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EAN : 9782376650027
224 pages
Contre Allée (06/10/2018)
4.12/5   4 notes
Résumé :
Alfons, fils de boulanger, a longtemps pétri la pâte à pain et ses rêves d’enfants aux côtés de son père. Un père qui ne parlait guère, et dont le silence reste un mystère aujourd’hui encore, bien des années après sa mort. Dans Un autre monde, Alfons Cervera s’adresse à ce père qui n’évoqua jamais, ni son métier, ni l’errance familiale de village en village, ni son talent pour le théâtre, ni cet épisode de résistance citoyenne que le hasard permettra à l’auteur et n... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (2) Ajouter une critique
« Por alla se viene la muerte,
Mientras que aqui, ay senora ! … Es la anarquia !
Se atrevieron a vivir
la libertad en la esperanza… »(1)

Cette chanson de Serge Utge-Royo, où il dit vouloir apprendre de son « vieux compagnon », « dont la jeunesse est à la douane » m'a toujours foutu des frissons. La guerre d'Espagne est une période qui me fascine depuis des années. J'ai lu quantité de livres sur le sujet, des témoignages, des biographies, toujours dans le camp dit « républicain », même s'il s'agit pour la quasi totalité de femmes et d'hommes libertaires de la Fédération Anarchiste Ibérique ou de la CNT. Des exilés pour la plupart. le père de l'auteur, lui, est resté en Espagne, condamné au silence par la dictature, la tristesse que son camps est été vaincu, par la peur peut-être.

Peut on rattraper le temps perdu, les silences, 20 ans après la mort de celui avec qui on voudrait échanger ? Quand les seuls souvenirs sont d'enfance, donc fragmentés, parcellaires ? Quand le silence fut le seul témoignage ? L'auteur entame ce dialogue avec son père disparu et choisi la littérature comme vecteur, comme outil de reconstruction de ce qui n'a pas été dit. Outil spéculatif, nourri des livres lus et qui offrent, éventuellement, des pistes, nourri des gestes et des mots dont la signification lui a peut être échappé. Alfons Cervera explore à tâtons ces voies qui pourraient lui faire enfin comprendre ce père taiseux qu'il a suivi de village en village, de boulangerie en laiterie.

Véritable hommage à la littérature qui nous permet de voir l'invisible, d'entendre l'inaudible.

Véritable hommage aussi aux résistances et aux vaincu(e)s de cette guerre civile, celles et ceux qui furent contraint(e)s à l'exil, et celles et ceux qui furent condamné(e)s au silence. Ces vaincu(e)s qui avaient porté, peut être, cet autre monde du titre.

Cet autre monde qui est aussi, sans doute, celui du père de l'auteur, cet vie d'avant dont il ne dira plus rien, laissant derrière lui des souvenirs aux contours flous et incertains que le fils, en dépit du temps qui passe, tente de redessiner dans une « calligraphie fragile ».

Magnifique récit d'une profonde humanité, superbement traduit par Georges Tyras.

(1)Là-bas, c'est la mort qui s'avance
Tandis qu'ici: Ah madame c'est l'Anarchie
La liberté dans l'espérance
Il ont osé la vivre aussi
Lien : https://bonnesfeuillesetmauv..
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Un magnifique combat pour comprendre, par-delà la mort, les silences d'un père taiseux.

