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sur 1970 notes
Pour certains, Yoga est le plus beau livre d'Emmanuel Carrère.
Seulement, voilà, le dire devient indécent :
C'est un livre qui désamorce intelligemment toute "critique" que l'on pourrait en faire ; il se laisse tout au plus raconter mais ne permet pas de "chronique" proprement dite :
Cela serait la preuve qu'on l'ait mal lu.

On ne peut pas chroniquer la souffrance mise à nu, l'errance intérieure, la quête de repos et de silence qui se donnent à lire, creusent dans notre vécu, font écho et réverbèrent empathiquement.
Ni la douceur et la simplicité qui adviennent au bout des descentes dans les ténèbres.
A la fin des combats portés avec l'Adversaire.

Nous voilà étrangement enfermés dans un paradoxe consubstantiel à ce livre : Yoga nous offre le luxe de nous taire.

Ceux qui aiment Emmanuel Carrère l'y retrouveront avec émotion.
Les autres l'aimeront peut-être à partir de ce texte.
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Emmanuel Carrere fait partie de ces écrivains qui parviendraient à me faire lire avec exaltation et avidité un document aussi indigeste qu'un rapport médical sur l'électrophorèse de l'hémoglobine ou encore une notice de montage d'un meuble à chaussures. Parce qu'il est intéressant, parce qu'il est drôle, parce qu'il est honnête, parce qu'il a un sens de la narration hors du commun, parce qu'il est touchant et cultivé, parce qu'il donne une profondeur à la moindre anecdote qui se transforme en leçon de vie, parce que son style est hybride et captivant, parce que ses écrits, et ce livre le confirme, sont géniaux tout simplement.
Ici ce qui devait être un livre de développement personnel « subtil et souriant » sur le Yoga va prendre une toute autre orientation. le point de départ est une retraite Vipassana sur la méditation. Assis en lotus sur son zafu l'écrivain recherche la pleine conscience en observant sa respiration (et les autres) tout en tentant vainement de ne pas la modifier.
Au rythme de ses descriptions amusantes voilà que le lecteur se prend machinalement à contrôler ses inspirations et expirations et à observer ses sensations. Jouissif ressenti. Puis cette quête introspective plaisante s'acheminera progressivement vers une plus sombre réalité. Une dépression sévère, liée à un diagnostic tardif de bipolarité, refait surface et le conduira à une longue hospitalisation, avec mise de son esprit sous camisole chimique et électrochocs histoire de provoquer un « redémarrage du système ». du désir d'élargissement de sa conscience il est passé à celui de l'éteindre. Sa souffrance est telle qu'il demandera l'euthanasie. Loin d'atteindre l'état de quiétude et d'émerveillement visé il est victime de son autodestruction « sans me vanter je suis exceptionnellement doué pour faire d'une vie qui aurait tout pour être heureuse un véritable enfer ».
C'est avec une grande lucidité qu'il analyse dans cette autobiographie son narcissisme encombrant et son fonctionnement psychique avec recul dans l'espoir de retrouver un nouvel élan vital. Dans cette confession il interroge le réel et tente de « voir les choses comme elles sont » sans édulcorer ni dramatiser, un des enseignements de la méditation, le tout avec un art indéniable de la dérision et de l'autodérision. L'air de rien c'est bien plus profond qu'une simple lamentation d'un être autocentré et dépressif, il parle de lui, beaucoup, de ce que c'est d'être soi mais aussi de nous, de vous, du rapport aux autres. Malmené par ses « vritti sous cocaïne » ses pensées erratiques, parasites qu'il peine à domestiquer tant son activité mentale est en surchauffe, il s'obstine à faire taire son insupportable babil intérieur pour quitter le Samsara et accéder au Nirvana. Son témoignage est très riche : pensées spirituelles, citations (de Simone Weil à Montaigne), références (dont la polonaise héroïque de Chopin interprétée par Martha Argerich) rencontres, souvenirs... du funeste massacre de Charlie Hebdo dans lequel a péri son ami Bernard Maris en passant par le décès de son éditeur et ami de longue date qui pour la première fois ne lira son manuscrit, de l'Irak à l'île grecque de Leros entouré de jeunes réfugiés, en passant par le Sri Lanka dévasté par le tragique Tsunami de 2004 pléthore de réflexions et personnages célèbres et moins célèbres sont subtilement évoqués. Sans oublier son amour évanescent pour la « femme aux gémeaux». Dans ce chaos existentiel alors qu'il n'y croit plus un rai de lumière finira par apparaître enfin redonnant naissance à une balbutiante pulsion de vie...
On en souligne des passages! n'est-ce pas le gage d'un livre parfaitement réussi?


