Ce que veulent rétablir les théories d’accent traditionnel contre la rigueur logicienne, c’est l’idée d’une inaccessibilité, d’un au-delà de toute stratégie verbale, sémantique ou analytique. L’œuvre ne peut tomber sous la coupe d’aucune mise en forme réglée, elle échappe aux dominations conceptuelles, et peut tout juste suggérer des échos poétiques, des « ondes » de sens que le critique d’art ou le commentateur doit être à même de percevoir et de retransmettre. L’extrême de cette attitude (pour ainsi dire romantique) consiste alors à prôner le silence complet : aucune théorisation n’est possible, tout essai de compréhension motivée est de trop. Les théories (et les théoriciens) doivent accepter le fait que leur effort est voué par nature à l’échec. Le seul apport possible de la théorie à l’art et à ses œuvres serait alors de faire la preuve de son incompétence radicale…
[L]'action critique est la plupart du temps comprise comme critique de la société et de son régime capitaliste, l'art se veut alors engagé dans la lutte contre un système dont il est l'un des éléments, actif à sa manière. Les manifestes et les manifestations des avant-gardes se sont inspirés de la négativité ainsi comprise, ou y ont été rattachés après coup ; le mot d'ordre une fois donné vaut pour le présent mais aussi pour le passé, il est rétrodictif, et les œuvres sont réévaluées à la lumière de la notion de négativité critique. Au tribunal de l'histoire se trouvent ainsi élues les œuvres contestataires, et répudiées celles qui semblent avoir été soumises à la domination bourgeoise de l'art pour l'art.
[D]u platonisme, on retient cette forte séparation entre art et technique (que Platon n'a jamais faite), la technique étant méprisable en tant qu'utile, intéressée, construite autour du particulier et non de l'universel, et trop vulgaire pour s'approcher de la beauté. L'art ne doit pas frayer avec la technique, sinon il se mécanise, devient froid et calculateur (d'où le refus de considérer les arts technologiques comme art). Le résultat est ce curieux amalgame et cette inconséquence radicale qui fait ignorer la part technique du travail artistique et en même temps la réclame comme preuve de la valeur de l'œuvre...