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EAN : 9782266290111
416 pages
Pocket Jeunesse (03/01/2019)
3.28/5   78 notes
Résumé :
Une bande inoubliable d'adolescents décide de lancer un défi à la mort.
Stan s'est taillé une place de choix au lycée. Ses camarades viennent le voir avec leurs problèmes et il élabore des stratagèmes insensés pour les résoudre. Aidé de sa bande d'amis fidèles, Daniel, Jenny, David et Moh, il est devenu un artiste en manipulation de la réalité. On l'appelle l'Enchanteur et, cette année, il va devoir réaliser son chef-d'oeuvre. Car Daniel est malade. Daniel va... >Voir plus
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3,28

sur 78 notes
Suspendez votre crédulité !

Stan, Daniel, Moh, Jenny et David. Cinq adolescents liés par un pacte autour de Stan, l'enchanteur, embobineur de première qui parvient à tirer n'importe qui de n'importe quel mauvais pas en échange d'un service à venir, resserrés autour de Daniel, atteint d'un cancer et que l'on sait condamner dès les premières pages, aux exploits racontés par Moh, narrateurs férus de Shakespeare et qui met en scène Songe d'une Nuit d'Eté, mis en couleurs par David, l'artiste de la bande, entourés par la puissance protectrice de Jenny, fille de boxeur.

Stephen Carrière met en scène un groupe hétérogène et hétéroclite. Inséparables par l'amitié qui les lie malgré quelques tensions au fil du récit, ils n'en sont pas mois tous très différents. le groupe est un groupe multicolore : un groupe très black, blanc, beur, feuj et ruskof. Cela aurait pu être artificiel mais Stephen Carrière en joue admirablement en mettant en scène des problématiques liées à la fois à l'adolescence de ses personnages et à leurs « origines », sans en faire pour autant des archétypes.

On pourrait réduire le thème du livre au racisme ambiant qui combattent le groupe d'amis mais ce serait par trop réducteur. Stephen Carrière s'attaque dans son récit à toutes les formes de haines et de rejet de l'autre. C'est sur cette haine tous azimuts que grandit la force fantastique et maléfique qui semble prendre possession de la ville où habitent les jeunes héros et, à force de grandir et de se renforcer de ces haines rampantes, sourdes, de prendre corps et de perpétrer des actes de plus en plus violents, le tout ourdi par un marionnettiste malfaisant on ne peut plus humain. En donnant à ces haines une réalité physique, aussi fantastique soit-elle, jouant avec une figure maléfique du Golem juif, Stephen Carrière donne chair au combat purement moral qu'on doit mener, dans la vraie vie, contre celles-ci.

Stephen Carrière mélange allègrement, mais toujours de manière parfaitement crédible et argumentée, réalité et fantastique, reliant les agissements des uns et des autres dans un vaste plan d'ensemble visant à semer le chaos et le désordre que les cinq amis vont tenter, au nom de leur amitié pour Daniel, condamné à terme, de combattre en s'opposant autant aux être humains qui veulent semer la graine de la révolution violente qu'aux forces surnaturelles qui semblent se liguer contre leur environnement. Ils feront de l'inévitable échéance qui attend Daniel l'étincelle de vie et d'avenir qui contrecarrera tout le reste.

Le récit de Stephen Carrière oscille entre farce et tragédie, comme le fait le Songe d'une nuit d'été de Shakespeare. Sous la plume de Stephen Carrière, Moh, le narrateur et metteur en scène, fait systématiquement le lien entre ce qu'il raconte et la pièce de Shakespeare, tout comme le lecteur ne peut que faire le lien entre le récit de Stephen Carrière et la pièce. Il y a, derrière une histoire qui emporte tout sur son passage, un vrai travail de construction du récit, servi, qui plus est, par un style au cordeau, une écriture limpide et émouvante (sans grandiloquence).