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Le Yogi dépressif
Coup de gong pour un billet mi Yin, mi Yang après cette lecture réalisée en position de lotus dépoté sur mon canapé.
Emmanuel Carrère, c'est comme un vieux pote perdu de vue depuis des années, avec lequel on retrouve tout de suite une certaine complicité, tant son écriture impose de la familiarité avec ses lecteurs. Il multiplie les références et les souvenirs de ses précédents romans partagés avec nos yeux, comme un copain nous rappelle de vieilles cuites ou certaines facéties plus ou moins glorieuses. Je pense que cette intimité partagée et cette absence de pudeur dans l'oeuvre de l'écrivain explique en grande partie son succès mérité.
Je me suis donc lancé dans cette lecture plus pour avoir des nouvelles d'Emmanuel Carrère, que je n'avais plus croisé dans les rayons de ma librairie depuis 6 ans, que par curiosité pour le sujet proposé. La méditation m'endort, j'ai envie de taper sur Petit Bambou à coup de gros roseaux, et je n'ai jamais eu besoin de me lancer dans la spéléo de mon âme ou focaliser mon attention sur mes poils de nez pour atteindre un certain apaisement.
Emmanuel Carrère m'a vite rassuré. Si les premières pages racontent avec modestie sa pratique méditative, sa pratique des arts martiaux et son initiation au Yoga, il porte avec beaucoup d'humour un regard critique sur la mode du développement personnel. Il nous expose plusieurs définitions de la méditation et nous raconte son expérience d'une retraite spirituelle sans tomber dans le prosélytisme du bonheur en tong.
D'une approche ludique, ce roman prend une tournure beaucoup plus tourmentée avec l'évocation de la mort de son ami Bernard Maris, lors de l'attentat de Charlie Hebdo, celle de son éditeur de toujours, puis par le récit détaillé d'une terrible dépression qui le conduira à l'internement et à un diagnostic implacable, la bipolarité.
Dans son livre, Emmanuel Carrère nous entraîne dans sa terrible chute, le lecteur partage son traitement de cheval, ses effets secondaires, ses euphories up et ses gadins down. Nous sommes en emphase avec ses phases et ses phrases. Il ne remontera la pente qu'en s'exilant à Lesbos en venant en aide à de jeunes migrants.
Rassuré que ce récit ne tombe pas dans le feel good, histoire du névrosé sauvé par un maître Zen en dix leçons, j'ai apprécié que le cheminement soit inverse, que l'auteur ne se raconte pas et ne nous raconte pas d'histoires. Si le Yoga l'apaise, il ne soigne pas, si la méditation le calme, elle n'est d'aucune utilité face à des troubles psychologiques graves. Face aux vrais problèmes, la chimie médicamenteuse reste plus efficace que le thé vert et l'encens . de morale, il n'y en a pas, à part peut-être l'idée que l'homme moderne s'écoute un peu trop, qu'à force de s'entendre dire « Prends soin de toi », il prend moins soin des autres.
Emmanuel Carrère est le sujet de conversation préféré d'Emmanuel Carrère. Sous ses faux airs de bonze, il ne parle que de lui, tout le temps, même quand il veut rendre hommage à des amis ou des proches. Il l'avoue lui-même mais si la faute avouée est à moitié pardonnée, elle libère surtout sa propre conscience et il ne cherche pas à éviter la récidive. C'est un peu à mes yeux la limite de ce récit très autocentré. Les autres personnages ne sont pas incarnés, figurants de son existence. L'auteur est très seul dans son roman. Heureusement qu'il y a le lecteur. Toujours fidèle.
Après la généalogie russe, la plongée biblique et ce roman zen sous électrochocs, j'attends la prochaine carte postale.
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Emmanuel Carrère, j'ai adoré le lire dans L'Adversaire, Limonov et même le Royaume. Je l'ai aussi rencontré, écouté présenter le Royaume à Vienne (Isère), en novembre 2014, mais là, avec Yoga, je n'ai pas du tout adhéré à ce qu'il raconte.
C'est, bien sûr, très personnel, souvent intime, mais j'ai dû me forcer à lire, pour aller au bout, poussant un grand ouf à la dernière ligne quand il avoue être « pleinement heureux d'être vivant. »
Yoga parle bien sûr de cette discipline venue d'Asie et apportant beaucoup de bien-être à ses adeptes. J'ai quand même retenu quelques conseils utiles pour la respiration et le contrôle de son corps.
Emmanuel Carrère parle surtout de méditation avec une cascade de définitions toutes très judicieuses et encourageantes pour le commun des mortels mais, en fait, il parle surtout de lui.
Il raconte, romance, invente sûrement, abuse parfois de termes techniques japonais ou autre mais c'est un prétexte pour raconter sa vie, ses joies, ses peines, surtout ses souffrances. Comme il l'avoue, pour un homme qui a tout : l'argent, la réussite, deux enfants beaux et intelligents, voilà qu'il est bipolaire de type 2 !
Régulièrement, il sombre dans la dépression, a besoin d'être soigné, hospitalisé à Sainte-Anne, subit des électrochocs, prend des médicaments. Dans Yoga, j'ai souffert avec lui de tant d'épreuves, de cette détresse morale pour un homme qui connaît tout, fréquente des célébrités, et partage amour et amitié.
Au fil des pages, j'ai fait beaucoup de rencontres dont son éditeur, Paul Otchakovsky-Laurens (P.O.L.), qui a su le motiver, peu de temps avant sa mort, le 2 janvier 2018, pour apprendre à taper avec ses dix doigts.
Au début, il y a ce stage Vipassana, dans le Morvan, stage de yoga haut de gamme avec cent vingt participants mais c'est tellement aride et dépouillé que j'ai été soulagé lorsqu'Emmanuel Carrère a dû quitter les lieux brusquement après la tuerie de Charlie Hebdo. Il connaissait bien Bernard Maris et il a dû prononcer un discours à son enterrement.
Après toute cette dépression qui le met au plus bas, il m'a emmené sur l'île grecque de Léros où il s'occupe d'un atelier d'écriture pour des réfugies avec une certaine Frederica qu'il appelle affectueusement Erica. C'est une bonne respiration, un moyen de sortir de cette introspection maladive dont il m'a trop longtemps gratifié. En bonus, l'auteur m'a donné envie de réécouter la fameuse Polonaise héroïque de Frédéric Chopin et, pour cela, je le remercie.
Parler de soi, les plus grands écrivains l'ont fait et le font. Emmanuel Carrère reconnaît qu'il veut être des leurs mais Yoga ne m'a pas vraiment plu car ressemblant un peu trop à un fouillis de rencontres, d'expériences plus ou moins réelles. Si écrire ce livre lui a fait du bien, tant mieux !

