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4,08

sur 2942 notes

Critiques filtrées sur 5 étoiles  
La vanité de l'attente de l'orage
C'est vers l'âge de vingt ans que j'ai lu ce livre. Pas par hasard, je me souviens très bien qu'un copain me l'avait recommandé. J'avais bien aimé. Cependant, je n'ai jamais éprouvé le besoin de le relire car il m'est resté assez présent … Quand est sortie l'adaptation de Zurlini en 1976, je suis allé la voir et l'ai appréciée. Mais je n'ai pas relu à cette occasion le roman comme cela m'arrive fréquemment pour bien d'autres oeuvres romanesques. "Le désert des tartares" est donc un roman un peu à part dans ma tête.

Vingt ans : je faisais alors mes études et mon avenir n'était, certes, pas certain mais commençait à se dessiner avec une plus ou moins grande précision. Je veux dire par là que je n'étais plus adolescent avec des rêves, des espérances ou des illusions. Mais je n'étais pas encore l'adulte salarié, marié avec charge de famille et tout le toutim …

Je viens de le relire, à la retraite, mais cette fois, mon avenir est plutôt derrière moi…et je constate que j'ai plutôt fait mienne la phrase de Sénèque que je cite de mémoire "la vie, ce n'est pas d'attendre l'orage, c'est d'apprendre comment vivre sous la pluie". Je ne suis pas sûr d'avoir jamais attendu l'orage et me suis toujours contenté de vivre sous la pluie…

Toutes ces précisions, anodines, sont en fait essentielles car je pense qu'elles interférent sur la façon de lire le livre et d'en apprécier la portée. Je ne suis pas sûr que j'aurais apprécié de la même façon le roman lorsque je travaillais, par exemple, par crainte de l'effet miroir.

Tout le monde connait l'histoire racontée par Buzzati que je vais résumer à grands coups de serpe. Un jeune officier sorti de l'école est affecté dans un fort à la frontière, en limite d'un désert. Il va y passer sa carrière à attendre un potentiel envahisseur tartare. A la fin, gravement malade, l'ennemi, enfin, s'approche du fort mais ce ne sera plus son combat.

Le roman est un livre sur l'illusion que porte la jeunesse en elle-même. La force de la jeunesse est le désir de faire quelque chose de nouveau, d'apporter sa pierre à l'édifice, de contribuer à un progrès, une construction. Tout semble facile. Il suffit d'y aller, de se bouger.

Le lieutenant Drogo arrive au fort avec ses forces toutes neuves pour en découdre avec l'ennemi, se tailler sa part de gloire, gagner quelque breloque. D'ailleurs c'est à qui aura la plus grosse jumelle pour voir l'ennemi, le premier.

Mais observer le désert, guetter l'ennemi est un privilège auquel le nouvel arrivant au fort ne peut accéder que s'il accepte de rester quelques mois, de s'engager à rester, de ne pas utiliser la procédure de rapatriement.

Le roman est bien sûr un livre sur le temps qui passe … Mais c'est un piège car le lieutenant Drogo, d'abord dans l'attente (fascinante) de l'ennemi, doit commencer à se former au règlement, à la routine de la vie de garnison, aux tours de garde ; au début, c'est fastidieux comme tout apprentissage. Mais c'est la condition numéro un pour être prêt pour le grand soir, pour le jour où arrivera l'ennemi. Comment pouvoir riposter efficacement s'il manque un bouton sur une guêtre, si on ne respecte pas le fameux mot de passe…

Et puis, le jour où on est opérationnel, où on est enfin convaincu de la nécessité du règlement, s'installe la satisfaction de la routine et la certitude qu'on est prêt. "Les habitudes de vie" dira Buzzati …

Le roman c'est aussi un livre sur la peur du changement ou sur la résistance au changement.

Lors de sa permission de deux mois, le lieutenant Drogo retourne à la ville au bout des quatre premières années, revoit ses anciens amis et notamment Maria. On sent que le destin est prêt à basculer pour Drogo et Maria sous réserve que Drogo fasse le premier pas. Mais la profonde satisfaction de la routine et de l'attente que Buzzati appelle aussi plus poétiquement "la fascination exercée par le vieux fort et le désert" sont bien plus forts que l'amour offert par Maria. Cela impliquait trop d'efforts de sa part que de risquer le tout pour le tout en changeant de vie, en retrouvant une joyeuse vie sociale de garnison, les fêtes, un autre rythme de vie.

Il est temps de conclure pour dire que ce livre, très dépouillé dans son style et dans les descriptions du fort et de la vie ascétique de garnison, est très puissant.