Sur le blog Charybde 27 : https://charybde2.wordpress.com/2018/09/24/note-de-lecture-un-autre-monde-alfons-cervera/
Lien : https://charybde2.wordpress...
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Citations et extraits (3) Ajouter une citation
La photographie a jauni. Si ça se trouve, tu ne te la rappelles même pas. Tu me l’as dit à un moment : parfois certaines choses se passent comme si elles se produisaient hors du temps. Je ne sais pas de quand elle date. Tu es debout, bien campé sur tes jambes, une main reposant sur le dossier d’une chaise. C’est un portrait de studio. Tiré à l’occasion d’une permission militaire, selon toute vraisemblance. La bande de copains, l’uniforme repassé avec soin, le cuir de la buffleterie aussi brillant que le métal des boucles. Les pantalons ajustés, bien resserrés à l’intérieur des bottes. Caporal. Tu m’aurais dit général, pour moi, c’était pareil. Où a été pris ce cliché. Parfois tu parlais de Séville. J’ignore si c’était de là que tu envoyais à ma mère des mots d’amour griffonnés au dos des photos. Tu étais un flamboyant caporal de l’armée. Par la suite, j’ai appris qu’il y avait deux armées. Et que la tienne avait été vaincue. « La victoire est une illusion de philosophes et d’imbéciles », écrivait William Faulkner dans Le Bruit et la Fureur. Mais trop souvent la victoire n’est pas cette illusion qui convertirait toutes choses en une réalité fausse. Ni un recours facile de l’imagination littéraire. Ceux qui ont gagné la guerre n’ont pas bâti le temps de leur victoire sur l’illusion magique d’une métaphore. Je ne sais pas si toi tu le savais quand tu me montrais cette photo en me racontant que tu avais été caporal dans ta jeunesse. La guerre n’existait pas. C’était peut-être ce que tu voulais dire en parlant de certaines choses qui se passent hors du temps. Qu’elles n’existent pas, c’est ce que tu voulais dire, non ?
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Il est là. Plongé dans ses cahiers et ses magazines de cinéma. De l’autre côté de la frontière. Avec les bruits qui lui enflent la tête. De la même façon que toi tu sentais tourner la tienne les nuits de vertige. Le temps de mon frère s’est arrêté à ces petits matins de profond sommeil et de taches sombres sur les griffonnages de la mémoire. Je ne sais pas si tu le vois. Peut-être que lui te voit au plus profond de son voyage au centre de la terre. J’ai parfois songé à lui dire ce que je sais de tout ce que tu ne nous as jamais raconté. Mais je ne l’ai jamais fait. Il vaut mieux que sa tête reste à l’intérieur du cercle magique des cartes jouées contre personne. Sa tête et les nôtres, tu comprends, la tienne et la mienne. Les vertiges et la certitude qu’un jour tu as voulu parler mais que tu as décidé finalement de te taire à jamais. Je ris en songeant à ce vers terminal d’Álvaro de Campos : « J’ai besoin de vérité et d’aspirine. »
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Les peupliers, regarde. Moi, je les regarde, bien sûr, ondoyer au-dessus de la clôture du terrain de football, perdre leurs feuilles, et puis il y a ce chien tout blanc ou presque qui fouille dans le conteneur à ordures. Odeur de nourriture âcre dans les sacs-poubelle, noirs, d’alcool bon marché, de traces de goudron sur le sentier qui mène au vieux pont. Les machines ont été là jusqu’il n’y a guère. Elles déversaient le bitume, les ouvriers égalisaient la surface visqueuse avec les ratissoires et une autre machine à rouleau compresseur laissait le chemin sans aucun nid-de-poule, pas un trou. Tu ne regardes pas les peupliers mais tu dis qu’à présent les voitures vont trop vite sur l’asphalte, et que le chien qui renifle les sacs-poubelle, un instant d’inattention et on le retrouvera mort. Tu ne parles jamais de la mort. Et maintenant tu le fais pour annoncer celle d’un chien qui bouffe les rats et tout ce qu’il peut trouver dans une benne à ordures. Tu marches sans prêter attention à ce que je te dis. Tu es quand même bizarre ce samedi matin. Les autres jours, pourtant, tu parles. Pas de la mort mais d’autres choses.
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Video de Alfons Cervera (1) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Alfons Cervera
Dans le cadre des Bruits d'Espagne 2019, rencontre avec l'écrivain espagnol (valencien) Alfons Cervera qui revient sur l'état de la démocratie aujourd'hui en Espagne. Animation et traduction Domenge Blanc
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