Lire ces lettres, c'est risquer un oeil dans un univers totalement étranger au nôtre. On y écrivait des lettres non pour se raconter, ou pour s'adresser à un intime correspondant choisi, mais pour une lecture publique, ou en petit groupe, et l'auditoire venait apprécier la maîtrise de la belle langue (le grec classique, que personne ne parlait dans les rues) et la virtuosité de l'auteur à manier les "topoï" de la rhétorique. Un lecteur moderne passe totalement à côté de ces "performances" élégantes où les cercles cultivés du temps se délectaient à l'art du langage : il lit ce qui devait être déclamé, en français (le grec byzantin est classique, mais compliqué), et le bagage rhétorique lui manquera pour jouir des beautés du style. En somme, il s'ennuiera beaucoup à lire ce livre, qui me rappelle les volumes de la correspondance latine de Pétrarque (quasi-contemporain de Cabasilas), où l'on rencontre exactement le même genre de lettres. Toutefois, grâce aux notes et aux commentaires savants de Marie-Hélène Congourdeau (byzantiniste qui participe à l'émission de France 2 sur les chrétiens d'Orient, le dimanche matin), il nous est possible de lire entre les lignes et de nous figurer qui étaient les amis, les correspondants de l'entourage de l'auteur : la très haute société byzantine du dernier siècle avant la Turcocratie, théologiens, humanistes, princes (comme ce fameux Manuel II Paléologue dont les "Entretiens avec un musulman " furent cités par Benoît XVI à Ratisbonne), entre Constantinople et Thessalonique, de 1340 à 1420 environ. Les notices biographiques qui accompagnent le volume sont très intéressantes. Cabasilas était un homme savant et modéré, gardant la mesure et l'orthodoxie au milieu des violentes querelles politico-religieuses de son temps : ces fameuses "querelles byzantines sur le sexe des anges pendant que les Turcs assiégeaient la Ville", image d'Epinal dont il serait urgent de se défaire. Livre pour curieux.
Commenter  J’apprécie         132
(Avril 1387, lettre de Manuel II Paléologue à Nicolas Cabasilas, introduction p. 149). Quel est le plus grand malheur qui puisse frapper un homme ?
Après ces considérations sur la littérature pour distraire l'esprit des malheurs présents, il relate un débat qu'il a tenu, sous un chêne qui abrite une source, avec ses compagnons : il s'agissait de savoir quel était le plus grand malheur qui pût frapper un homme. Après avoir relaté les exposés de ses compagnons, il rapporte son propre discours : le plus grand malheur, pour lui, est de souffrir par le fait d'un homme qu'on aime profondément et dont on ne peut donc tirer vengeance. L'allusion à son père Jean V, qu'il avait fidèlement servi à de nombreuses reprises, et qui le châtie durement, est transparente.