Les poètes de l’École littéraire de Montréal auront une tout autre manière de concevoir leurs portraits. Ce n’est pas un hasard si, disons entre 1895 et 1905, la poésie canadienne recourt à la peinture pour se tourner, cette fois, vers le visage. Comme l’écrit Boisclair, il s’agit avant tout pour Gill, Émile Nelligan, d’exprimer « l’âme du visage ». Pour ce faire, le poète doit toutefois « quitter la réalité sensible». C’est là l’occasion d’une « métaphysique du tableau » qui, par le truchement du regard enclos, met en question « le temps, la mort, la présence et l’absence de l’être » .
Envisager la littérature sous l’angle d’une autre pratique artistique ne revient pas nécessairement à assimiler les arts les uns aux autres, à reprendre le refrain mille fois entendu de l’ut pictura poesis, qui présuppose une équivalence non conflictuelle entre le poème et le tableau. Un poème ou un roman peut aussi être écrit contre la peinture, ou alors contre une certaine manière d’envisager la peinture, comme le fit Émile Zola dans L’oeuvre afin de marquer son opposition à l’art de Paul Cézanne.
En juillet. L’air est pur et le matin superbe.
À vingt pas du logis est assise sur l’herbe
La famille ; un malade est au fond du fauteuil.
Il pleut des rayons d’or. Le chien va fermer l’oeil ;
La tante vient d’ôter et remet ses lunettes.
Le père a son enfant ; il lui fait des risettes.
Le dépose un instant à terre et le reprend.
Les oiseaux font du bruit. Le soleil est brûlant.
Des bateliers s’en vont en fumant sur la grève.
C’est un joli tableau ! Le grand-père se lève,
S’en va vers le logis et revient en boitant.
Puis, jetant son gourdin et d’un air triomphant,
Il approche, joyeux, des lèvres du malade,
Ce qu’il tient dans sa main – un bol de limonade
Au Québec, où les rapports entre la littérature et la peinture ont façonné l’histoire de la modernité artistique – comme c’est d’ailleurs le cas dans plusieurs cultures occidentales –, les recherches consacrées aux parallèles entre les arts ont surtout porté sur la période entourant Refus global et l’avènement des avant-gardes.