n'a été très sensible aux pérégrinations de Dante aux côtés de Virgile, pas plus qu'à la beauté de sa divine Beatrice.
Idem pour Petrarca, dont la portée majeure pour la poésie m'a laissée de marbre, aveugle à la beauté de ses vers pour Laura.
La prof énumère les éléments principaux de la biographie de Boccaccio. J'ai envie d'aller skier, de dormir, j'ai faim et je commence à compter les minutes qui me séparent de la récré.
Toujours très scolaire, la prof nous détaille la structure du Decameron. … Tiens, Célia s'est coupée les cheveux ; même avec les cheveux courts, elle reste la plus jolie fille du lycée…
En 1348, la peste noire ravage Florence.
Eh ben c'est gai… je préférais peut-être les mornes poèmes à Béatrice finalement… Célia me tend un chewing-gum. Merci, mais j'ai toujours faim.
Dix jeunes gens, sept filles et trois garçons, décident de fuir la ville pour s'isoler dans une demeure à l'écart, afin d'échapper à la situation sanitaire. Leurs noms : Pampinea, Fiametta, Filomena, Emilia, Laurette, Neifile et Elissa pour les filles ; Panfilos, Filostratos, Dioneo pour les garçons.
Héhé, ça c'est plutôt original comme prénoms ! Célia fait une blague sur les prénoms, je ricane doucement, la prof ne supporte pas les bavardages.
Il est désormais question de « cornice narrativa », sorte de point de ralliement de toutes les nouvelles, l'épicentre auquel elles se rattachent toutes, ici la villa dans lesquels les jeunes gens sont isolés. Entre chaque nouvelle, Boccaccio nous ramène à la villa, parmi ces dix personnes, avant que l'un d'eux ne nous transporte dans un nouveau récit.
Mmmh. Je dois bien avouer que le concept est novateur… et que Boccaccio commence à me plaire. Célia me demande si j'ai commencé à réviser pour le DS de physique de jeudi - non, bien sur que non…
Chaque jour, un roi ou une reine est élu et décide d'un thème, sur lequel chacun des personnages devra composer un récit afin de divertir les autres. Dix récits par jour.
Je trouve peu à peu que Boccaccio a quelque chose d'un génie, un génie avec beaucoup d'humour.
Plus tard, après ce premier cours, après la récré et même après le DS de physique, nous découvrirons les nouvelles.
La cinquième nouvelle de la deuxième journée, sous la régence de Filomena, s'intitule « Andreuccio da Perugia », racontée par Fiametta. La pédagogie très scolaire de notre prof ne nous empêchera pas de rire aux aventures d'Andreuccio.
Sous la régence de Filostratos, le thème sera les amoures malheureuses - moins gai, donc. Pour la cinquième nouvelle de cette quatrième journée, Filoména évoque Lisabetta da Messina, morte pour avoir versé trop de larmes. La nouvelle la plus triste de toute l'oeuvre nous a captivé autant qu'Andreuccio.
La magie opère, indépendamment de l'enseignement de ma professeure, je vais être captivée par Boccaccio, à tel point que j'attends désormais sans appréhension le prochain auteur du programme, un certain Ariosto.
Et même Célia ne parvient plus à me distraire.
Un jour, quand je serai grande, je relirai Dante, peut-être même Petrarca.

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Probablement la plus célèbre collection de récits érotiques du Moyen Age. Ecrite environ en 1350, cette oeuvre est en même temps le commencement de la langue italienne en littérature repoussant le latin qui était dominant jusqu'à ce temps.
Bien qu'érotique, le Décaméron de Boccacce est littérature mondiale.
fr.wikipedia explique l'étymologie du mot Décaméron: du grec ancien δέκα / déka, « dix », et ἡμέρα / hêméra, « jour ».
L'oeuvre contient cent récits ou nouvelles. le texte est en ligne, sur Ebooks libres et gratuits par exemple, voyez le lien.

Lien : http://www.ebooksgratuits.co..
