Lu en v.o.
J'avais ete decontenance par la lecture des Nuits de Flores. Je m'etais dit que
Cesar Aira n'ecrivait decidement pas pour moi. Mais les echos du bruit que fait ce dernier opus dans le monde hispanophone ont eveille en moi des velleites de lui donner une seconde chance.
J'ai lu quelque part qu'Aira a deja publie une centaine de courts livres. A raison de deux ou trois par an. Dans une multiitude de genres. Un forcene. Et comme il doit y avoir dans le tas du meilleur et du moins bon, il est possible que j'aie fait un mauvais choix avec
Les nuits de Flores.
Prins (ce titre reste une enigme apres avoir lu le livre) va aussi dans tous les sens. Mais ici les escapades, les digressions de la trame, meme quand elles sont completement detachees les unes des autres, meme si elles peuvent nourrir des trames completement differentes, finissent par se rattacher a un personnage central, ce qui n'etait pas le cas dans Les nuits. Comme si ce personnage (le narrateur), un ecrivain de romans gothiques populaires, pouvait avoir des passes differents ou des interpretations differentes de son passe et de ses actes.
Le narrateur glose beaucoup sur son metier. Cela donne par endroits une reflexion sur l'ecriture, sur les differents genres litteraires et sur leur hierarchie; la hierarchie qu'en font les critiques assermentes et celle qu'en font les lecteurs. “Personne ne sait clairement ce qu'est la literature, ce qui fait un ecrivain”,c'est peut-etre “une mode comme n'importe quelle autre, et une mode d'evasion”.
On sent le grand
Borges planer au dessus de chaque phrase. Il y a des allusions au Jardin de sentiers qui bifurquent, aux
labyrinthes chers a
Borges. Pas que des allusions; tout le livre est un labyrinthe de sentiers qui bifurquent. Au lecteur d'en trouver la bonne direction et la sortie. Plus que cela, dans
Prins le narrateur nous revele au bout d'un moment qu'il n'ecrit pas lui meme ses livres mais qu'il a toute une equipe de negres qui ecrivent pour lui. Et quest-ce qu'ils ecrivent? “Le chateau d'Otrante”, “Le moine” et autres “Frankenstein”, s'appropriant ainsi les oeuvres de
Walpole, Lewis, Shelley, et touchant leurs droits. Si ce nest pas une reecriture de la celebre nouvelle de
Borges “
Pierre Menard, auteur de Don Quichotte”, qu'est-ce que c'est? Et quand le narrateur, desabuse, meprisant ses “propres” oeuvres, decide de ne plus rien publier, ses negres se reconstruisent en bande de malfaiteurs mysterieux qui sement la terreur dans Buenos Aires, s'inspirant des scenarios de ces celebres romans. La litterature gothique inspire la realite ou l'inflechit? La litterature c'est la vie?
Puis le narrateur, abandonnant la litterature, se met a l'opium. Mais cet opium s'avere etre un grand parallepipede blanc, de la taille d'un refrigerateur, achete a “l'Antiquite”, qui cache dans sa masse une cle, la seule qui peut ouvrir la porte de cette meme Antiquite. Nous tournons en rond. Les Paradis Artificiels sont donc peut-etre une denree antique, romantique (comme la litterature en fait) dont la cle est pratiquement hors d'atteinte. Ou qu'il faut d'abord consommer beaucoup d'opium (litteraire) pour l'atteindre, pour pouvoir s'en servir. Et a quoi sert de s'en servir?
Je vais arreter la. Comme souvent, je crois que c'est la faute aux francais si ce texte est un peu deroutant et nous fait tomber, le nez dans le ruisseau. Pas a
Voltaire et Rousseau cette fois-ci mais a
Lyotard et son post-modernisme et a
Derrida et son deconstructivisme. Aira deconstruit le roman classique tout en s'y referant sans arret. Il parodie les genres mineurs comme pour se detacher de toutes les fratries litteraires ambiantes. Comme s'il ne voulait s'adresser qu'a des lecteurs cultives mais legerement decadents. Serais-je decadent? Cette fois-ci la lecture (et qui sait? Peut-etre le propos de l'auteur) m'a ete plus accessible que celle de
Les nuits de Flores. Il est possible que je m'habitue. Je commence meme a apprecier Aira. Malgre cela je ne pourrais pas le conseiller a tous, je manque de courage pour cela. Surement mon cote decadent.