Stephen Carrière, par ailleurs éditeur aux éditions Anne Carrière et dans le collectif Anne Carrière qui regroupe quelques unes de mes maisons d'édition préférées, invite le lecteur à « suspendre sa crédulité » non pas pour accepter ou croire n'importe quoi qui ne serait pas crédible mais pour garder un esprit ouvert et à l'écoute du fantastique qui peuple notre monde. Notre monde a besoin de cette part de fantaisie, de fantastique, de rêve, donnez-lui le nom que vous voulez, non seulement pour être vivable mais aussi pour simplement exister. Stephen Carrière est un de ceux qui peuvent nous la montrer.

Ce roman est un vrai régal qui n'est pas destiné qu'aux adolescents, à mon sens, et qui plaira, a minima, aux adultes qui seraient restés d'éternels adolescents.
Lien : https://wp.me/p2X8E2-10N
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Ils sont 5, dont une fille. Ils ont la légèreté qui sied aux adolescents et la gravité des adultes qu'ils deviendront...
Car, l'un d'eux va mourir.

C'est une pièce de théâtre qui se joue, "Le songe d'une nuit d'été", mais dans les coulisses, la mort rôde. C'est aussi un spectacle de magie, une illusion, un moment de prestidigitation.

Approchez, approchez, l'Enchanteur va tirer, de son chapeau, un ruban. Mais, ce ruban sera suivi d'un autre, et encore un autre: moins blanc, plus sombre, plus noir.
Il tombera de ce chapeau : un masque, un clochard, un riot gun, des cafards, de la suie et ... la peur. Qu'y a t il encore au fond du chapeau? Une grande amitié, et...

Ce livre vous tiendra en haleine jusqu'au bout de la nuit ... noire.
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On suit 5 amis au lycée. L'arabe qui raconte, la fille qui boxe, le petit juif, le gros noir qui va mourir et le blanc qui réalise les rêves. Ils préparent un truc énorme que leur a demandé Dan, qui doit être réalisé avant sa mort.
Alors je me suis attachée à certains personnages : David, Jenny et Dan. Moins aux deux autres, et aux personnages secondaires. Et puis j'ai trouvé que c'était long à se mettre en place, autant la surprise que la survenue du fantastique.
Oui, car en plus de la préparation de la grosse surprise, il y a des phénomènes étranges qui se produisent et un groupe de fascistes qui sème la zizanie.
Ce n'est pas mal écrit, c'est même plutôt le contraire. Mais j'ai vraiment eu du mal à entrer dans le livre. Je ne saurais dire... peut-être un manque de crédibilité ? L'empathie, l'intérêt est venu au bout d'un moment, mais le démarrage laborieux m'a laissé une impression mitigée tout au long de la lecture finalement.
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L'enchanteur enchante. Il envoûte, sublime les choses de la vie, intrigue, étonne parfois, captive toujours. L'enchanteur est magique. L'enchanteur est magnifique... Il n'est pas comme les autres. Aucun autre livre de littérature pour jeunes adultes ne semble lui arriver à la cheville. L'enchanteur nivelle par le haut un genre littéraire qui peine depuis longtemps à se renouveler. Oubliez les dystopies à la Hunger Games, oubliez les romances pleines de clichés tout droit sorties de Wattpad, oubliez les stéréotypes de héros façonnés aujourd'hui sans grande originalité dans des moules réutilisés encore et encore... Aujourd'hui, il y a L'enchanteur, le point de départ d'un nouveau genre qui a un pied dans la tranche de vie et le drame et un orteil dans le fantastique mais toujours avec brio et équilibre, à la frontière de la littérature soignée et plus pointilleuse pour adulte.

