« Je me dirige vers une énormité. Un empire comprimé dans une boîte, une encyclopédie en trois dimensions, une arche qui contient tout. Faune, flore, hommes et dieux. Toute la mémoire d'un monde rassemblée dans un même écrin.
Je m'apprête à passer la nuit à l'intérieur d'un bâtiment monumental et aux prétentions exorbitantes. Appelé à l'origine « musée du Congo belge», puis «musée royal d'Afrique centrale», il a été rebaptisé depuis peu «Africa Museum» en anglais (ou en latin); ça fait tout de suite plus classe. »
King Kasaï,
Christophe Boltanski @manuitaumusee @editionsstock
Sortie le 11 janvier 2023. #rentreelitteraire #janvier2023
Il est des musées dont on ne sort pas indemne, dont l'histoire, chargée d'un lourd passif, nous bouleverse et nous révolte à la fois! Il est des récits, alimentés par diverses sources, qui nous habitent et nous hantent, longtemps après que l'ultime page du livre ait été tournée… Il était une fois le Congo belge, raconté par
Christophe Boltanski, à travers sa nuit passée à l'Africa Museum de Tervuren @africamuseumbe
En tête-à-tête avec
King Kasaï, l'éléphant qui trône à l'entrée de la salle aux animaux empaillés, l'auteur parcourt les grandes lignes de l'origine de ce musée: Léopold II, sa colonie personnelle, l'horreur de celle-ci qui, par-delà la mer, a mené à l'exposition d'êtres vivants comme bêtes de foire…
« Il y a des montreurs d'ours ou de singes savants. le deuxième roi des Belges est un montreur d'hommes. »
L'innommable est présenté sans filtre, sans fioriture! Dans toute sa laideur!
« Durant un été, on les a exposés. À tout. À la curiosité des foules, au voyeurisme, aux quolibets, aux sarcasmes, aux intempéries, à la maladie, et enfin à la mort. Ils font bien partie du musée.
Ils racontent son histoire ou plutôt sa préhistoire.
Leurs tombeaux en constituent, pour ainsi dire, la première pierre. L'acte inaugural.
De ces gens, on ne connaît que des bribes.
Aucun détail sur leur vie, leur âge, le métier qu'ils exerçaient. On sait, en revanche, d'où ils viennent: de l'unique colonie au monde devenue la propriété d'un seul homme. Ils n'étaient pas des citoyens, ni même des sujets, mais des objets vivants. Léopold II disposait de leur personne, comme du reste. »
Ce livre fait pour moi écho à celui que j'ai lu il y a quelques mois: Notre royaume n'est pas de ce monde, Jennifer Richard. Ici aussi l'auteur aborde l'histoire réelle de cette colonie belge et, de manière plus large, de la colonisation en Afrique…
« Caoutchouc signifie
«le bois qui pleure». C'est ainsi que les Indiens du Pérou baptisent sa résine. À la longue, les arbres n'ont plus de larmes. Alors, on oblige les hommes à s'enfoncer encore plus loin dans la forêt et on punit de mort les récalcitrants, on retient leurs femmes et leurs enfants en otages, on tue, on tranche, on brûle. »
Je suis belge, il est vrai, et ce récit me touche sans doute différemment du fait qu'il concerne l'histoire de mon pays! Mais je pense que, peu importe le pays, l'histoire des colonies s'est partout illustrée dans l'horreur, la cruauté, la déraison de l'homme qui se croyait supérieur, devenu bestial, sauvage, primitif!
« Léon Rom est un collectionneur. Il pratique la décapitation à titre de passe-temps.
Il accumule des crânes humains comme d'autres des timbres-poste. Il étudie leur taille, leur forme, leurs protubérances, leur poids. Il fait partie de ces gens qui proclament la supériorité de l'homme blanc à l'aide d'équerres et de bouts de ficelle. En digne représentant du progrès, il joue au naturaliste amateur. »
Cette nuit au musée n'est pas comme les autres: elle renvoie à notre côté sombre d'être humain et, à la noirceur de la nuit, répond celle de l'âme humaine dans ses plus sombres tréfonds!