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Janvier 2015, Emmanuel Carrère prend le train en gare de Bercy, destination le Morvan pour y passer dix jours avec une trentaine de participants, pour un stage de méditation. La consigne est stricte : pas de téléphone portable, pas de livre, pas d'ordinateur : on se retrouve face au silence, seul face à soi-même. Il pratique le yoga depuis une trentaine d'années et ce stage, cette retraite en silence lui permettra d'écrire un petit livre sur le yoga. Il se trouve en effet que, sujet à la dépression, pour lui, "c'était un bon moment, un cycle extrêmement favorable qui durait depuis bientôt dix ans". Mais il va traverser alors un grave épisode dépressif qui le conduira quatre mois durant en hôpital psychiatrique à Sainte-Anne. Il sera diagnostiqué bipolaire type II : "quoi qu'on pense, dise et fasse, on ne peut pas se fier à soi-même car on est deux dans le même homme et ces deux-là sont des ennemis".
Ce livre, donc, aurait dû être léger et souriant, il est devenu grave quand l'auteur se croyant guéri a frôlé le désastre.
Dans Yoga, Emmanuel Carrère raconte cette terrible dépression avec franchise et justesse et dépeint magistralement cette détresse psychique qui l'a envahie et l'a plongé dans les ténèbres et la détresse, songeant même à s'autodétruire.
Des événements importants vont jalonner cette terrible période. Sont évoqués avec beaucoup de sensibilité l'attentat contre Charlie Hebdo et l'assassinat de Bernard Maris que son amie Hélène F. avait rencontré après son divorce et dont il dit : "on était tout doucement en train de devenir des amis", la crise des réfugiés et ces moments très beaux passés avec ces jeunes afghans qu'il aide sur l'île grecque de Léros, la mort de Paul Otchakovsky-Laurens en 2018, son éditeur et ami.
Yoga porte tout de même bien son titre car le yoga reste omniprésent tout au long du récit et seul, quelqu'un en ayant une pratique régulière, ancienne et maîtrisant idéalement la langue peut nous faire découvrir aussi bien et de façon aussi simple cette activité à la fois physique, méditative et spirituelle. J'ai ainsi appris multitude de termes rattachés à cette pratique (un peu lassant parfois), à commencer par le zafu, coussin sur lequel s'assoient les pratiquants.
Cependant le combat intérieur que va devoir mener Emmanuel Carrère face à cette maladie qu'il croyait vaincue et qui refait surface sera une véritable mise à nu des souffrances endurées, de sa quête de délivrance qui s'achèvera par cette sublime dernière parole : "je suis pleinement heureux d'être vivant".
Yoga est une autofiction, c'est-à-dire que l'auteur parle de lui, de sa vie et y mêle forcément d'autre vies que la sienne, ce qui explique sans doute le différend avec son ex-épouse Hélène Devynck.
Yoga est certes un superbe bouquin que je ne peux que recommander, mais j'avais néanmoins préféré La moustache, La classe de neige et surtout L'adversaire du même auteur.