C'est très rapidement qu'on s'attache à chacun des cinq personnages centraux. L'humanité déborde et inonde le lecteur toujours un peu plus au fil des pages et l'amitié qui lie ces jeunes gens est forte, belle, tout en naturel et irrésistible. Au cours d'une bonne première moitié du roman, la vie de chacun d'eux, même si parfois banale, est sublimée sous la plume excellente de l'auteur. Moh, Dan, David, Jenny et Stan, liés comme les cinq doigts de la main, traversent les épreuves de la vie puis des épreuves plus fantastiques avec toujours la même force mentale et toujours la même capacité à passionner et enthousiasmer le lecteur. Avec ses allures de magouilleur gentil et plein de bienveillance, Stan, l'enchanteur, pétille dans le récit et son intelligence ne manque jamais de nous passionner. C'est à partir du début de la seconde moitié du roman que le fantastique (promis dans le résumé au dos de l'ouvrage) apparaît doucement dans les pages, non sans appréhension de la part du lecteur qui s'interroge tout autant que la bande d'amis ; il était alors jusque-là confortablement baigné dans une réalité très terre-à-terre à travers le quotidien des protagonistes, leurs remises en question, leurs joies, leurs peines, leurs problèmes de santé, de coeur, leurs rencontres amicales, etc. L'introduction du Mal dans l'histoire est abrupte et on pourrait alors se demander si l'auteur excellera autant dans le genre fantastique que dans le genre tranche de vie si plaisant et si captivant à lire pendant la première partie du roman. La réponse est oui ; Stephen Carrière ne se laisse jamais intimider par le Mal et son caractère aux antipodes de la réalité de ses personnages et manie jusqu'à la toute dernière page son récit de main de maître sans perdre notre attention ni notre intention de dévorer le roman jusqu'au bout, bien que l'envie que l'histoire ne se termine jamais grandisse toujours un peu plus avec l'amour que l'on porte aux héros. le fantastique parsème les quelques dernières pages et bien qu'il soit relativement discret aux premiers abords, il prend toujours un peu plus d'importance jusqu'à sa pleine manifestation. Mais à quel point le Mal est-il présent dans la vie des personnages ? le Mal est-il finalement le racisme qui court dans les rues de la ville et divise les gens ou cette présence informe indescriptible et pourtant ravageuse qui y sévit tout autant ?

Finalement, L'enchanteur est un roman qui brille d'une intelligence et d'une finesse que l'on côtoie guère dans les histoires que l'ont raconte habituellement au jeune public. Moh, le jeune narrateur, aussi rusé que franc, relate les événements de bout en bout avec une authenticité parfois à vous torde le coeur ou à vous le faire fondre ; il s'adresse notamment quelques fois au lecteur en personne, à vous. Chose très appréciable, il prendra même quelques minutes pour, comme un épilogue, donner des nouvelles de chacun des personnages. Comme dans la scène post-générique d'un film, après le travelling sur le bateau, après le fondu au noir et les noms blancs de l'équipe entière du film défilant de bas en haut, Stan, entre autres, apparaît à nouveau à l'écran, plus transformé que jamais, et c'est non sans un pincement au coeur qu'on lit les derniers mots de la vie des amis qu'on a côtoyés pendant plus de quatre cents pages, qui nous manquent déjà et à qui on souhaite tout le bonheur du monde. La petite troupe a remporté le challenge de faire un miracle ; L'enchanteur en est un à lui tout seule.

