Yoga est un livre d'autofiction qui ne parle pas seulement de
yoga, ce prétexte permettant de parler aussi d'autres sujets qui touchent son auteur
Emmanuel Carrère. Mais le
yoga en est certainement le principal chemin, un sentier à fleur de peau, qui parfois s'enfouit de manière souterraine, couture les pages de ce livre, traverse des choses qui n'ont a priori pas lieu d'être ensemble.
Mais une fois que j'ai terminé ce livre, je me suis dit ô combien ces choses allaient bien ensemble.
Dans
Yoga,
Emmanuel Carrère parle sans doute de la chose qu'il pense connaître le mieux au monde, ce qui ne l'empêche pas de s'y perdre : c'est-à-dire lui-même. Mais j'aurais tout autant pu écrire que, évoquant sa personne, il nous parle ainsi de la chose qu'il connaît le moins bien au monde.
Il est possible de mal lire ce livre, de s'y perdre, de passer totalement à côté, de le détester. Il est possible aussi d'y voir autre chose qu'un livre sur le
yoga ou une longue introspection de l'auteur sur soi.
Car
Yoga n'est pas un manuel sur la pratique du
yoga, bien que j'aie noté sur un petit carnet, quelques magnifiques définitions sur la méditation, venues comme cela comme des perles offertes au gré des pages, comme des petits cailloux semés par une sorte de Petit Poucet égaré dans un paysage d'abîmes. Plonger en soi, avancer à tâtons, chercher la lumière, sortir de l'enclos, approcher de la montagne...
Il est possible de voir aussi la souffrance d'un homme seul, sans complaisance pour lui, un homme malheureux contemplant sa dépression comme un territoire abyssal sans fin, cherchant la quiétude de l'amour cette chose essentielle qui lui aura manqué, un homme en errance qui pense que les choses les plus merveilleuses lui seront peut-être à jamais interdites.
Toute vie est peut-être un processus de démolition, semble dire l'écrivain. Toute vie est peut-être aussi une lente reconstruction, remettre debout l'édifice de nos vies détruites avant nous...
Pourtant ce livre est traversé de moments de grâces fugitives, instants d'érudition, d'autodérision aussi, le sourire fait d'une joie pure de cette pianiste qui joue la Polonaise N° 6 L'héroïque de Chopin, quelques vers de
Catherine Pozzi, un atelier d'écriture pour sauver des enfants migrants de la tragédie humaine, la rencontre et l'amour d'une femme qui habitait en avril 1986 à Pripiat, c'est-à-dire la ville la plus proche de Tchernobyl... Ils font dire à l'auteur qu'il est pleinement heureux d'être vivant.
Alors, le malheur du monde, plus grand que les vides intérieurs, peut-il sauver un homme perdu dans ses névroses les plus profondes ? Plonger en soi et toucher enfin ce point de contact où viennent les autres.
Dans
Yoga, j'ai retrouvé avec émotion le propos et l'écriture d'
Emmanuel Carrère. Ayant peu lu de cet écrivain, j'aimerais croire que c'est son plus beau livre.
Qu'importe de savoir la part vraie de celle inventée dans ce récit par son auteur. La part qui vient de ses territoires intérieurs nous parle de l'essentiel.
Alors, il est possible aussi d'aimer ce livre, comme je l'ai aimé. Ce livre sonne comme un écho.
Je termine ce billet en citant une phrase que j'ai particulièrement appréciée et qui figure dans un des derniers chapitres de ce livre : "La dernière page tournée, qui n'est pas loin, on pourrait s'asseoir une minute ensemble. Fermer les yeux, nous taire, rester un peu tranquilles. N'oubliez pas d'éteindre la lumière en sortant".