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Le 21 mars 2022, ici même, dans la critique du livre « La maladie bipolaire expliquée aux souffrants et aux proches » du docteur Raphaël Giachetti, je faisais l'aveu de ma bipolarité. le 3 juillet 2022, dans un marché aux puces je trouvais le présent livre (probablement jamais encore lu, à en juger d'après la couverture blanche immaculée et la tranche intacte) pour seulement 1 euro. Un instant d'hésitation et puis la concision de la quatrième de couverture (« C'est un livre sur le yoga et la dépression. Sur la méditation et le terrorisme. Sur l'aspiration à l'unité et le trouble bipolaire. Des choses qui n'ont pas l'air d'aller ensemble. En réalité, si : elles vont ensemble. ») a fini par me convaincre de l'emporter pour le lire de suite, malgré une géante pile de livres en cours. L'initiative de la mise à nu est louable : « Ce mal dont je suis atteint, à défaut d'en guérir je peux le décrire. » (p. 193)
Cela commence avec l'idée de « l'écriture d'un essai souriant et subtil sur le yoga » (p. 187) qui figure dès la troisième ligne (p. 11) : « j'ai essayé d'écrire un petit livre souriant et subtil sur le yoga ». Et c'est presque un livre « souriant et subtil sur le yoga » que j'ai lu jusqu'à la page 153, quand « le Noble Silence » de la méditation (une douzaine de définitions proposées par l'auteur jusqu'à cet instant précis du récit) est brutalement interrompu par des « éventements graves ».
Je n'avais rien lu de cet auteur auparavant et donc je ne regrette pas cette rencontre. Je lui reconnais, comme bon nombre de lecteurs, un vrai talent narratif. Il le dit d'ailleurs lui-même : « Mon métier, mon talent, c'est la narration[…] » (p. 172), par opposition à la poésie qui « est le langage le moins incompatible avec cette expérience non verbale qu'est la méditation » (idem). Salutaire poésie qui revient au galop à la fin du livre avec les références à Louise Labé (p. 299, pp. 382-383) et notamment le poème de Catherine Pozzi, (pp. 385-386).
J'aime que la littérature soit « le lieu où on ne ment pas » (p. 186), car « Il est vital, dans les ténèbres, de se rappeler qu'on a aussi vécu dans la lumière et que la lumière n'est pas moins vraie que les ténèbres » (p. 196). J'aime les histoires d'amour comme celle entre l'auteur et « la femme aux gémeaux » (p. 386).
Parmi les très nombreuses références je relève deux qui m'ont beaucoup touchée : celle à Vincent van Gogh dont l'auteur partage la pensée que « la tristesse durera toujours » « et qu'elle en sait plus long sur la vie que la joie » (p. 136) ainsi que celle à Bernard Maris qui disait « que c'est justement fait pour ça, l'économie : pour qu'on ne comprenne pas, une embrouille au service des riches » (p. 160)
« Mon autobiographie psychiatrique et mon essai sur le yoga, c'était le même livre » (p. 194) : il aurait pu s'intituler « Yoga pour bipolaires » note l'auteur. Je pense quant à moi, que ce livre ne fait pas beaucoup sourire (certaines anecdotes peuvent même agacer, tant elles paraissent au ras des pâquerettes), mais il est selon moi, et quoi qu'on en dise, véritablement subtil. L'écriture comme planche de salut pour soi et pour les lecteurs.
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Un titre simple et efficace, épuré comme la finalité de cette philosophie.

