Que peut-on encore écrire sur de telles institutions? Autant disserter des heures autour des Liaisons Dangereuses, palabrer encore et encore du Rouge et du Noir, décortiquer le moindre chapitre des Misérables ou encore passer au peigne fin l'Assommoir. Mais je tente le pari qu'il existe encore quelque part quelqu'un ou quelqu'une qui n'a pas encore ouvert cet incontournable descente aux enfers. Descente? Pas vraiment. Ici, ce n'est pas une déchéance comme chez
Hamsun (
la Faim), mais bien un croupissement dans la mare nauséabonde de l'humanité.
Le (anti)héros narrateur part à la
guerre, la tête pleine d'illusions. Il n'est pas le seul. Là, il rencontre l'ignominie et, accessoirement un compagnon, Robinson, qui sera le fil rouge de son errance à travers le monde. Car Ferdinand va voyager. Blessé, il s'enfuit aux colonies, dans une Afrique corrompue et pourrissante où il rentre, malade, sur une galère, en direction du nouveau monde. Mais, à New-York, la ville verticale, ce n'est pas mieux. Il croise Lola, puis Molly, une gentille fille. Mais Ferdinand n'est décidément pas doué pour le bonheur. le rêve américain est une illusion. Sans le sou, il rentre à Paris poursuivre des études de médecine. Il deviendra un médecin de seconde zone en banlieue où ses clients mettent un point d'honneur à ne jamais le rémunérer. La conclusion logique de cette dégénérescence aboutit inévitablement dans un asile psychiatrique qui n'en porte pas le nom.
Pourriture, putréfaction, corps infectés et chairs en décomposition, société à la dérive, lâcheté du personnage principal, esprits décrépits, morale faisandée, tout un monde qui se noie dans la longue nuit qui n‘en finit pas de s'épandre sur les hommes, comme dans un tunnel. Mieux : un puits. Pessimisme érigé en manière de vivre. On n'en sort pas. Pourtant on aimerait y croire. A chaque rebondissement, on se dit que ce n'est pas possible, qu'une issue est possible. Non. L'épuisement guette.
Publié en 1932, on comprend aisément cette lassitude. La grande
guerre a laissé des blessures béantes qui ne se refermeront pas, contrairement à celles du corps que la médecine peut encore soigner. Bien que.
L'empire colonial Européen est en pleine déliquescence, l'ancien monde s'effondre et l'Amérique, flambante, n'est qu'un miroir aux alouettes. Enfin l'espoir de la psychiatrie ne se réalise pas.
Céline sait manier la langue française. Il nous gratifie de superbes paragraphes, mais, car il y a un mais, pourquoi ce parti pris d'un langage populaire? Des phrases lourdes comme des enclumes par répétition de pronoms (c'est ma vie à moi), l'utilisation abusive du pronom relatif «que » comme des rafales de mitraillette, une sorte d'argot sous-jacent. Il n'est pas nécessaire de parler prolétaire pour dépeindre le peuple. Au final, ce qui devrait être une balade devient un chemin de croix. La lecture en est laborieuse, hachée, un vrai supplice. Peut-être (surement) est-ce voulu pour amener le lecteur dans cet état d'esprit nauséeux qui va si bien pour cette traversée (non : cela implique qu'il existe une issue), plutôt cette chute dans la longue nuit dont on ne sort jamais.