J'accorde ★ ★ ★ ★ ★ à L'enchanteur. L'enchanteur, c'est ce joli bijou d'originalité dans un écrin au matériau rare et précis que représente l'écriture belle et fraîche, un écrin parsemé d'autant de pierres précieuses que de personnages forts et qui marquent, dotés chacun d'une humanité qui dévaste le coeur du lecteur de bonté et d'amitié, dotés chacun d'une intelligence et d'une ruse qui élèvent de page en page, de chapitre en chapitre, toujours un peu plus l'histoire captivante de bout en bout. L'enchanteur est une réussite, un roman magique dont on ne souhaite pas voir la fin, par un auteur juste et minutieux qui laisse parler une bande d'amis qu'on aimerait avoir auprès de soi dans la vraie vie.
Lien : https://lirecestboireetmange..
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Tout d'abord, Pourquoi ?
J'ai choisi ce livre dans le cadre d'un challenge littéraire pour lequel je devais lire un livre paru en 2019. Devant l'engouement de bookstagram pour « L'enchanteur », mon choix a été vite fait.
L'écriture de Stephen Carrère est agréable. L'idée d'un adolescent enchanteur, doté d'un talent exceptionnel pour arranger les intérets des uns et des autres, est excellente. Mais j'ai néanmoins eu un peu de mal a entrer dans l'histoire. le roman est constitué de trois parties, et je suis en fait entrée dans l'histoire en fonction de chaque partie :
c'est à partir de la troisième partie que moi, j'ai été enchantée !
« L'Enchanteur » est publié aux éditions Pocket Jeunesse, et lorsque j'ai parlé de mon ressenti à mon fils aîne, il m'a expliqué que c'était normal, que je n'étais pas en adéquation avec le mot « jeunesse » !!
L'histoire ?
« Une bande inoubliable d'adolescents décide de lancer un défi à la mort.
Stan s'est taillé une place de choix au lycée. Ses camarades viennent le voir avec leurs problèmes et il élabore des stratagèmes insensés pour les résoudre. Aidé de sa bande d'amis fidèles, Daniel, Jenny, David et Moh, il est devenu un artiste en manipulation de la réalité. On l'appelle l'Enchanteur et, cette année, il va devoir réaliser son chef-d'oeuvre. Car Daniel est malade. Daniel va mourir. Comme il est fan de comédies musicales, il a demandé à Stan de transformer sa mort en un spectacle si grandiose qu'il lui offrira un peu d'immortalité. Il ne reste que neuf mois à l'Enchanteur et ses comparses pour accomplir ce " miracle ". Mais, dans les ruelles du centre-ville, un Mal ancien et féroce se répand... et, même s'ils préféreraient l'ignorer, nos héros semblent être plus impliqués qu'ils ne le souhaiteraient. »
Je pense que j'ai principalement été impatiente après avoir pris connaissance de la 4ème de couv., alors que la « mise en place » a, selon moi, été un peu longue. Mais cela reste un livre que j'ai apprécié et que je recommande !
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critiques presse (2)
Ricochet
27 mars 2020
À la lecture de l’histoire de cette bande d’adolescents devant affronter la mort et combattre une force dont les agissements lui confèrent un caractère démoniaque, on ne peut s’empêcher de constater que l’ombre du célèbre roman Ça de Stephen King plane [...] La force de l’histoire réside dans sa capacité à se montrer, malgré les événements sanglants et dérangeants, pleine de tendresse et de mélancolie.
Lire la critique sur le site : Ricochet
Actualitte
08 janvier 2019
L’Enchanteur est un ouvrage qui réconcilierait les adultes avec la littérature jeunesse, et ouvre un champ d’exploration vaste pour de plus jeunes lecteurs. Une belle imagination, au service d’une noble cause : comment vivre ensemble ?
Lire la critique sur le site : Actualitte
Citations et extraits (23) Voir plus Ajouter une citation
1

J’ai pris mon temps, il fallait que ça repose et j’avais des choses à vivre, pour que l’émotion cède la place aux idées claires et que des phrases s’y accrochent, mais je n’ai jamais reculé, c’était mon boulot, depuis le début, et mes amis ont été patients.

Je m’appelle Moh et je me sens enfin prêt à vous raconter notre histoire. Elle est extraordinaire, merveilleuse, avec toutes les erreurs qu’on a commises, avec la puanteur de la mort qui nous a rattrapés, avec le vide atroce que tout ça a laissé, même quand Stan a fini par le faire, son putain de miracle. De toute façon, on ne vivra jamais rien de plus fort. Et on ne sera jamais plus beaux que pendant ces quelques mois, entre la rentrée scolaire et la Fête du fleuve.

Vous aurez du mal à me croire. Ce n’est pas grave, nous, on sait que c’est vrai. Et si je suis à la hauteur, vous baisserez la garde et vous ouvrirez au mystère. Ou traitez Puck de menteur, comme dit le Poète.

LIVRE I

DES HÉROS

2.