Ambition louable, Emmanuel Carrère voulait partager avec nous son intérêt pour cette discipline qui l'aide à se sentir bien au quotidien. L'idée était d'écrire « un petit livre souriant et subtil sur le yoga » au sens large (méditation, arts martiaux), qui donnerait un autre point de vue que les manuels du rayon « développement personnel ». Et si on sent poindre l'ironie ou l'auto-dérision derrière les mots « souriant et subtil », on ne comprendra pourquoi que plus tard.


L'auteur commence par nous imprégner de ce mode de vie accessible à tous au quotidien, qui vise à calmer nos pensées chaotiques (les vritti), à nous rendre présents à nos vies sans avoir besoin d'expérience extraordinaire ; à réapprendre à vivre paisiblement dans le présent et accepter que le changement est inhérent à la vie.
Pour écrire ce livre par le biais d'une expérience concrète et récente, il s'inscrit à un stage de méditation en janvier 2015, dont il veut nous confier les grandes lignes, les bienfaits, les difficultés.


L'air de parler de tout et de rien, il nous initie aux notions utiles avec autant d'humour que d'intelligence, puis égraine ses pensées et anecdotes qui peuvent, de prime abord, sembler aléatoires ; Il les décrit sautant d'un sujet à l'autre, les acceptant pour ce qu'elles sont, les laissant s'apaiser et vivre leur vie en les écrivant. Ce pourrait être une première définition d'écrire : observer ses pensées sur le papier. Mais n'est-ce pas aussi celle de la méditation ? Ainsi dès le départ, on ouvre ce livre comme une méditation de l'auteur sur le yoga.


