230 pages et des notes d'atelier pour réécrire Robinson : un pari pleinement réussi, d'une stupéfiante beauté.
Publiée en 2012, cette "Empreinte à Crusoé" représentait tout de même une singulière gageure, même pour un "marqueur de paroles" de la stature gigantesque de
Patrick Chamoiseau. Comme il le dit dans les précieuses 20 pages finales de "chutes et notes" (intitulées simplement "L'atelier de l'empreinte") : "Aller entre Defoe et Tournier, entre deux masses de lumière. Trouver l'interstice." Monstrueux défi qui l'est encore davantage si on ajoute dans la balance, pour faire bon poids,
James Fenimore Cooper,
Jules Verne,
Jean Giraudoux,
William Golding,
Robert Merle et
Saint-John Perse... !
Réécrire en 2012 le mythe Robinson Crusoé, en étant tout à la fois fidèle à ses principes d'origine, en savourant les modulations à effectuer sur les variations propres, déjà si riches, qu'y introduisit
Michel Tournier (à trois reprises !), c'est donc ce qu'a pleinement réussi
Patrick Chamoiseau au long de ces 230 pages.
Passant par plusieurs "âges" distincts, en vingt ans de séjour condensé, le naufragé interroge sur le fond, bien entendu, la notion d'individu, comme celle d'autre et d'autrui - en résonance avec les interrogations et les affirmations que porte le concept de créolité défendu avec tant de talent par Chamoiseau et par Glissant -, réévalue plusieurs fois les modalités de son rapport à la nature, avec pour tout viatique non la fameuse "Bible", symbole de
l'île déserte, mais d'infiniment plus précieux, ici,
fragments de Parménide et d'
Héraclite, avant qu'un final tout à coup beaucoup plus calme ne nous livre presque simultanément une dernière énigme, sauvage, et sa clé.
Toujours étincelant,
Patrick Chamoiseau nous a donc bien donné un nouveau chef d'oeuvre...