Été 1976. Une autre époque. Nous sommes en Angleterre dans un lotissement où les maisons « forment un cercle et se saluent poliment ». Les voisins, avec leurs bons côtés et leurs petits travers, se connaissent depuis des décennies. Une tragédie survenue dix années plus tôt unit pour le pire tout ce petit monde. Une tragédie dont personne ne parle mais dont tout le monde pense, qui revient dans les non-dits et les cauchemars des uns et des autres, qui reste tapie dans les recoins sombres des maisons. Une tragédie d'une telle intensité qu'elle a orienté l'existence de tous ces voisins en train de se regarder en chien de faïence.
L'été 76 est caniculaire (déjà !) et se traine en longueur. Les corps sont épuisés, les journées interminables, et les esprits s'échauffent. Est-ce à cause de cet été exceptionnel que cette tragédie, si difficilement rangée dans un coin de la mémoire, refait brutalement surface ? Que Mme Creasy disparaît du jour au lendemain ? Que des regards haineux, pleins de lourds reproches, se portent de nouveau sur le pavillon 11. A l'abris d'une haie de cèdres, il est un peu en retrait, et semble attendre, hésitant et contrit, que les autres pavillons l'invitent à entrer dans leur cercle.
Grace et Tilly, deux adorables chipies qui n'ont pas leur langue dans leur poche, décident de mener l'enquête afin de retrouver Mrs Creasy. Et en passant de rencontrer Dieu, seul capable de ramener un peu de concorde, de sérénité, et de sourires au milieu de tous ces adultes inquiets, agités, irascibles. Elles iront de pavillons en pavillons et, entre deux bonbons ou réglisses avalés goulument, interpréteront de la manière la plus loufoque possible les déclarations de ces étranges adultes. Elles porteront sur ces grandes personnes assaillis par les fantômes du passé un regard naïf, tendre et interrogateur. C'est là, je pense, que réside toute la réussite de ce très bon livre.
Beaucoup de sourires et de candeur pour aborder des sujets graves : l'éternel horsain que l'on montre du doigt et charge de tous les péchés, les rancoeurs, les haines recuites, l'amitié qui s'effiloche, les blessures qui jamais ne cicatrisent…
Comme j'ai aimé suivre l'enquête abracadabrante de Grace et de Tilly !
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Eté 1976 , dans une avenue anglaise , il fait chaud ...
Le début des grandes vacances et 2 fillettes de 10 ans à l'imagination fertile , s'occupent comme elles le peuvent . Gardées officieusement par une voisine pendant que leurs mères respectives bossent ou font une énième" petite sieste" , on peut dire que la disparition de Mrs Creasy tombe à pic pour les distraire .
Qu'est-il arrivé à cette voisine ? Elles chercheront des réponses dans chaque maison, posant des questions que personne n'a envie de se voir poser. Allant même à implorer Dieu de débusquer Mrs Creasy , mais Dieu est occupé par ses brebis , du moins , c'est ce qu'elles comprennent !
Leurs questions sont délicieuses de naïveté , les réponses sont jubilatoires .
Il fait chaud et la canicule poisseuse qui s'abat sur cette Avenue , indispose les habitants . On se souvient de 1967 , et des choses pas très jolies qui se sont passées : des choses qu'on a faites sans vouloir mal faire , des rumeurs, des mauvaises interprétations , des trucs moches ...
Il fait chaud , cet été 76 , Mrs Creasy a disparu, il faut dire qu'elle posait beaucoup trop de questions, s'intéressait à tout le monde . Peut-être que Mrs Creasy est la femme qui en savait trop ... Et Grâce et Tilly qui rejouent " le Club des cinq" , à elles toutes seules , et Dieu qui est partout !
Il fait chaud .
L'écriture de Joanna Cannon (dont c'est le 1° roman ) , est un pur ravissement , un friandise subtile et amusante .
