Je ne sais pas ce que consomme Serge Brussolo, mais apparemment c'est de la bonne.
J'en profite cependant pour rappeler à tous les enfants qui me lisent que la drogue, c'est mal.
L'un des qualificatifs qui revient le plus souvent pour décrire les récits de l'auteur français est "halluciné".
Et comme avec tant d'autres de ses romans, le hasard et la nuit m'a donné l'image d'un écrivain rédigeant frénétiquement toutes les idées complétement délirantes qui lui passaient par la tête de façon à broder une histoire.
Comme s'il s'engouffrait dans sa propre logique démentielle en enchaînant les situations les plus saugrenues sans forcément trop savoir où il va en commençant.
Mais c'est aussi pour ça que je lis ses oeuvres aussi souvent : Son imagination de dingue est unique en son genre et fourmille de situations inédites.
Ainsi, dans le présent roman, tout commence après la cinquième guerre mondiale, dans un futur indéterminé ou l'humanité a commencé à coloniser l'espace et à envoyer des arches sur d'autres planètes habitables : La terre est condamnée.
Jusque là, tout va bien, c'est un thème bien connu en science-fiction. Je pense par exemple à l'excellent le papillon des étoiles de Bernard Werber dont l'unique voyage aura lieu sur des générations au vu de la distance à parcourir dans l'espace.
Brussolo lui ne s'encombre pas de réalisme, on met les gens dans des caissons d'hibernation, on fait passer le vaisseau par un trou noir servant de raccourci et en dix ans à peine les colons arrivent à bon port.
A titre d'exemples, voilà quelques illustrations des multiples inventions folles empruntés à l'auteur juste au long de ces deux cent pages :
- le vaccin anti-cannibalisme.
"Des centaines d'excités commencent à refuser la vaccination, exigeant désormais la liberté fondamentale de dévorer son prochain."
En effet, dans un monde où la nourriture fait défaut, de nouvelles lois régissent la planète Terre. On y interdit la reproduction tout en confiant des bébés robots aux femmes en mal d'enfants, on encourage les sacrifices humains en l'honneur des nouveaux dieux ( autant de bouches en moins à nourrir ! ), mais il est important de rester civilisé d'où cette piqûre nous permettant d'aller à l'encontre de nos pulsions anthropophages.
Ce vaccin n'existait hélas pas encore en 1816 lors du naufrage de la frégate Méduse.
- L'implantation de faux souvenirs
Les colons de l'espace sont plongés durant la durée de leur voyage dans un hyper sommeil. Pour éviter qu'ils ne se réveillent amnésiques, un dénommé Tobias Contino leur transmet de nouvelles personnalités ou des vies antérieures de son cru.
Ce personnage secondaire n'est autre qu'un alter ego de Brussolo lui-même.
"Il est complètement court-circuité de la calebasse à cause des radiations"
Non seulement parce qu'il écrit lui aussi un roman dont le titre est le hasard et la nuit, mais surtout parce qu'il va implanter à l'héroïne, Julia, les souvenirs et le caractère de Junia.
Junia n'étant autre qu'un personnage récurrent de l'univers de l'auteur, et plus précisément de sa saga sur le roi squelette.
"Il s'agit d'un conte médiéval mettant en scène une femme géante, anthropophage, qui porte à cheval sur ses épaules un guerrier cul-de-jatte."
- Une ville qui s'enfonce dans la terre, sous le poids des péchés de son roi
Si en raison de la distanciation sociale nous devons désormais souvent faire la queue avant de pouvoir entrer faire nos courses en grande surface, la ville d'Arcoterra fait quant à elle attendre ses visiteurs à l'extérieur parce qu'elle doit réguler son poids afin de ne pas sombrer trop profondément dans les entrailles de la planète.
Quatre ballons dirigeables participent par ailleurs à ralentir sa chute, tandis que tous les habitants sont d'une maigreur redoutable pour contribuer à l'effort collectif.
"Tout se passe comme si la ville était aspirée par les sables mouvants."