Nous vivions dans une des villes les plus prospères de France. Les attentats nous avaient épargnés et nos banlieues n’étaient pas en flammes ; les bourgeois étaient très riches, les classes moyennes mettaient leurs enfants dans des écoles privées et mangeaient bio, les pauvres n’étaient pas miséreux, les miséreux ne pouvaient plus se loger en ville depuis longtemps ; de nouveaux restaurants ouvraient toutes les semaines ; on était fiers de nos universités, de nos musées, de notre Opéra, de notre stade, les touristes du monde entier venaient se promener sur les berges du fleuve. Pourtant, la ville était en train de tomber malade et nous commencions à ressentir les premiers symptômes. En ce début d’année scolaire, on était loin de se douter de la gravité de la situation. Et puis au rayon maladie, on avait déjà de quoi se tourmenter – mais je prends trop d’avance.

Nous avions quinze ans, enfin Stanislas, Daniel, David et moi. Jenny en avait seize et elle était en première. J’ai une photo parfaite de cette rentrée : on est tous dans la cour, sur notre banc, sous le chêne et on a l’air tellement contents de nous. En fait, on n’en revenait pas de s’être taillé une place sur ce petit territoire. Notre lycée, le plus grand établissement public intramuros, avait plutôt bonne réputation. On ne peut pas dire qu’il abreuvait les prépas des grandes écoles, en tout cas il était sans histoires. Avec nos pedigrees modestes, on aurait dû raser les murs, en attendant impatiemment la fin de la journée pour retrouver l’univers anonyme d’un jeu en ligne. Un petit Black rond et chauve comme un œuf, une grande fille baraquée et mutique, un feuj fragile au gabarit de fillette et moi, le rebeu malingre, boutonneux et frisé. Le casting idéal pour une campagne de pub utilisant la mixité sociale pour vendre un produit discount. Or voilà, on avait Stan et, en deux ans, il avait nettement amélioré notre statut. Notre compagnie n’était pas beaucoup plus recherchée mais on était hors d’atteinte des petits caïds et respectés pour la qualité de nos services. Stan, que tout le monde appelait l’Enchanteur, avait en effet développé un business florissant. La nature de notre activité alimentait sans fin nos propres discussions mais, pour résumer, disons que les gens venaient nous voir avec leurs problèmes et que Stan trouvait des solutions. Nos réunions de travail se tenaient sur le banc de la cour. David m’a d’ailleurs suggéré de commencer là mon récit. En y repensant aujourd’hui, c’est vrai que ce banc a été décisif dans cette aventure, parce que c’était un peu notre table ronde, parce qu’il nous a été enlevé, puis rendu, parce que sans lui, nous n’aurions pas attiré l’attention de Prieur et que sans la haine que nous vouait notre CPE, les choses auraient pris une tournure différente.

À l’aube de la trentaine, Prieur donnait l’impression d’avoir conservé toutes les tares de l’adolescence sans avoir retenu aucun de ses charmes. Il était aussi mauvais qu’un chien sauvage et nous avait dans le collimateur.

« Vous êtes bien installés ? »

Je le revois devant nous, jambes écartées, vibrant d’indignation. Stanislas avait pris son temps, avant de se pencher vers Dan.

« Toi, ça va ?

— Moi, ça va.

— Tout va bien, monsieur. Merci de vous en soucier. »

Prieur se cherchait une contenance en dévisageant avec hostilité chacun des membres de la bande. Jenny debout, bras croisés, soutenait son regard sans ciller. David fixait ses pieds en sifflotant (sauf qu’il ne savait pas siffler et produisait un chuintement geignard qui avait le don d’exaspérer tout le monde). J’étais plongé dans mon vieil exemplaire écorné du Songe tandis que Daniel, adossé à moi pour soulager ses vertèbres, prenait des notes dans son carnet et feignait d’ignorer la scène. Stan posa alors sagement les mains sur ses genoux et s’arma d’un sourire chaleureux qui déclencha aussitôt chez le CPE un rictus affreux, dévoilant une incisive jaunie par le tabac.

« Tu dois savoir… » Prieur pointa un doigt accusateur. « … que je ne suis pas dupe. C’est le meilleur banc de la cour ! »

Je n’avais pas pu résister : « Un banc remarquable ! »

David et Jenny avaient pouffé. Prieur ne s’était pas démonté : « Le plus large, le mieux exposé au soleil. À l’abri des regards. Et pourtant, tous les jours de l’année, à toutes les pauses, il n’est occupé que par toi et tes amis. Alors que la cour est pleine de types plus balèzes… et de filles plus populaires », avait-il ajouté à destination de Jenny.