Et justement, ce que j'aime particulièrement dans la diversité de ses propos, c'est que l'auteur, en bon yogi, les ramène toujours à son fil conducteur : Il nous prend par la main pour nous guider sur un chemin, vers une destination encore connue de lui seul, et ses détours contrôlés visent toujours à mieux amener l'étape suivante.
Il ne case jamais de la culture pour épater, un souvenir pour apitoyer, ou une connaissance pour briller. Son propos, quel qu'il soit, sert toujours la réflexion et finit par nous ramener au sujet.
S'il parle au lecteur avec naturel, le discours est structuré ; l'auteur veut arriver quelque part, et il me tarde de savoir où.


J'aime aussi qu'il ait envie de partager sa démarche sans essayer de nous convaincre d'avoir la même. Sans se faire passer pour plus spécialiste qu'il n'est, il démontre au contraire l'extrême difficulté de l'exercice, se confronte parfois à l'échec. Recommence encore ; il est là pour ça, et nous aussi. Ce pourrait être une deuxième définition d'écrire : Exorciser ce qui nous ronge, afin d'apaiser nos pensées. L'écriture devient alors une aide à la méditation, qui tend elle-même à nous faire accepter ce que l'on observe. Une lecture en forme de méditation, en somme. Et c'est tellement facile, lorsqu'elle est guidée par l'auteur.


Mais durant son stage, deux événements se produisent : l'un national, l'autre plus personnel : « Je ne comptais pas seulement dire que le yoga et la méditation font se sentir bien mais qu'ils sont, beaucoup plus qu'un loisir ou qu'une pratique de santé, un rapport au monde, une voie de connaissance, un mode d'accès au réel dignes d'occuper une place centrale dans nos vies. Voilà ce que je comptais dire, à travers ma bancale expérience. Or, j'ai du mal à le dire, au retour de ma retraite. » « Bref, pour mon livre souriant et subtil sur le yoga, je me trouvais un peu emmerdé ».


En effet, le diagnostique tombe d'une maladie influant directement sur son humeur et ses pensées, qui s'emballent et peuvent devenir suicidaires, menacent son fragile équilibre. Un tsunami intérieur le submerge et manque de le noyer. A ce moment-là, il n'arrive plus à croire à la belle alternance du yin et du yang, au beau temps après la pluie. le traitement qu'il reçoit est violent et son mal-être est tel que seule la pluie semble réelle et durable, et il ne croit plus à son « petit livre subtil et souriant sur le yoga ». Pourtant, qui mieux que le yoga et la méditation pourraient l'aider à calmer la tempête qui fait rage à l'intérieur de lui ?


Alors son livre change. Il n'est plus une initiation au yoga, subtile et souriante mais un travail pratique par lequel l'auteur comprend et montre que le yoga est dans tous les gestes et décisions du quotidien auxquels il s'accroche et s'astreint pour ne pas sombrer. Il voulait nous parler de la méditation ; il va pouvoir - et devoir - faire mieux : la démonstration par l'exemple.
Troisième définition d'écrire : partir à la rencontre de soi. Comme le yoga, et c'est pour ça que la quête de l'auteur prend tout son intérêt sous cette forme littéraire. L'écriture comme une méditation.
Et n'est-ce pas justement cela le yoga ? Chercher le calme en soi quand c'est le chaos autour de vous ?


Finalement, il est subtil, ce petit livre sur le yoga : par sa construction, et des tas de petites réflexions bien placées. Et finalement, il est aussi souriant, ce livre, Monsieur Carrère : parce que vous ne vous apitoyez pas, vous ne nous faites pas pleurer - vous nous faites même sourire ; vous nous montrez la voie vers le nirvana. Et tant pis si ça semble inaccessible : le chemin est le but, et votre expérience ouvre la voie.
Un livre très humain, en forme d'acceptation, de méditation, dont le fond aurait parfaitement collé à la forme - cette fameuse forme de tai-chi - s'il avait lui aussi été tapé à un seul doigt (comprenne qui lira) ; je m'en vais le méditer encore un moment sur mon zafu on the beach (ça ferait un joli nom de cocktail…), même si une natte pliée en quatre ferait aussi bien l'affaire.