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C'est dans l'ombre portée de la grande peste de 1348 que se déploient les cent récits du Décaméron de Boccace : dix récits en dix jours, par dix récitants, sept femmes et trois hommes, réunis dans une plaisante demeure, à la campagne. Il s'agit de fuir Florence et ses miasmes pour retrouver les plaisirs des réunions aristocratiques, où chacun régale ses hôtes, à son tour, dans une forme de potlatch de divertissements autour d'une bonne table. le spectre de la peste tient tout entier dans l'introduction à la première des dix journées. Ce court reportage est saisissant, et peut être lu pour lui-même. Il transcrit toute l'horreur de la pandémie, de mars à juillet de cette année terrible, dont se souvient, quelques années plus tard, notre auteur. Pour un homme de ce temps, les causes en restent mystérieuses : influence des astres ou punitions divine des iniquités ? Boccace préfère décrire du mal, l'itinéraire depuis l'Orient, et les symptômes : bubons, tâches noires ou livides. Dans tous les cas, nul remède. La mort est assurée, dans les trois jours. La peste se propage comme le feu, aux hommes comme aux animaux, par simple contact. Naissent alors "les paniques imaginaires". Et l'auteur en fait l'analyse systématique. Les uns s'enferment, fuyant tout contact. D'autres "s'adonnent à la boisson et aux jouissances", d'autant plus facilement que "gardiens et ministres de la loi [sont] tous morts ou malades". Les solidarités familiales se dissolvent. Personne ne veut plus voir personne, y compris parents et enfants. Les cadavres pullulent. L'atmosphère est putride. On entasse plusieurs corps dans un cercueil, ou on les déverse directement dans de grandes fosses communes. Certains respirent des essences peut-être salvatrice tandis que d'autre cherchent le salut dans la fuite, comme l'équipe de jeunes femmes et de jeunes gens dont Boccace rapporte les récits. Cette petite société se donne des règles, avec une présidence tournante, chargée de régler ces discours croisés et d'ordonnancer les festivités. C'est dans une abbaye de Thélème de bon aloi, largement féminisée et féministe, que le désespoir prend aimable figure.
Une nouvelle illustre le parti pris d'un livre destiné aux femmes, selon l'aveu même de l'auteur.
Lors de la sixième journée, un jeune homme de la brigade, Filostrate, prend la parole pour raconter une histoire. Une dame Philippa est surprise par son mari, Ricardo de Pugliesi, dans le lit conjugal, mais dans les bras de "Lazzarino de Guazzagliotri, noble et beau jeune homme de cette ville, et qu'elle aimait plus qu'elle-même".
Faute de tuer l'intrus, sans doute grand et fort autant que beau, le mari prudent, quoique trompé, fait renvoyer l'épouse coupable devant le tribunal, sûr d'obtenir la châtiment capital de l'infidèle. Celle ci se refuse à nier les faits pour s'assurer la mansuétude d'un juge enclin à l'acquittement. Au contraire l'effrontée, revendique crânement ses amours qu'elle déclare non coupables au terme d'un raisonnement juridique qui force l'admiration.
Ainsi soulève-telle, "in limine litis", deux exceptions :
L'une, formelle, tient à l'irrégularité de la procédure de vote de la loi : "quand elle a été faite, aucune femme non seulement ne l'a acceptée, mais n'a été consultée pour la faire, pour quoi elle peut donc justement être appelée mauvaise" . L'autre exception, au fond, tient à la violation du principe d'égalité devant la loi : "les lois doivent être communes et faites avec le consentement de ceux qu'elles intéressent. C'est ce qui n'arrive pas pour celle-ci ; qui n'est rigoureuse qu'envers les malheureuses femmes".
Surabondamment, l'argumentation sur le fond est aussi ingénieuse : ayant toujours satisfait son mari, "puisqu'il a toujours eu de moi ce qu'il lui fallait et ce qu'il voulait ", que devait faire l'accusée de ses ardeurs surnuméraires, après avoir comblé l'époux, ce qu'il reconnait, sinon satisfaire aussi l'élu de son coeur ?
Sous les rires de l'assistance le juge invalide la loi en l'espèce, comme ne devant s'appliquer "seulement aux femmes qui tromperaient leur mari pour de l'argent", ce qui n'est pas le cas de dame Philippa.
Le juriste sera séduit par la portée jurisprudentielle, trop longtemps négligée, d'une telle décision : l'idée que le suffrage doive être universel, sans exclure un sexe quelconque, est assez novatrice au quatorzième siècle. Tout comme l'idée de l'égalité devant la loi, principe supérieur à un texte législatif que le juge écartera pour faire respecter la norme supérieure, comme un juge constitutionnel, qu'il préfigure. le podestat anticipe de cinq siècles la jurisprudence Marbury contre Madison !
Pour ne pas troubler l'ordre social, la loi continuera à s'appliquer dans la bonne ville du Prado, mais "seulement aux femmes qui tromperaient leur mari pour de l'argent". Et pour enfoncer le clou féministe de l'histoire, Boccace la fait rapporter par Filostrate, l'un des trois hommes du groupe.
Lien : https://diacritiques.blogspo..
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Je découvre sous forme audio cet ouvrage du XIV siècle. Et alors enthousiasme...
Pour la langue, magnifique...riche, subtile et tellement suggestive...
En gros, des contes egrillards, subversifs ayant pour thème central l'amour et le sexe.
De plus, il y a un jeu subtil entre la dénonciation des évidences de l'époque et de la prééminence d'une morale assez austère.
A lire en ayant à l'esprit que c'est une très belle page de notre culture latine.
Simplement littéralement et littérairement jouissif.
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