Un titre simple et efficace, épuré comme la finalité de cette philosophie.
Ambition louable,
Emmanuel Carrère voulait partager avec nous son intérêt pour cette discipline qui l'aide à se sentir bien au quotidien. L'idée était d'écrire « un petit livre souriant et subtil sur le
yoga » au sens large (méditation, arts martiaux), qui donnerait un autre point de vue que les manuels du rayon « développement personnel ». Et si on sent poindre l'ironie ou l'auto-dérision derrière les mots « souriant et subtil », on ne comprendra pourquoi que plus tard.
L'auteur commence par nous imprégner de ce mode de vie accessible à tous au quotidien, qui vise à calmer nos pensées chaotiques (les vritti), à nous rendre présents à nos vies sans avoir besoin d'expérience extraordinaire ; à réapprendre à vivre paisiblement dans le présent et accepter que le changement est inhérent à la vie.
Pour écrire ce livre par le biais d'une expérience concrète et récente, il s'inscrit à un stage de méditation en janvier 2015, dont il veut nous confier les grandes lignes, les bienfaits, les difficultés.
L'air de parler de tout et de rien, il nous initie aux notions utiles avec autant d'humour que d'intelligence, puis égraine ses pensées et anecdotes qui peuvent, de prime abord, sembler aléatoires ; Il les décrit sautant d'un sujet à l'autre, les acceptant pour ce qu'elles sont, les laissant s'apaiser et vivre leur vie en les écrivant. Ce pourrait être une première définition d'écrire : observer ses pensées sur le papier. Mais n'est-ce pas aussi celle de la méditation ? Ainsi dès le départ, on ouvre ce livre comme une méditation de l'auteur sur le
yoga.
Et justement, ce que j'aime particulièrement dans la diversité de ses propos, c'est que l'auteur, en bon yogi, les ramène toujours à son fil conducteur : Il nous prend par la main pour nous guider sur un chemin, vers une destination encore connue de lui seul, et ses détours contrôlés visent toujours à mieux amener l'étape suivante.
Il ne case jamais de la culture pour épater, un souvenir pour apitoyer, ou une connaissance pour briller. Son propos, quel qu'il soit, sert toujours la réflexion et finit par nous ramener au sujet.
S'il parle au lecteur avec naturel, le discours est structuré ; l'auteur veut arriver quelque part, et il me tarde de savoir où.
J'aime aussi qu'il ait envie de partager sa démarche sans essayer de nous convaincre d'avoir la même. Sans se faire passer pour plus spécialiste qu'il n'est, il démontre au contraire l'extrême difficulté de l'exercice, se confronte parfois à l'échec. Recommence encore ; il est là pour ça, et nous aussi. Ce pourrait être une deuxième définition d'écrire : Exorciser ce qui nous ronge, afin d'apaiser nos pensées. L'écriture devient alors une aide à la méditation, qui tend elle-même à nous faire accepter ce que l'on observe. Une lecture en forme de méditation, en somme. Et c'est tellement facile, lorsqu'elle est guidée par l'auteur.
Mais durant son stage, deux événements se produisent : l'un national, l'autre plus personnel : « Je ne comptais pas seulement dire que le
yoga et la méditation font se sentir bien mais qu'ils sont, beaucoup plus qu'un loisir ou qu'une pratique de santé, un rapport au monde, une voie de connaissance, un mode d'accès au réel dignes d'occuper une place centrale dans nos vies. Voilà ce que je comptais dire, à travers ma bancale expérience. Or, j'ai du mal à le dire, au retour de ma retraite. » « Bref, pour mon livre souriant et subtil sur le
yoga, je me trouvais un peu emmerdé ».
En effet, le diagnostique tombe d'une maladie influant directement sur son humeur et ses pensées, qui s'emballent et peuvent devenir suicidaires, menacent son fragile équilibre. Un tsunami intérieur le submerge et manque de le noyer. A ce moment-là, il n'arrive plus à croire à la belle alternance du yin et du yang, au beau temps après la pluie. le traitement qu'il reçoit est violent et son mal-être est tel que seule la pluie semble réelle et durable, et il ne croit plus à son « petit livre subtil et souriant sur le
yoga ». Pourtant, qui mieux que le
yoga et la méditation pourraient l'aider à calmer la tempête qui fait rage à l'intérieur de lui ?
Alors son livre change. Il n'est plus une initiation au
yoga, subtile et souriante mais un travail pratique par lequel l'auteur comprend et montre que le
yoga est dans tous les gestes et décisions du quotidien auxquels il s'accroche et s'astreint pour ne pas sombrer. Il voulait nous parler de la méditation ; il va pouvoir - et devoir - faire mieux : la démonstration par l'exemple.
Troisième définition d'écrire : partir à la rencontre de soi. Comme le
yoga, et c'est pour ça que la quête de l'auteur prend tout son intérêt sous cette forme littéraire. L'écriture comme une méditation.
Et n'est-ce pas justement cela le
yoga ? Chercher le calme en soi quand c'est le chaos autour de vous ?
Finalement, il est subtil, ce petit livre sur le
yoga : par sa construction, et des tas de petites réflexions bien placées. Et finalement, il est aussi souriant, ce livre, Monsieur Carrère : parce que vous ne vous apitoyez pas, vous ne nous faites pas pleurer - vous nous faites même sourire ; vous nous montrez la voie vers le nirvana. Et tant pis si ça semble inaccessible : le chemin est le but, et votre expérience ouvre la voie.
Un livre très humain, en forme d'acceptation, de méditation, dont le fond aurait parfaitement collé à la forme - cette fameuse forme de tai-chi - s'il avait lui aussi été tapé à un seul doigt (comprenne qui lira) ; je m'en vais le méditer encore un moment sur mon zafu on the beach (ça ferait un joli nom de cocktail…), même si une natte pliée en quatre ferait aussi bien l'affaire.
Je sais que les nuages et la pluie peuvent envahir bientôt ma plage, « mais ce jour-là je m'en fous. Ce jour-là je suis pleinement heureu[se] d'être vivant[e] ».