Je sais que les nuages et la pluie peuvent envahir bientôt ma plage, « mais ce jour-là je m'en fous. Ce jour-là je suis pleinement heureu[se] d'être vivant[e] ». 
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Restons zen dans cette critique. Comme le disait le vieux maître Fopensair Hereflechir le mieux était d'attendre un jour ou deux avant de pondre, en position adéquate, un avis sur ce roman. J'ai cru en écoutant France culture un dimanche soir (erreur fatale !) que ce livre parlait de ...

- Alors jeune padawan, que pensez-vous de ce livre ?
- Je sens la force s'insinuer dans ce lignes maître Yoda ! Ce qu'il nomme le «Citta»
- Laisse-la tes pensées guider. Ne pas écouter les « vrittis » qui ton jugement peuvent influencer et du côté obscur te faire pencher !
- J'ai atteint le « Nirodha », maître Yoda !
- Alors parler tu peux maintenant.

La première partie est le coeur du livre. Elle est double, d'abord instructive pour quelqu'un qui connaît peu la sagesse orientale qui accompagne la méditation. Et, de ce fait, cette part nous interroge, et permet d'y raccrocher certains comportements issus de notre tradition occidentale (je fais la supposition qu'ici, c'est le cas majoritairement). L'autre part est biographique, l'auteur semble y livrer son intimité. J'ai cru comprendre à posteriori, et surtout sans chercher à creuser le personnage, que ce n'est pas la première fois.
Là s'arrête le roman et son titre en lui même.
La deuxième partie évacue quasiment cette dimension méditative et se fait passer pour autobiographique. Se fait seulement passer car l'auteur avoue en même temps une part d'invention, ce qui brouille pas mal les cartes. Les îles grecques des camps de réfugiés, les établissements de soin . . . qu'est-ce qui est vrai ? Pour lui ou un ami ? Cela restera sans réponse nette.
Pour la forme, c'est très agréable à lire, fluide, souvent très intimiste. On peut lui reprocher un certain nombrilisme puisqu'il ne parle essentiellement que de lui mais il le fait intelligemment, sans trop en rajouter. Il atteint ainsi assez facilement un lecteur de la classe moyenne qui partage les codes utilisés. Il joue les désabusés, mais l'est-il vraiment ?

- Bien, jeune Padawan, mais un enseignement en as-tu tiré ?
- Oui, Maître Yoda, c'est que différentes voies mènent à la sagesse, au Nirvana, que chacune emprunte des chemins escarpés semés d'embûches. Et il n'est pas facile de sortir du cycle du « samsara ». Ce livre, dans sa première partie surtout peut permettre à un novice d'y réfléchir.
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le Yoga sympa et la méditation joyeuse, c'est sur quoi Emmanuel Carrère envisageait d'écrire en 2015, lorsqu il à été fracassé par une dépression mélancolique.

À près de soixante ans il apprend qu' il est bi-polaire. Que faire d"un tel diagnostic?

D' une retraite méditative et morvandiote aux funérailles de Bernard "Charlie" Maris, d'une chambre de l' hôtel Cornavin de Genève, cher aux Tintinophiles, à un lit de douleur de l'hôpital Sainte Anne de Paris, jusqu'à une fuite apaisante et reconstructive en mer Égée, dans l' île de Leros, Carrère continue à ne pas mourir.

L' écrivain s' interroge et se livre comme à son habitude avec distance et curiosité. Collage littéraire, patchwork de plusieurs livres en un, " Yoga" pourrait nous laisser croire qu'il est un rescussée de ce qu'il a déjà fait avant.

