J'ai toujours détesté ce roman et je l'ai lu je ne sais combien de fois pour essayer de comprendre mes impressions désagréables. Autant dire que ce fut pour moi une véritable corvée. Déjà les films que j'avais vus à des âges différents m'avaient troublée, quand la petite écolière, amie de Jane, victime de la méchanceté de l'Institution, se voit obligée de tourner dans la cour sous la pluie, et meurt des suites de cette iniquité dans les bras de Jane qui, elle aussi, fut humiliée à cause de sa pauvreté et de ses prétendus mensonges . Bref le mélo en plein.
Et tout cela est charmant et parfait pour les jeunes filles qui découvrent et le film et le livre.
Bien sûr le roman a ses adeptes - en particulier les lectrices en mal d'aventures ou pire, les lectrices des générations antérieures depuis l'
apparition du bien nommé féminisme, et pire encoe le neo-féminisme, dont les adeptes font de la pâlotte, laide et pleurnichante
Charlotte Brontë la Reine mère toute puissante de cette merveilleuse Angleterre qui a compté, rappelons-le pour les incultes, si peu de génies dans les Arts, les Lettres et la Musique, comparée à notre Europe si riche en immortels de toutes natures..
Mais brisons là.
Si la neurasthénie constitutionnelle de cette chère Brontë, ses
amours, ses déceptions et espérances, sans oublier les problèmes de sa propre famille ont fait s'emplir un réservoir à plaintes et à images de BD gothiques où l'on se promène dans des maisons recelant des horreurs tues mais bruyantes, tout en ayant bien fal
lu ingurgiter, rappelons le, cela ne fait jamais de mal, les atrocités commises sur écoliers et orphelins, punitions, humiliations,- images et topoi éculés qui finissent par agacer prodigieusement, on regrettera encore les nombreuses pages sur les questionnements d'
amours possibles ou impossibles, les extravagances d'une prisonnière enfermée par un Barbe Bleue, anti-Tarzan laid comme sa Jane, qui veut se donner bonne conscience et virer sa cutie au concubinage. On admirera le magnifique héroïsme de l'héroïne qui veut rester au-dessus de la fange et de la mêlée, et ses atermoiements et hésitations, sa pseudo analyse sur elle-même et sur les autres - Bonjour Freudinette, ravie de vous connaître - et cette magnanimité, ce courage, ce besoin de se transcender, cette propension à innover, pour aller contre les traditions du pays qui, soi disant, corsètent les femmes et les emmaillotent comme des bébés - oh my God ! comme c'est fort, comme c'est incroyable à cette époque, comme cela nous grandit aussi les petites femmes, les petites naines de salon, et nous rend meilleures ( ha la morale !) et nous délivre du carcan de la société castratrice !!! J'écris « femmes » puisque nous savons que bien peu d'hommes ont lu et apprécié ce roman, hier comme aujourd'hui, exception faite des universitaires pour noircir leur papier et des libraires qui l'ont vaguement feuilleté et en font la promo dans leur vitrine.…
Demandez-vous un peu si Hugo, si
Flaubert, si
Zola, si
Maupassant, si les Goncourt ont eu vent de ce roman aussi célèbre et en parlent quelque part. le silence règne.
Pour terminer, je rapporterai ces mots qui résument tout de cette histoire ubuesque, d'Elizabeth Rigby (rien à voir avec Eleanor Rigby, la jolie chanson des Beatles)
« le roman est empreint d'une grossièreté de langage et d'un laxisme de ton qui n'ont certainement aucune excuse chez nous. C'est un livre très remarquable : nous n'avons aucun souvenir d'un autre combinant une puissance aussi authentique avec un goût aussi horrible. Les deux ensemble ont également contribué à acquérir la grande popularité dont il a joui ; car en ces jours d'adoration extravagante, tout ce qui porte le sceau de la nouveauté et de l'originalité, la grossièreté et la vulgarité sont devenus un culte des plus erronés. […] La popularité de
Jane Eyre est une preuve de la profondeur avec laquelle l'
amour pour les romances illégitimes est ancré dans notre nature ».