Il pousse le lecteur à se situer, à s'interroger par rapport au parcours d'un lieutenant Drogo et pourquoi pas, peut-être, à se remettre en cause. J'en reviens toujours à la phrase de Sénèque sur la vanité de l'attente de l'orage.

Sachant que la loi physique la plus importante dans notre monde est la loi de l'inertie.
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Chef d'oeuvre. Je l'ai relu récemment et il est toujours aussi captivant. Effectivement, il ne se passe rien, mais ce n'est qu'apparent. Ce qui est essentiel dans ce roman, c'est le parcours d'un homme dont la destinée est bouleversante et même absurde.
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Le roman met en scène l'étrange destin du lieutenant Giovanni Drogo, nommé au fort Bastiani, sur la frontière du Nord ... le début de la vraie vie selon lui!
"Ce fut un matin de septembre que Giovanni Drogo, qui venait d'être promu officier, quitta la ville pour se rendre au fort Bastiani, sa première affectation. C'était là le jour qu'il attendait depuis des années, le commencement de sa vraie vie. Maintenant, enfin, les chambrées glaciales et le cauchemar des punitions étaient du passé. Oui, maintenant il était officier, il allait avoir de l'argent, de jolies femmes le regarderaient peut-être, mais au fond, il s'en rendit compte, ses plus belles années, sa première jeunesse, étaient complètement terminées. Et, considérant fixement le miroir, il voyait un sourire forcé sur le visage qu'il avait en vain cherché à aimer."
Ce fort est perdu dans le cadre effrayant et fascinant du désert des Tartares et les militaires en poste paraissent veiller sur une région abandonnée.
Un grand espoir guide leur vie : connaître un jour la gloire d'un combat héroïque contre leurs invisibles voisins. Alors ils guettent inlassablement les moindres bruits et les ombres mouvantes de la vaste plaine : "C'est du désert du Nord que devait leur venir leur chance, l'aventure, l'heure miraculeuse qui sonne une fois au moins pour chacun. À cause de cette vague éventualité, qui, avec le temps, semblait se faire toujours plus incertaine, des hommes faits consumaient ici la meilleure part de leur vie."
Car le vrai sujet du roman n'est pas la vie de garnison, mais le passage inexorable du temps, avec son cortège de désillusions. Ce n'était qu'un cheval; ce n'était qu'une troupe de cartographes ...
D'abord désireux de partir, Drogo, comme sous l'effet d'un enchantement, reste et continue d'effectuer ses manoeuvres répétitives. Se coupant toujours davantage du monde extérieur, incapable de renouer avec ses amis lors de ses permissions, il devient peu à peu l'esclave de ses habitudes et demeure au fort presque désaffecté parmi les derniers, jusqu'au jour où se produit l'attaque.
Récit de guerre sans bataille, récit d'aventure sans action, le roman est une oeuvre singulière, d'autant plus passionnante qu'il ne s'y passe rien ! Etrange mais envoutant!
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Notre vie se déroule une journée à la fois, que faire de cette journée ? Dans quel but ? Dans ce livre nous suivons la vie d'un officier gardant un fort avec d'autres soldats. Les réflexions sur l'écoulement de la vie, la solitude et notre mortalité sont lumineuses. Dino Buzzati nous rappelle l'importance de choisir notre vie pour en profiter chaque jour.

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Coucou les ami(e)s, prêts pour la relève ? Alors, nous allons suivre le jeune Giovanni Drogo, qui vient d'être promu officier ! Ah, comme il est fier de cette première affectation ! C'est tout heureux d'en avoir enfin terminé avec ses études, tout fringant, qu'il quitte le foyer familial pour rejoindre le Fort Bastiani !

Eh bien, ça commence assez mal ; avant d'y arriver, lorsqu'il s'aperçoit que ce fort se trouve dans un coin totalement isolé, il commence déjà à regretter ! Pour être honnête, le bâtiment semble vieillot, lugubre, et Giovanni ne cache pas sa déception à son supérieur ; mais de la fenêtre, il aperçoit le désert qui le fascine, et le capitaine lui indique qu'il n'est certes pas obligé de rester au fort, mais qu'il serait quand même mieux pour sa carrière qu'il y reste quatre mois au bout desquels il pourra se faire muter ailleurs avec un certificat médical !

Vous conviendrez que quatre mois, ce n'est pas le bout du monde, et quand on brigue une belle carrière militaire, on se doit de faire un petit effort.