Yoga est pourtant un formidable récit linéaire, le portrait franc et humain d' un homme dans son époque.


Lien : http://www.baz-art.org/archi..
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Yoga est un livre d'autofiction qui ne parle pas seulement de yoga, ce prétexte permettant de parler aussi d'autres sujets qui touchent son auteur Emmanuel Carrère. Mais le yoga en est certainement le principal chemin, un sentier à fleur de peau, qui parfois s'enfouit de manière souterraine, couture les pages de ce livre, traverse des choses qui n'ont a priori pas lieu d'être ensemble.
Mais une fois que j'ai terminé ce livre, je me suis dit ô combien ces choses allaient bien ensemble.
Dans Yoga, Emmanuel Carrère parle sans doute de la chose qu'il pense connaître le mieux au monde, ce qui ne l'empêche pas de s'y perdre : c'est-à-dire lui-même. Mais j'aurais tout autant pu écrire que, évoquant sa personne, il nous parle ainsi de la chose qu'il connaît le moins bien au monde.
Il est possible de mal lire ce livre, de s'y perdre, de passer totalement à côté, de le détester. Il est possible aussi d'y voir autre chose qu'un livre sur le yoga ou une longue introspection de l'auteur sur soi.
Car Yoga n'est pas un manuel sur la pratique du yoga, bien que j'aie noté sur un petit carnet, quelques magnifiques définitions sur la méditation, venues comme cela comme des perles offertes au gré des pages, comme des petits cailloux semés par une sorte de Petit Poucet égaré dans un paysage d'abîmes. Plonger en soi, avancer à tâtons, chercher la lumière, sortir de l'enclos, approcher de la montagne...
Il est possible de voir aussi la souffrance d'un homme seul, sans complaisance pour lui, un homme malheureux contemplant sa dépression comme un territoire abyssal sans fin, cherchant la quiétude de l'amour cette chose essentielle qui lui aura manqué, un homme en errance qui pense que les choses les plus merveilleuses lui seront peut-être à jamais interdites.
Toute vie est peut-être un processus de démolition, semble dire l'écrivain. Toute vie est peut-être aussi une lente reconstruction, remettre debout l'édifice de nos vies détruites avant nous...
Pourtant ce livre est traversé de moments de grâces fugitives, instants d'érudition, d'autodérision aussi, le sourire fait d'une joie pure de cette pianiste qui joue la Polonaise N° 6 L'héroïque de Chopin, quelques vers de Catherine Pozzi, un atelier d'écriture pour sauver des enfants migrants de la tragédie humaine, la rencontre et l'amour d'une femme qui habitait en avril 1986 à Pripiat, c'est-à-dire la ville la plus proche de Tchernobyl... Ils font dire à l'auteur qu'il est pleinement heureux d'être vivant.
Alors, le malheur du monde, plus grand que les vides intérieurs, peut-il sauver un homme perdu dans ses névroses les plus profondes ? Plonger en soi et toucher enfin ce point de contact où viennent les autres.
Dans Yoga, j'ai retrouvé avec émotion le propos et l'écriture d'Emmanuel Carrère. Ayant peu lu de cet écrivain, j'aimerais croire que c'est son plus beau livre.
Qu'importe de savoir la part vraie de celle inventée dans ce récit par son auteur. La part qui vient de ses territoires intérieurs nous parle de l'essentiel.
Alors, il est possible aussi d'aimer ce livre, comme je l'ai aimé. Ce livre sonne comme un écho.
Je termine ce billet en citant une phrase que j'ai particulièrement appréciée et qui figure dans un des derniers chapitres de ce livre : "La dernière page tournée, qui n'est pas loin, on pourrait s'asseoir une minute ensemble. Fermer les yeux, nous taire, rester un peu tranquilles. N'oubliez pas d'éteindre la lumière en sortant".
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