Si vous aimez les romans policiers avec un suspens de dingue et beaucoup d'action , ne vous arrêtez pas sur cette Avenue , mais si vous aimez la finesse, et l'humour anglais, les répliques ciselées , votre GPS vous soufflera : "Vous êtes arrivés à destination "!
La fin est comme elle doit être , fine et subtile, mais j'attendais quelque chose de plus spectaculaire, seules les 4 dernières pages m'éloignent du coup de foudre ...
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« La chaleur nous attendait tous les matins au réveil, persistante et continue, suspendue en l'air comme une dispute interrompue. Elle faisait fondre nos journées sur le trottoir si bien que nous nous déversions à l'extérieur en emmenant nos vies avec nous ».
Ah, ceux qui ont vécu l'été 1976 doivent s'en souvenir ! Cette liquéfaction, cette torpeur, cette atrophie de la vivacité...
C'est ce que vivent les personnages de cette histoire, et pourtant ! Une femme a disparu, Mrs Creasy est partie, un matin, et n'est jamais revenue. John, son mari, est inquiet. Et les voisins aussi, car Mrs Creasy, apparemment, connaissait bien des secrets...
Nous sommes dans une petite ville d'Angleterre. Grace (10 ans) et Tilly (6 ans) entament leurs grandes vacances dans la fournaise de leur avenue. Leurs voisins, elles les connaissent, bien sûr. Mais pas bien. Comme elles n'ont rien à faire, elles voudraient retrouver cette Mrs Creasy. « Comment est-ce qu'on empêche les gens de disparaitre ? On les aide à trouver Dieu. »
Et les voilà parties à la recherche de Dieu. Dans toutes les maisons. Sans exception. Même celle de Mr Bishop, au n° 11.
Et nous voilà à leur suite, passant outre des apparences pour pénétrer dans l'intime, dans les secrets honteux.
Petites filles naïves, elles mettent les pieds dans le plat à tout bout de champ. Les adultes doivent composer, mais souvent, leur attitude révèle beaucoup plus que leurs paroles.
Grace et Tilly découvrent le pouvoir des mots, qui « une fois qu'on les a prononcés, se dotent d'un souffle et d'une vie propres. Ce sont eux, alors, qui nous contrôlent ».
Elles découvrent la solitude et la mort. La maladie, physique ou mentale. L'alcoolisme. le rejet. La différence et les préjugés qu'elle engendre. le mal de vivre.
« Imagine que personne n'aille à ton enterrement. Imagine que tu meures et que personne ne t'aime assez pour te dire au revoir ».
Mais elles sont réceptives aussi à ce qu'il y a de beau chez les êtres, et souvent ce beau est caché. Certains adultes leur consacrent du temps, du bien, du beau. « Les mauvaises herbes, c'est très subjectif. C'est une question de point de vue.»
Cela leur permettra de grandir, de voir autrement que les autres. Car souvent, les adultes cachent, tranchent, dérapent, s'agglutinent en essaim calomnieux sans chercher la vérité.
A coup de chapitres courts, d'innombrables dialogues, nous parcourons la vie des gens. La naïveté, le regard candide des enfants transperce beaucoup plus vivement qu'une conversation entre adultes. Et donc l'humour est souvent présent, car il met le doigt sur cette distance que nous autres adultes instaurons continuellement dans nos rapports quotidiens.
Mrs Creasy, vous avez bien fait de disparaitre ! Car vous aurez ainsi permis la révélation de la vérité qui était cachée là, au bout de la rue, des jardins, dans les recoins des maisons.
Merci à l'opération spéciale de Masse Critique ainsi que les éditions HarperCollins pour cette plongée dans l'été 1976, implacable et tranchant, naïf et franc.