Prieur ménagea un silence intimidant, ce qui n’empêcha pas Stan de le relancer d’un haussement de sourcils interrogatif. Le doigt du CPE rejoignit sa main pour former un poing.

« Dans la chaîne alimentaire d’un lycée, il n’y a que deux choses qui peuvent donner du pouvoir à un gamin comme toi : le racket ou le deal. »

Stanislas ne souriait plus, il hocha pensivement la tête. « C’est une accusation sérieuse. »

Prieur fit un pas en avant mais Stan se pencha, visiblement captivé par quelque chose, loin dans le dos de son agresseur.

« Monsieur ?

— Quoi ? »

Prieur se retourna. À l’autre bout de la vaste cour en L, devant les grilles vertes de l’entrée, une bagarre entre les frères Irazustra attirait déjà une foule surexcitée. Prieur n’eut d’autre choix que s’y précipiter. Daniel retira sa casquette, passa lentement une main sur son crâne chauve.

« Tu vas trop loin. Les frères Irazustra, sérieusement ?

— Je fais ce que je peux.

— Non. Tu en fais une affaire personnelle. Ça va mal finir. »
J’intervins : « Bon, on reprend les affaires ? On a le temps pour une intervention, non ? Dan ? »

Daniel soupira mais tourna les pages de son carnet, s’arrêta sur une liste de noms.

« C’est au tour de Maxence Boulouque. »

Jenny scanna la foule des lycéens, porta deux doigts à la bouche et émit un puissant sifflement en direction d’un grand échalas sous le panneau de basket. David dévisagea notre amie avec la plus grande admiration : « Mais comment tu fais ? » Jenny ne répondit pas et retint Maxence d’une paume sur le plexus.

« Attends ! »

Elle jeta un coup d’œil à l’entrée du lycée. Prieur s’évertuait encore à séparer les deux frères.

« C’est bon. »

Maxence s’avança timidement.

« Tu m’avais promis que tu t’occuperais de mon cas. »

Dan lut dans son carnet : « C’est pour une Becky Thatcher. »

David était excité : « Tu sais que t’as du bol, l’Enchanteur n’en fait qu’une par an, de Becky Thatcher. »

Stan déclara : « Bon, je mets tout en place et on commence la semaine prochaine. Ça te laisse quelques jours pour passer chez le coiffeur. »

Le visage de Maxence s’illumina.

« Merci, merci, mec.

— On est toujours OK pour la contrepartie ?

— C’est cool.

— Bien sûr, c’est cool. Mais ton frère, il tiendra sa parole ?

— Sur l’honneur, mec. Tu es son dieu de toute façon.

— T’avais fait quoi pour lui ? demandai-je à Stan.

— Une Billy Elliot. »

La sonnerie retentit. On fila rejoindre le bâtiment, sachant que personne n’oserait prendre place sur le banc en notre absence.

Je sais, c’est la classe.

3.


Une marée d’élèves refluait dans les salles. Du palier, la voix nasillarde de Prieur perça le brouhaha : « Munio et Gabino Irazustra, dépêchez-vous ! »

Les deux colosses avaient rassemblé leurs affaires et ne semblaient pas vraiment inquiets. En les croisant, Stan leur tapa discrètement sur l’épaule.

