Poème héroï-comique en six chants (les quatre premiers publiés en 1674, les deux derniers en 1683), composé en alexandrins, "
Le Lutrin" est, au départ, une sorte de jeu littéraire, un défi relevé par
Boileau: écrire, sur un mode épique, la dispute survenue, quelques années auparavant, entre le trésorier et le chantre de la Sainte-Chapelle, à propos d'un lutrin que chacun des deux voulait placer, dans cet édifice, à un endroit différent. (Rappelons qu'un lutrin est un pupitre élevé dans le choeur d'une église destiné à porter bibles ou livres de prières.)
On voit tout de suite le côté burlesque de l'oeuvre: à partir de cette anecdote plate, banale, éminemment prosaïque, dénuée du moindre intérêt,
Boileau va faire appel à toute la rhétorique héritée d'
Homère et de
Virgile: une écriture "noble", voire pompeuse, un recours fréquent aux allégories (la Discorde, la Nuit, la Mollesse, l'Ambition...), aux songes prémonitoires, aux batailles héroïques, aux comparaisons grandiloquentes; bref, le style épique appliqué à un minable différend de petits bourgeois médiocres et chicaneurs!
C'est essentiellement de ce contraste - de cette opposition flagrante entre le sujet du poème ("le fond") ET son traitement ("la forme") que jaillit le comique.
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Le Lutrin" est une oeuvre méconnue, surtout à notre époque, sans doute parce qu'il faut, pour en apprécier toute la saveur, avoir en tête au moins quelques passages des grandes épopées antiques (L'Iliade, L'Énéide, La Pharsale...) et /ou modernes (La Jérusalem délivrée, Les Lusiades...)