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L'odeur du macadam chaud me piquait le nez. Je remuais les jambes, gênée par les briques brulantes. Impossible d'échapper à la chaleur. Elle nous attendait tous les matins au réveil, persistante et continue, suspendue en l'ait comme une dispute interrompue. Elle faisait fondre nos journées sur le trottoir et dans les cours, si bien que, incapables de rester cloitrés entre des murs de brique et de béton, nous nous déversions à l'extérieur en emmenant nos vies avec nous. Les repas, les conversations, les débats - tout commençait dehors, puis se libérait, se répandait. Même l'avenue avait changé. D'immenses fissures s'étaient creusées dans les pelouses jaunies, et les chemins se faisaient mous et instables. Ce qui avait été solide et fiable devenait flexible, incertain. Plus rien ne paraissait sûr. Mon père disait que la température distendait les liens, mais ça me semblait plus sinistre encore. J'avais l'impression que l'avenue tout entière se mouvait et s'étirait, tentant de s'échapper d'elle-même.
En retraçant les pas de Margaret dans les rues, il parlait comme si elle était à ses côtés. Avant sa disparition, il ne lui avait jamais dit "je t'aime". Manquant de confiance en eux, les mots étaient restés coincés, gênés et peu enclins à sortir. Au lieu de lui dire " je t'aime ", il lui chuchotait " fais bien attention à toi " et " à quelle heure rentres-tu " ? Au lieu de lui dire " je t'aime ", il mettait son parapluie au pied de l'escalier pour qu'elle ne l'oublie pas, et l'hiver il plaçait ses gants sur la chaise près de la porte pour qu'elle s'en souvienne en sortant. Jusqu'à sa disparition, il était incapable de faire autrement, mais depuis les mots s'étaient détachés. Ils s'écoulaient de sa bouche en silence, sûrs d'eux et sans pudeur. Ils bringuebalaient sous le pont du canal et trébuchaient au bord de l'eau. Ils dansaient autour du kiosque et couraient sur le trottoir pendant qu'il marchait. Il se disait que s'il répétait assez souvent les mots elle les entendrait sûrement, et s'il continuait à marcher ils finiraient par se croiser.
— Il y a des gens bien, et puis il y a les hurluberlus, ceux qui n'ont rien à faire là. Ceux qui créent des problèmes pour les autres.
[...] Bref, ces gens-là ne pensent pas comme nous. Ce sont des marginaux, des inadaptés. C'est à eux que la police devrait parler, pas à des gens comme nous. Des gens normaux.
[...]
— Comment on les reconnaît, les gens qui ne s'intègrent pas ? demanda Tilly.
[...]
— Ça se voit comme le nez au milieu de la figure. Ils ont de petites manies bizarres, un comportement étrange. Ils ne se mélangent jamais aux autres. Ils ont l'air différents.
— Ah bon ? [...]
— Vous comprendrez quand vous serez grandes. On les repère à un kilomètre, alors on apprend à changer de trottoir.
[...]
— Peut-être que c'est pour cela qu'ils ne se mélangent pas aux autres, parce que tous le monde est sur le trottoir d'en face ? suggéra Tilly.
L'avenue est plongée dans le silence, les fenêtres sont muettes et impassibles. Les gens travaillent, mangent ou sont occupés ailleurs. Mrs Morton passe devant les maisons sans être dérangée. Dans le jardin de Sheila Dakin, les jouets de Lisa sont éparpillés sur l'herbe comme des fantassins blessés, et la brise fait claquer le loquet d'un portail indécis. De l'autre côté de la rue, l'allée de Dorothy est impeccable et silencieuse, les gravillons sont matés par un balai avant même le lever du jour.
— Comment est-ce qu'on empêche les gens de disparaître ? [...]
— On les aide à trouver Dieu. [...] Si Dieu existe dans une communauté, personne ne se perd.
Je pensai à notre quartier. Aux enfants sales que les maisons recrachaient et aux disputes avinées que les fenêtres vomissaient. A mon avis, Dieu ne passait pas beaucoup de temps chez nous.
Waterstones - Joanna Cannon-The Trouble With Goats & Sheep