Giovanni commence à s'acclimater à la vie du fort, il y prend ses habitudes, il a ses petites manies, et les quatre mois vont finir par passer ; enfin, la visite médicale tant attendue arrive ! Et voilà, encore une fois, Giovanni va écouter le médecin et il va finir par rester, mais pour quelques temps seulement…

Et ainsi, le temps passe, chaque militaire compte partir un jour, mais ne serait-ce pas un échec ? La plupart des militaires est fascinée par le désert, qui sait, un jour les Tartares attaqueront peut-être, il serait dommage de rater ça ! Et puis, quand vous êtes parti des années, trouve-t-on encore sa place dans la ville qu'on a quitté ?

Bref, une belle réflexion sur les habitudes et les rêves qui vous tiennent, et qui parfois peuvent vous briser lorsque vous n'y croyez plus ; sur le temps qui passe jusqu'à ce qu'il soit trop tard, sur la raison de vivre… Un roman magnifique !

À lire dans un fort de votre choix, près d'un militaire ou au milieu du désert, en grignotant des beignets parfumés à la cannelle accompagnés d'un thé à la menthe. Bonne lecture !


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Zangra de Jacques Brel m'avait durablement marqué, mais j'avais toujours écarté le roman de Dino Buzzati au prétexte qu'il m'apparaissait comme un incontournable de la littérature. D'emblée je suis méfiant des succès populaires ou des classiques de la littérature. Suivre le plus grand nombre n'étant pas souvent le meilleur choix.
Mais le Désert des Tartares n'est pas un roman épique et l'action militaire y est même absente, ce qui est le parti pris de son auteur.
Dino Buzzati interroge le temps qui passe, le désir de récurrence du quotidien, la fascination de l'horizon vide, l'espoir, le regret ou la déception des décisions qui orientent définitivement notre chemin de vie.
Le roman de Dino Buzzati va probablement rayonner en moi aussi longtemps que les paroles de Zangra.
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Relu en ce début d'automne ! je l'ai mieux appréciée que lors de ma première lecture car surement un peu jeune à l'époque pour comprendre l'arrière-plan du roman : l'absurdité à travers la guerre et le temps qui passe et vous consume à petit feu. Après, je vais être honnête, je suis une conquise de la littérature de D. Buzzatti. Cette relecture m'a tout simplement plu ! et c'est déjà beaucoup !
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J'en ai mis du temps à l'aimer ce livre. Comme beaucoup la première lecture (au lycée) m'a plus incliné à l'ennui qu'à la fascination. Une seconde lecture m'a permis d'apprécier son architecture. Une troisième lecture, sa cohérence d'ensemble. Dino Buzzati m'a convaincu que son livre -assez court- était un chef d'oeuvre de désenchantement et de vertige existentiel. Un livre qui donne vraiment à éprouver et vraiment à penser.
A lire particulièrement si on est fan du malaise distillé par le K.
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Il y a des ouvrages qui, on ne sait comment, s'effacent derrière des images, derrière une atmosphère qui marque votre esprit durablement. C'est le cas ici. Pour moi ce livre est une suite de tableaux, représentations figurées et justes de l'attente et de la solitude humaine. Un livre beau et simple.
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Le Désert des Tartares est un roman aussi sublime que désespéré. Avec une sensibilité kafkaïenne, Dino Buzzati raconte l'histoire d'un jeune officier posté dans une forteresse isolée au bord d'une "frontière morte", un désert d'où n'est susceptible de venir que les armées d'un ennemi imaginaire issu de vieilles légendes. La raison ne peut que lui hurler de quitter ce lieu stérile, mais le fort Bastiani exerce une indomptable fascination sur son âme. Cette forteresse est une allégorie de la fuite du temps, d'une existence trop souvent gâchée par la quête incessante d'une félicité future. C'est le récit tragique d'un homme sacrifiant ses beaux jours pour des chimères ; l'aliénation dans ses plus subjuguants atours.

Marque des grands livres, le Désert des Tartares reste en tête. Il hante, de la même manière que Drogo est hanté par le fort Bastiani, de la même manière que le lecteur est lui-même hanté par ce lieu, car il représente sa propre inclination à se projeter dans un avenir abstrait, inatteignable par nature. Puisse cette vision terrible, imprimée dans l'esprit du lecteur par la plume ensorcelante de l'auteur, lui servir de boussole pour éviter ce gouffre sans fond qu'est l'attente, et notamment celle de choses aussi futiles que la gloire ou la guerre, ou même pire encore : la gloire guerrière.
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