« Des pages qui renferment, parmi toutes les complexités du monde, une seule certitude : il y a un langage pour raconter les histoires et un autre pour le silence. »
Sunta a toujours vécu à Los Yesares, village perdu où, disait le clown Willy qui y a vécu quelques années, ne vivent que les souvenirs, l'ennui et les fantômes des morts. Mais Sunta a gardé en elle les paroles du grand-père qui considérait que l'on devait vivre et mourir au plus près du lieu de sa naissance. Si les autres partent, elle, elle a choisi de rester. A la veille d'un mariage tardif et hésitant, elle a senti la nécessité de ne pas laisser filer la mémoire de toute ces années, de tous ces récits, des personnages et des images qui l'habitent. L'ombre du caudillo et de serviteurs zélés, parfois grotesques et dérisoires, parfois inquiétants, habite aussi ce pays que le temps et l'histoire semblent avoir oublié. La mort de Franco, à Los Yesares, c'est surtout un portrait décroché.
Elle a pris un cahier et un crayon et humblement elle raconte, poussée par une nécessité qu'elle ne comprend qu'à moitié. Peut-être celle de la peur de l'oubli. Pour pour repousser la peur, celle dont le vieux Royopellejas, du fond de la grotte où il a si longtemps vécu, lui dit qu'elle passe avec l'âge. "Peut-être ais-je atteint l'âge où la seule chose que l'on ressent, c'est la peur. C'est sans doute ça. Et arrivée à ce stade du voyage, j'ai besoin d'écrire ces histoires pour la conjurer, cette peur." Ecrire pour se protéger de l'oubli et pour permettre aux choses de mieux exister.
Page après page, avec une certaine maladresse parfois, ils revivent les uns après les autres : Trotski, le perroquet qu'il faut appeler Leopoldo devant les étrangers ; le grand-père Félix qui a failli mourir étouffé par une sangsue ; Hermenegildo qui a perdu une jambe à la guerre ; les grand-mère Rosa, avec qui elle a vu la mer, et Maria, devenu sourde à la mort de l'oncle Miguel ; le cousin Hector dont la tante ne cesse de dire qu'il est mauvais comme la gale ; l'homme aux yeux bleus, Ojos Azules, arrêté par la guardia civil ... Et tous les autres qui ont quitté Los Yesares d'une façon ou d'une autre pour ne presque jamais y revenir.
Petit à petit, entre les histoires et le silence, les mots tissent un pont qui enjambe les années et redessine la vie et les visages des oubliés.
De temps en temps Sunta se tait et n'écrit pas, parce que la vie continue et que les travaux des jours attendent ou parce qu'il y a des choses qui ne peuvent se dire.
Alfons Cervera prend alors discrètement le relais, nous faisant entrer dans la maison, dans la chambre où le cahier repose et où Sunta brode pour son prochain mariage, comme d'autres le firent avant elle. Même quand l'oubli travaille sans cesse, la vie continue, par le pouvoir des mots.
Au rythme hésitant et patient de ce journal, nous percevons de plus en plus nettement cette voix lointaine, pleine d'échos et de souvenirs, à l'écart des fracas de l'histoire.
« - Mère, est-ce que tu te rappelles la nuit où est mort Trotski ? Il avait gonflé comme une baudruche et éclaté dans sa cage... »
La couleur du crépuscule est le premier titre d'un cycle d'
Alfons Cervera consacre à la mémoire des vaincus de la Guerre d'Espagne qui comprend également
Maquis publié par la fosse aux ours en 2010. le cycle compte également La noche inmovíl (2000), pas encore publié en France (publié en Espagne par Montesinos)... Mais qui devrait sortir vers le mois d'avril d'après les informations que nous avons pu avoir.
Signalons également
Ces vies-là (Esas vidas) publié par La Contre Allée grâce au travail du même traducteur, George Tyras.
Lien :
http://filsdelectures.over-b..