Et je n'évoque pas le taureau qui parle ni la prêtresse muette qui elle s'exprime au travers des incisions qui lui sont infligées sur le corps, comme autant de bouches sanglantes et provisoires.
Qualifié de space opéra, le hasard et la nuit est bien avant tout un roman d'anticipation qui raconte sous forme de road-movie les aventures de Julia sur une autre planète aux coutumes étranges, à la faune particulière, aux croyances uniques.
Par contre, pour les personnes qui confondent parfois les différentes littératures de l'imaginaire, ce livre ne les aidera pas parce que Brussolo s'amuse justement à y mélanger les genres.
Une fois les pérégrinations de Julia entamées aux confins de l'univers, le livre bascule du futurisme pur vers une forme de fantasy. le lecteur quitte les robots et la technologie pour entrer dans un monde légendaire dans lequel on ne serait pas surpris de rencontrer Bilbo le Hobbit ou Daenerys de la maison Targaryen.
"Qu'est-ce qui les attend là-bas ? Une sorte de Graal de paccotille ? Une épée magique, un sceptre enchanté ..."
Ainsi, sur cette planète sans nom, Julia croisera les Sylvains qui font penser à des elfes de par leur communion avec la nature, une cité moyennageuse, et même des oeufs de dragon qui ont forcément été pondu par un cracheur de feu ancestral.
Et dans ce décor digne de Donjons et dragons viennent se produire des évènements surnaturels : Même dans ce monde étrange aucune explication rationnelle ne peut expliquer que les paysages se transforment parfois en lieux de désolation, ou que toute la population se retrouve âgée d'un siècle au même instant avant de retrouver leur âge normal.
Et c'est là qu'intervient le fantastique, Brussolo bouleversant tous les codes avec un plaisir non feint.
Comme souvent dans ses romans, on retrouve des personnages masculins aux réflexions misogynes.
"Les femmes n'ont pas le profil, trop émotives, trop dépendantes de leurs états d'âme."
"Les gens parlent, vous savez ce que c'est. Les femmes surtout."
"Vous, les femmes, vous êtes trop attachées à votre apparence."
Ces petites phrases assassines sont monnaie courante dans la bibliographie de Brussolo, qui à contrario choisit pour ses romans les trois quart du temps pour principal personnage une femme forte et maline : Wallah dans La fille de l'archer, Mickie Katz dans la série Agence 13 ou encore Peggy Mitchum dans certains de ses romans policiers, comme Baignade accompagnée.
Ici Julia ne me laissera pas un souvenir impérissable.
Sa psychologie est tellement peu développée qu'elle pourrait être interchangeable avec n'importe quel autre personnage féminin, à part quand Junia l'ogresse prend le pas sur ses initiatives.
Quant aux personnages secondaires, ils sont aussi intéressants que des huîtres, apparaissant et disparaissant dans l'indifférence générale.
C'est le gros défaut de l'auteur, mais après plus de cent cinquante livres et à l'âge de soixante-huit ans, on ne le changera plus.
Quel que soit de genre littéraire abordé, la folie de ses intrigues ne laisse de place qu'à une imagination colossale de situations improbables et inédites qui se multiplient au détriment de la psychologie souvent balayée en quelques traits sommaires.
Mais c'est un auteur à lire au moins une fois pour se faire sa propre idée, parce qu'aucun de mes mots ne saurait traduire la richesse de son inventivité, absolument unique.
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ATG#94 : le Retour de Brussolo
Serge Brussolo fut l’un des premiers invités de l’ATG ! Pratiquement 7 ans plus tard, Serge écrit toujours d’excellents romans mais c’est pour une plongée dans un passé plus lointain qu’il est de retour : la Rome antique !
Misteur D, encadré par L.U.D.M.I. et Lord Ton Père, ont écouté religieusement le professeur Serge Brussolo qui nous a emporter vers les rives du Tibre.
J’espère que vous serez aussi passionnés que nous le fûmes et merci encore à Serge pour ce moment de pur bonheur !