Comme l'ouvrage n'est pas très bien décrit sur les sites, je précise qu' il s'agit d'un volume de 170 pages d'environ 30 par 24 cm en papier glacé. Malheureusement non traduite à ce jour, cette collaboration franco-roumaine de 2002 associe un texte de Mircea Cărtărescu à des illustrations de Tudor Banuș, fils de Maria Banuș, qui réside en France depuis 1972. C'est une vraie-fausse encyclopédie des "zméous", ces monstres traditionnels roumains, à feuilleter régulièrement. Je dois dire que le résultat est génial, en grande partie du fait de la qualité du graphisme, des illustrations, mi-satiriques mi-modernisées à la limite de la culture geek. Le texte grouille lui aussi d'ingéniosités, qu'apprécient aussi bien les enfants que les adultes, pour les nombreuses références qu'ils sont seuls à percevoir. Ne devine-t-on pas dans la planche de la page 165 "neprețuitul meu colaborator, maestrul Banousch de Nogent” l'autoportrait de l'illustrateur injustement méconnu et, j'en suis presque sûr(e), à la page 7, entouré de ses discrets mais psychédéliques papillons comme une mise en abyme de son œuvre, Cărtărescu l'auteur lui-même : "Azi port cu mîndrie urmele acestor "întîlniri de gradul al treilea" [Je porte aujourd'hui fièrement les traces de ces rencontres du troisième degré]?"
En guise de conclusion, le lecteur est invité à apporter sa propre touche d'imagination et à transmettre ses propres représentations à l'éditeur. Relevons le défi !
Commenter  J’apprécie         310
Il y a fort, fort longtemps, que les araignées transparentes travaillaient dans la mine, et que les zouououzes blutaient la farine, vivaient, près des confins du pays de Hooshi, deux frères de la lignée des guivres-des-cerfs-volants, Lobo et Fofo de leur prénom. Ils étaient pauvres, mais honnêtes. Leur cher papa venait de rendre son dernier souffle, assez brûlant encore pour roussir les cils de ses fils, leur laissant en dernière volonté sa maigre fortune : une gironde damoiselle, kidnappée alors qu’il était dans la fleur de sa jeunesse, et gardée depuis dans une salle baptisée la Chambre cachée. Les garçons passaient souvent à côté de cette pièce, sans même se douter de ce qu’elle renfermait. Ils avaient appris à lire en ânonnant le texte fixé sur cette porte avec des punaises, et qui, dans le langage laconique de ces temps-là, disait ce qui suit :
Maudit soit, ouille ! mille fois maudit,
dans sa chair comme dans son esprit,
dans sa langue et dans son riquiqui ;
dans chaque écaille de ses reins de traviole
et dans chaque griffe de ses guibolles ;
dans ses abattis, dans chacun,
et dans ses boyaux un à un ;
dans ses gencives, ses narines, ses arpions,
dans ses côtes et dans ses poumons ;
dans sa surrénale,
dans sa glande pinéale ;
dans son système lymphatique,
dans son sympathique
et dans son parasympathique ;
maudit soit, qu’il entre ou qu’il sorte,
qu’il bricole ses cerfs-volants, qu’il tricote ;
qu’il roupille ou qu’il soit hors du lit,
qu’il bouffe de la mandragore, des papillons,
des radis ;
qu’il vole au ras des pâquerettes,
qu’il ne sache plus où donner de la tête ;
et maudit soit, plus et davantage,
en travers, en long et en large,
de face, de dos ou de droite,
à genoux ou à quatre pattes ;
maudit par les dieux,
écorché, baveux,
maudit tout craché,
les crocs déchaussés
et cochon qui s’en dédit
quiconque dans cette Chambre cachée
pénètrera,
où d’ailleurs point de damoiselle il n’y a.
(cf. p. 95-96, traduit du roumain par Dominique Ilea)
Demult, tare demult, pe cînd păianjenii transparenți lucrau în mină și zuuuzele cerneau faină, trăiau, la o margine a ținutului Hooshi, doi frați din stirpea zmeilor zmeelor, pe nume Lobo și Fofo.
Nicolas Cavaillès lit Mircea Cărtărescu.