« Vous avez été parfaits. Merci. »

Les frères fendirent la foule crânement vers leur sentence tandis que Stan rejoignait la classe où Benyahi se tenait déjà raide et blême. C’était le professeur le plus nerveux du lycée. Et aussi le plus harcelé. Son bourreau, Julien Vachet, venait d’ailleurs de s’affaler sur sa chaise face à l’estrade, mains croisées derrière la nuque. Julien était la pire brute de l’école et le cadet d’Aurélien Vachet, chef de meute des Taranis dont l’emploi du temps se résumait à courir les braderies pour minets stéroïdés, à s’entraîner au freefight et à tabasser des Antifas, une autre tradition locale. Les deux bandes avaient récemment franchi plusieurs paliers dans la violence, transformant les manifs en champs de bataille et faisant des dizaines de victimes collatérales dans les rangs des forces de l’ordre et des services de sécurité des syndicats. Juste après Charlie Hebdo, les Taranis avaient mené la première expédition raciste de l’histoire de la ville, s’attaquant une même nuit à quatre épiceries tenues par des Arabes. L’épisode avait laissé un goût amer : pas de témoins, beaucoup de supporters silencieux, aucune condamnation malgré les gardes à vue.

Julien Vachet ne faisait pas partie de la bande de son frère mais, à lui seul, il représentait une source intarissable de complications pour Stan, en troublant le calme nécessaire à la conduite de ses affaires.

Benyahi tapa du poing sur son bureau à l’attention des autres élèves en train de prendre place.

« Un instant, s’il vous plaît, je dois vous transmettre un message de la m
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"Soignez ma fiction", nous a fait promettre Daniel. Je me rends compte maintenant de ce que cela implique. Dan avait des théories scientifiques complexes pour décrire sa croyance - et il n'aurait pas aimé que j'utilise ce mot. Mais je suis sûr de ne pas trahir mon ami en simplifiant ses propos : il pensait que l'observation ne fait pas qu'influer sur le réel, elle le façonne. Moi, je ne comprends rien à la physique quantique mais le Barde fait dire à Prospero : Nous sommes de l'étoffe dont sont faits les rêves et notre petite vie est entourée de sommeil. Alors, je te crois, Daniel. Tu as vu monter les menaces avant tout le monde et heureusement, tu as deviné qu'on allait avoir besoin de renforts.
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Une bouffée de lucidité me fit nous considérer sous un jour nouveau et ce que j'entrevis me glaça : cinq ados complètement détraqués qui essayaient de transformer la mort de l'un d'entre eux en quoi... en une sorte de happening ? J'observais mes amis, coincés debout dans la masse des voyageurs, et je ne voyais plus les héros d'une épopée mais un ramassis de losers biberonnés à Youtube qui rêvaient leurs existences médiocres en flashmob. Toute la confiance, toute la foi que j'avais placée dans cette quête s'effondra.
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- Qu'est-ce que je n'arrive pas à voir, Cassia ? Qu'est-ce qui m'échappe ?
- Si tu rates un truc évident, c'est peut-être parce que c'est une chose à laquelle tu ne veux pas croire ?
- Cassia ?
- Oui ?
- Je sais que la nature de nos relations n'est pas clairement définie, mais... j'ai le droit de te demander une faveur ?
- Bien sûr.
- Tu peux éviter de parler comme dans un manuel de développement personnel, s'il te plaît ? ça m'exaspère."
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J'observais mes amis, coincés debout dans la masse des voyageurs, et je ne voyais plus les héros d'une épopée mais un ramassis de losers biberonnés à Youtube qui rêvaient leurs existences médiocres en flashmob. Toute la confiance, toute la foi que j'avais placée dans cette quête s'effondra. Ma colère contre Daniel se redirigea alors de façon foudroyante vers Stan. C'était sa mégalomanie qui nous avait menés là. Nous étions entrés dans son jeu parce qu'il nous avait offert l'illusion de nous croire meilleurs. Comme toutes les victimes de ses arnaques, il nous avait emprisonnés dans une fiction valorisante et nous récitions l'histoire qu'il avait écrite pour nous. Tout ça pour quoi ? Pour servir son règne de potentat de cour de récré. Le pire est que durant ce court trajet, rythmé par les inconnus qui montaient, descendaient, poinçonnaient, riaient, parlaient trop fort dans leurs portables, je distinguais un motif clair dans notre dérive. Ce qui nous liait, nous animait, et nous condamnait sans équivoque, était la morbidité sur laquelle reposaient nos affabulations et nos délires de grandeur. A la fin, qui étions-nous ?
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